Monday, December 20, 2010

Maître Eckhart condamné

Maître Eckhart
Le 27 mars 1329, le pape Jean XXII publie une bulle dans laquelle il condamne 28 déclarations extraites de l’œuvre d’un certain Maître Eckhart, un dominicain d’origine allemande mais ayant surtout œuvré en France. Les 28 propositions sont dites « malsonnantes, téméraires et entâchées d’hérésie. » Mais Eckhart n’est plus en vie pour prendre connaissance de cette bulle. On y lit que, avant de mourir, il aurait réaffirmé son obéissance à la foi catholique et qu’il aurait renié le contenu de ses 28 affirmations...

Au grand dam de l’Église, l’œuvre de Eckhart, en particlulier ses sermons,  a toutefois continué d’être largement diffusée. Elle a eu une influence certaine sur Martin Luther, qui était indigné du traitement qu’en avaient fait les autorités et qui a publié lui-même des parties. Par contre, Eckhart n’a pas fait l’unanimité chez les réformateurs, Calvin surnommant un de ses livres comme étant « un poison concocté par Satan ». Quelques siècles plus tard, Eckhart est toujours un favori parmi ceux qui admirent le côté plus mystique du christianisme. Il est aussi le chouchou du mouvement New Age, dont un des auteurs les plus connus, Eckhart Tolle, a adopté son prénom. Et dans les dernière années, même Rome a réhabilité, en douce, le théologien.

En lisant les 28 propositions, on réalise assez vite pourquoi elles ont fait sourciller les autorités religieuses. On y devine des idées qui se rapprochent de la pensée orientale. D’ailleurs, certains chercheurs ont postulé que Eckhart était peut-être familier avec certains concepts bouddhistes. Voici quelques unes de ces propositions condamnées par Jean XXVII. Pour votre considération… le condamneriez-vous?

Dès que Dieu fut, il créa le monde.
De même, celui qui demande ceci ou cela demande mal et demande le mal, car il demande la négation de Dieu et demande à Dieu de se nier lui-même.

Ceux qui ne cherchent ni les biens, ni les honneurs, ni l’agrément, ni le plaisir, ni l’utilité, ni la dévotion intérieure, ni la sainteté, ni la récompense, ni le Royaume des Cieux, mais ont au contraire, renoncé à tout cela, comme à tout ce qui est leur, dans ces hommes-là Dieu est honoré.
 

Je me suis demandé récemment si je voudrais recevoir ou désirer quelque-chose de Dieu. Je veux y réfléchir très sérieusement, parce là où je serai en acceptant quelque-chose de Dieu, je serai sous lui ou son inférieur, tel un serviteur ou un esclave, et lui-même, en donnant, serait comme un maître, et ce n’est pas ainsi que nous devons être dans la vie éternelle.

Dieu n’est ni bon, ni meilleur, ni le meilleur; quand j’appelle Dieu bon, je parle aussi mal que si j’appelais noir ce qui est blanc.


Nous sommes totalement transformés en Dieu et changés en lui; de la même manière que, dans le sacrement, le pain est changé au corps du Christ, je suis changé en Lui, parce qu’il me fait son être Un et non pas simplement semblable. Par le Dieu vivant, il est vrai que là il n’y a plus aucune distinction.


Tout ce que Dieu le Père a donné à son Fils Unique dans la nature humaine, il me l’a donné tout entier. Ici, je n’excepte rien; ni l’union, ni la sainteté. Il me l’a donné tout entier comme il le lui a donné.


Tout ce que la sainte écriture dit du Christ se vérifie intégralement de tout homme bon et divin.


L’homme bon est le Fils Unique de Dieu


L’homme noble est ce Fils Unique de Dieu, que le Père a engendré de toute éternité.


Le Père m’engendre comme son Fils, et le même Fils. Toute ce que Dieu opère, tout cela est Un; c’est pourquoi il m’engendre comme son Fils, sans aucune distinction.


Dieu est Un sous toutes les formes et sous tous les rapports, en sorte qu’il ne peut être trouvé en lui nulle multiplicité, qu’elle soit réelle ou de raison. Quiconque voit dualité ou voit distinction ne voit pas Dieu, car Dieu est Un, hors du nombre et au-dessus du nombre et il ne fait nombre avec rien. Par conséquent il ne peut y avoir et on ne peut concevoir aucune distinction en Dieu lui-même.


Toute distinction est étrangère à Dieu dans la nature et dans les personnes. La preuve en est que la nature est Une et cet Un et chaque personne est également Une et ce même Un que la nature.

Dans ces quelques propositions, Eckhart place la relation entre l’individu et Dieu à un tout autre niveau de ce qui est généralement vécu dans la religion. En effet, on a toujours tendance à voir cette relation de façon verticale, Dieu en haut, nous en bas, Dieu était la avant, le monde est venu après, Dieu donne, nous demandons. Ici on a plutôt Dieu présent ici maintenant avec nous. Dieu dont l’existence est indissociable du monde. Dieu qui partage tout ce dont on a de besoin sans qu’on ait rien à demander ni même à vouloir.

Eckhart lance un avertissement à ceux qui se vanteraient d’être plus dévots, plus saints, plus près du Royaume des Cieux… ces gens s’éloignerent en fait de Dieu car leur prétention est fondée sur une conception erronée et réductrice de Dieu… en fait, simplement de vouloir ces choses, d’avoir des « attentes » ou des « objectifs » sprituels est réducteur. La formulation de Eckhart est très provocatrice, à une époque où on s’achetait des indulgences pour mériter son ciel. Maître Eckhart nous dit qu’il n’y a rien à mériter de Dieu : il donne tout ce qu’il sait qu’il nous faut, et il faut donc se contenter d’être. Les désirs, même spirituels, sont de nature temporelle. Or quelle futilité si nous sommes dans l’éternité avec Dieu!

On voit aussi qu’Eckhart fait une distinction nette entre Jésus (qu’il appelle Notre-Seigneur) et le Fils Unique de Dieu. Mais si Jésus n’est pas le Fils, qui est alors ce Fils? C’est ici qu’il faut comprendre que contrairement à la grande majorité des théologiens de son époque, Maître Eckhart était non-dualiste. Pour lui il n’existe nulle distinction en Dieu, et toute la nature et le monde est une en lui. Donc, l’expression Fils de Dieu est tout simplement reconnaissance que Dieu s’engendre en chaque être humain, et qu’en étant bon et noble chaque être humain peut s’élever là où le Christ s’est élevé. Je vois déjà Jean XXVII en train de déchirer sa chemise!

Ultimement, dit Eckhart dans une autre proposition, "toute créature est un  pur néant". C'est à dire, toute conception de quoi que ce soit de distinct de Dieu est illusoire. Mais jamais Eckhart ne tombe dans le nihilisme, au contraire. On sent dans ses sermons et ses traités (dont j'aurai sans doute l'occasion de vous donner des extraits) une présence, une sérénité, un amour et une humilité énorme face à la Création. On sent qu'en lui, Dieu était véritablement honoré.

Saturday, December 11, 2010

Le Sermon de la Flèche (partie 2)

Suite au dernier post, où Malunkyaputta exprimait son exaspération de ne pas voir le Bouddha répondre à ses questions sur la nature de l'Univers.
Le Bienheureux dit:

« C'est tout comme si, ô Malunkyaputta, un homme ayant été blessé par une flèche fortement empoisonnée, ses amis et parents amenaient un médecin chirurgien, et que l'homme blessé dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir qui m'a blessé: Quel est son nom? Quelle est sa famille?"

Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir qui m'a blessé: s'il est grand, petit ou de taille moyenne." Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir la couleur de l'homme qui m'a blessé: s'il est noir, ou brun, ou de couleur d'or?" Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir d'où vient cet homme qui m'a blessé: De quel village, ou de quelle ville, ou de quelle cité?"

Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir avec quelle sorte d'arc on a tiré sur moi: Était-ce une arbalète ou un autre arc?" Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir quelle sorte de corde a été employée sur l'arc: Était-elle en coton ou en roseau, en tendon, en chanvre ou en écorce ?" Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir de quelle manière était faite la pointe de la flèche: Était-elle en fer ou d'une autre matière ?"

Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir quelles plumes ont été employées pour la flèche: Etaient-ce des plumes de vautour, de héron, de paon ou d'un autre oiseau ?" Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir avec quelle sorte de tendon la flèche a été enfermée: Avec des tendons de vache, ou de bœuf, ou de cerf, ou de singe?" Puis il dirait: "Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir si c'était une flèche ordinaire ou une autre sorte de flèche?"

O Malunkyaputta, cet homme mourrait sans le savoir. De même, ô Malunkyaputta, si quelqu'un dit: "Je ne pratiquerai pas la Conduite pure sous la direction du Bienheureux tant qu'il ne m'aura pas expliqué si l'univers est éternel ou non éternel, si l'univers a une limite ou s'il est sans limite (...) ", il mourra avec des questions laissées sans réponse.

La vie dans la Conduite pure, ô Malunkyaputta, ne dépend pas de l'opinion: l'univers est éternel. La vie dans la Conduite pure ne dépend pas de l'opinion: l'univers est non éternel. Bien qu'il existe une opinion selon laquelle l'univers est éternel et une opinion selon laquelle l'univers est non éternel, il existe avant tout la naissance, la vieillesse, la mort, le malheur, les lamentations, la douleur, la peine, la détresse. Moi, j'enseigne leur cessation ici-bas, dans cette vie même.

Par conséquent, ô Malunkyaputta, gardez donc dans votre pensée ce que j'ai expliqué comme expliqué et ce que je n'ai pas expliqué comme non expliqué.  Pourquoi ne l'ai-je pas expliqué? Parce que ce n'est pas utile, que ce n'est pas fondamentalement lié à la Conduite pure et que cela ne conduit pas, au détachement, à la cessation, à la tranquillité, à la pénétration profonde, à la réalisation complète, au nirvana. C'est pourquoi je ne l'ai pas expliqué. »

Ainsi parla le Bienheureux.
- Culamalunkya-Sutta


Si Bouddha avait utilisé le langage des ados à qui j'enseigne, il aurait sûrement ajouté un "cassé!"après cela. D'ailleurs, l'histoire raconte que ce moine reçut cet enseignement avec joie et se mit sous la conduite pure. Dans le cours de philosophie que j'enseignais l'an passé, c'est ce texte que j'ai choisi afin de présenter à mes élèves ce qu'était et disait le Bouddha Shakyamuni. On sent, dans ces lignes, à la fois la bienveillance de l'homme et sa fermeté d'enseignant. On sent surtout son grand coeur, et le sens profond qu'il avait donné à son existence et sa mission.

Pour moi le message central de cette parabole est ceci: "la vie dans la Conduite pure ne dépend pas de l'opinion". On aime tu ça avoir des opinions sur tout et les partager? D'ailleurs, n'est-ce pas ce que je fais ici? Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, et de grandes découvertes peuvent se vivre dans de tels échanges d'idées. Mais malheureusement, l'histoire des religions nous rappelle constamment que ce sont ces mêmes opinions qui ont causé dissensions, querelles, inquisitions, souffrances... le contraire même de ce que la vie spirituelle doit amener. Plutôt que de reconnaître et se rassembler autour des vérités simples et évidentes, on s'est divisé sur des spéculations. Pour finir par mourir sans avoir aucune réponse, de toute façon.

Mais quelles sont les réponses que la religion peut nous donner réellement, ici dans le présent de nos vie?

Elle peut conduire au au détachement des valeurs matérialistes et consuméristes de notre société. Elle nous ammène à questionner les idées reçues et à faire de nous des êtres plus indépendants et authentiques. Détachement également de notre peur incontrôlable du changement, de la perte, du vieillissement et de la mort. Elle peut conduire à la cessation de la souffrance, de l'injustice, de la discrimination, des rancoeurs. Elle peut conduire à la tranquillité, à la joie, à la confiance. Elle peut conduire à la pénétration profonde, à une meilleure connaissance de l'humain et de l'univers tels qu'il sont dans le moment présent.

Enfin, elle peut conduire à la réalisation complète, au nirvana, au moksha, au Royaume des Cieux, au Paradis... un état d'être qui se situe ici, maintenant, en nous et autour de nous, totalement à notre portée... si seulement on cesse de se tourmenter sur les questions inutiles.

Monday, December 6, 2010

Le Sermon de la Flèche (partie 1)

Quel doit être le but de la pratique religieuse? C’est une grosse question, car la spiritualité peut  facilement se retrouver au cœur de toutes les sphères de l’existence, de la simple relation entre deux individus aux grands questionnements universels. Il est donc facile de perdre le focus et d’oublier la raison profonde de sa quête spirituelle. Le texte qui que je vous présenterai dans les prochains jours, l’un des plus connus du bouddhisme, tente une réponse pleine de lucidité!

Un jour, alors que le moine Malunkyaputta était dans une méditation solitaire, l'idée suivante lui vint à la pensée: « L'univers est-il éternel ou est-il non éternel? L'univers a-t-il une limite ou est-il sans limite? Le principe vital est-il la même chose que le corps ou le principe vital est-il une chose et le corps une autre chose? Existe-t-il et à la fois n'existe-t-il pas après la mort? Ou bien est-il non existant et à la fois pas non existant après la mort ? 

Ces problèmes sont inexpliqués, laissés de côté et rejetés par le Bienheureux. Le Bienheureux ne me les explique pas. Le fait qu'il ne les explique pas ne me plaît pas. Je n'apprécie pas. 


J'approcherai le Bienheureux et je l'interrogerai à ce propos. S'il m'explique si l'univers est éternel ou non éternel, si l'univers a une limite ou s'il est sans limite (...) alors je pratiquerai la Conduite pure sous la direction du Bienheureux. S'il ne m'explique pas si l'univers est éternel ou non éternel, si l'univers a une limite ou s'il est sans limite (...) alors en rejetant l'entraînement je redescendrai dans la vie non-religieuse. »


Dans l'après-midi, s'étant levé de sa méditation solitaire, le moine Malunkyaputta s'approcha du Bienheureux. S'étant approché, il rendit hommage au Bienheureux, puis s'assit à l'écart sur un côté et dit: « O Bienheureux, si le Bienheureux sait que l'univers est éternel, qu'il me le dise. Si le Bienheureux sait que l'univers n'est pas éternel, qu'il me le dise. Si le Bienheureux ne sait pas si l'univers est éternel ou non, alors quand une personne ne sait pas, ne voit pas, elle doit dire par honnêteté: "Je ne sais pas, je ne vois pas." »

On voit ici que pour Malunkyaputta, le but de la pratique religieuse est de répondre aux grandes questions sur la nature de la vie, de l’âme de l’univers. Et il ressent de la colère de ne pas avoir les réponses. Je crois que cette frustration est vécue par la plupart d’entre nous à certains moments de nos vies. Parce que les religions n’offrent rien de définitif, parce qu’elles nous laissent souvent plus de silences que de réponses, parce que chaque réponse apporte trois autres questions, parce que nous sommes impatients, parce que nous comprenons pas pourquoi nous sommes si limités et si bêtes, etc. Et de cette frustration ressort souvent l’envie de tout sacrer là, d’envoyer paître tout ça et de s’écraser devant les nouvelles à la télé. Les commentateurs de l’actualité semblent tout savoir et avoir une solution pour tout. Pourquoi l'Univers ne peut pas les imiter et nous expliquer son fonctionnement et ses secrets au bulletin de 18h?

On se doute bien évidemment que le Bouddha saura bien apaiser tout les questionnements de Malunkyaputta! Mais comment?

Sa réponse est passé à l’histoire… à suivre bientôt!

Friday, December 3, 2010

La Danse (partie 2)

Suite du post précédent!

Krishna ayant disparu de leur vue, les bergères se mettent désespérément à le chercher dans la forêt. Elles courent ça et là, interrogeant les arbres, les fleurs et les animaux s’ils auraient vu leur Bien-Aimé. Mais il est nulle part. Alors, pour tenter d’ammenuiser la douleur de l’absence de Krishna, elle se mettent à jouer au jeu de l’imiter. Chacune à leur tour, elles recréent les hauts faits-d’armes de Krishna dans Vrindavan. Ici, une l’imite en train de terrasser un démon envoyé par Kamsa. Une autre fait mine de soulever le mont Govardhana dans le ciel pour protéger les villageois.
Le bras appuyé sur une bergère, une autre disait, tout en marchant : « Krishna, c’est moi, voyez ma démarche gracieuse.», tant son cœur était plein de lui.

Et ainsi de suite... ainsi peuvent-elles sentir sa présence au milieu d'elles. Puis, elles se mettent à lui chanter des louanges, remplies d’amour, de douleur, d’ivresse et de poésie.

Non tu n’es pas le fils de la bergère, tu es Celui qui voit au fond du cœur de tous les êtres. O héros, ô toi qui dissipe les souffrances des habitants du Vraj, montre nous ton visage brillant comme le lis des eaux (...)
 

La douceur de ta voix, la grâce de tes discours qui ravissent les êtres intelligents ont jeté le trouble dans l’âme de tes servantes; rends-nous la vie et la force, ô héros aux yeux de lotus, avec le nectar de tes lèvres.
 

Ton sourire, ô bien-aimé, ton regard affectueux, tes joyeux ébats, objets bénis de la méditation, tes secrets entretiens qui remuent l’âme dans ses profondeurs, ô perfide, bouleversent toutes nos pensées. (...)

Rien qu’à te montrer, Seigneur, aux habitants du Vraj et des bois, tu dissipes leurs maux et leur prodigues tous les biens; oh! à nous aussi, dont l’âme soupire après toi, donne nous un peu du remède qui tue chez les tiens le mal qui ronge le cœur. (...)

Et alors Krishna réapparaît soudain devant elles, tout souriant. D’un bond, elles se relèvent toutes et se lancent vers lui, remplies du plus grand des bonheurs. Elles l’étreignent, l’embrassent, mouillent ses cheveux de leurs larmes de joie. Alors lui les guide vers une magnifique île au milieu de la Yamuna. Il s’assoit au centre et elles forment une cercle autour de lui, avides de l'entendre.
Les bergères dirent : « Quelques-uns aiment qui les aime; d’autres, qui ne les aime pas; d’autres encore n’aiment ni dans un cas ni dans l’autre. Oh, daigne nous expliquer cela. »
Le Bienheureux dit : « Là où l’amour n’attend pas de retour, comme chez les êtres compatissants et ceux qui sont parents, là est le devoir parfait, là est l’affection vraie, Ô toutes belles. (…) De même, ô femmes, qui pour moi avez renoncé au monde, au Véda et à tous les vôtres, c’est pour que vous vous tourniez vers moi que, vous aimant à votre insu, je me suis dérobé à vos yeux. Ne blâmez donc pas votre Bien-Aimé, ô bien-aimées! Je ne saurais, même en vous donnant de vivre autant que les Dieux, reconnaître le mérite de votre amour irréprochable…

Et alors les femmes se lèvent et se mettent à faire une danse d’amour en ronde autour de lui. Cet instant de pur félicité, appelé le Rasa-Lila, est le passage le plus exalté et sacré du Bhagavata-Purana, et peut-être même de tout l'hindouisme entier.
La fête du rasa, dont les bergères rangées en cercle faisaient l’ornement, était menée par Krishna : usant de la puissance mystérieuse dont il dispose et se plaçant entre chaque couple de femmes, il passait ses bras autour de leur cou; et chacune d’elle croyait l’avoir auprès de soi. (…)
Et là, au milieu d’elles, le bienheureux fils de Devaki resplendissait comme un gros saphir enchâssé dans des pierreries aux reflets d’or.

Tandis que, à frapper la terre du pied, à agiter les bras, à mouvoir les sourcils avec grâce en souriant, à se briser la taille, à faire flotter les voiles de leurs seins, à secouer sur leurs joues leurs boucles d’oreilles, la sueur inondait leur visage. Et tandis que se dénouaient leurs cheveux et leurs ceinture, les femmes de Krishna brillaient en chantant ses louanges, comme les lueurs de l’éclair sur le cercle du nuage.


Tout en dansant, elles chantaient à haute voix, variant leurs accords, s’enivrant de plaisir et transportés de joie aux caresses de Krishna, dont le Chant remplit l’univers. (…)


Ainsi, parmi les embrassements, les attouchements, les amoureux regards, les jeux et les rires éffrénés, Krishna goûtait le bonheur avec les belles du Vraj, comme l’enfant qui sourit à la vue de son image réfléchie. (…)


Le Bienheureux, se multipliant autant de fois qu’il y avait de bergères, goûta le bonheur avec elles en se jouant, lui qui trouve son bonheur en lui-même. (…)


Et ainsi se termine cette belle histoire que nous raconte l'hindouisme. Histoire de Dieu qui enflamme nos coeur et qui, même s'il nous semble parfois loin et invisible, revient chaque fois nous étreindre dans le plus intime de nous-mêmes, qui sommes son propre reflet.

Wednesday, November 24, 2010

La Danse (partie 1)

Je dis souvent que la Danse de la Pleine Lune, la Rasa-Lila, est à l’hindouisme ce que le Cantique des Cantiques est au monde judéo-chrétien. Au premier regard il s’agit d’une histoire d’amour aux accents fort sensuels, mais les croyants au fil des siècles y ont vu une illustration de la relation intime qui existe entre Dieu et l’humanité. Cet épisode est raconté dans cinq chapitres du Bhagavata-Purana, une sorte de « Bible » qui relate l’histoire du monde de sa création jusqu’à l’arrivé de Krishna (les histoires de mon dernier post en sont également tirées). Le Bhagavatam est l’un des textes fondamentaux de la bhakti, ce mouvement populaire hindou fortement axé sur la dévotion envers Dieu plutôt que l’érudition. C’est qu’avant l’arrivée de la bhakti la religion était réservée à la très exclusive caste des brahmanes. Des maîtres spirituels comme Ramanuja et Caitanya se sont élevés contre cette barrière. Pas étonnant alors que le moment le plus fort de ce livre met en scène de simples bergères (autre parallèle avec le Cantique d'ailleurs), plutôt que des prêtres brahmanes, comme le plus bel exemple d’amour envers Dieu.

À la vue des nuits où le jasmin s'épanouit au souffle de l'automne, Bhagavat, voulant se livrer au plaisir, recourut à la puissance magique du Yoga.

C’est un soir magnifique à Vrindavan. Krishna s’assied près de la rivière Yamuna, sort sa flûte et se met à jouer. Le notes flottent jusqu’au village où les bergères, les gopis, l’entendent. Elles sont aussitôt captivées par cet appel, et délaissent aussitôt ce qu’elles font pour aller retrouver l’objet de leur désir, Krishna. Certaines en oublient même le plat qui cuit sur le feu.

Elles arrivent dans une clarière et le voient, là, l'objet de leur désir. Mais contrairement à ce qu'elle s'attendent, il leur fait des remontrances : « Oh là là, que faites-vous là? Vous avez des responsabilités à remplir, envers vos enfants et vos maris. Retournez-donc chez vous! » Mais Krishna ici ne fait que les mettre à l’épreuve, afin de voir si leur dévotion est au-delà de leurs responsabilités terre à terre. Un peu comme la situation de Marthe et Marie dans l’Évangile de Luc!

Dire que les gopis n'apprécient pas la réplique de Krishna serait un euphémisme. Elles pleurent à chaudes larmes, se lamentent, frappent le sol à coups de peids et de poings. Elles se lamentent à leur Bien-Aimé:
Loin, ô maître, loin de toi ce langage cruel. Nous avons renoncé à tous les objets sensibles pour venir adorer la plante de tes pieds; rends nous amour pour amour, ne nous abandonne pas, ô Dieu insaisissable. 

Oui, le Bien-Aimé, le proche, l'âme de tous les êtres, c'est toi.


Les sages en effet, mettent uniquement leur bonheur en toi, qui est l'essence de leur être et leur bien-aimé de tout les instants; qu'importe tout le reste, maris, enfants et autres sources de douleur?


Verse, ô maître, le lac d'ambroisie de tes lèvres sur le feu de l'amour qu'ont allumé en nous ton sourire, tes regards et tes accords mélodieux.
Devant la persistance et la dévotion de ces femmes, Krishna sourit et commence à répondre à leur désir. Il marche et chante avec elles dans la forêt de Vrindavan, il les étreigne, il leur fait de tendres regards. Devant toutes ces attentions que leur porte Krishna,  le coeur de ces femmes se gonfle...
Fière de posséder ainsi le bienheureux, le magnanime Krishna, elles se crurent, dans leur orgueil, bien au-dessus des femmes de la terre.
Devant cette attitude, Krishna décide pour leur propre bien de s'éclipser, disparaissant d'un coup et laissant ainsi les femmes tristes et gênées de leur conduite. Elles réalisent leur arrogance et crient au Bien-Aimé pour qu'il revienne. Elle ressentent ce que les hindous appelle le viraha, la plus grande douleur, celle d'être séparée de Dieu.

Mais bien sûr, sa "disparition" n'est que temporaire...

À suivre...

Saturday, November 20, 2010

L'enfance de Krishna

L’hindouisme, plus que toute autre religion, comporte dans ses nombreux récits et mythes une multitude de héros, personnages et aspects de la divinité qui lui donnent une couleur tout à fait unique. Mais parmi tout ceux-ci, aucun n’exerce autant de fascination que Krishna, l’homme-Dieu qui est le principal narrateur du texte le plus sacré de l’Inde : la Bhagavad Gita. Sa vie et ses aventures sont fortement ancrées dans l’imaginaire collectif indien. Elles sont racontées aux enfants avant de dormir, et elles sont minutieusement commentées par les plus sérieux théologiens. Le charme de Krishna est son accessibilité. Son message est clair et sa vie est à bien des égards une illustration de la relation entre l’humain et Dieu, qui prend la forme de Lila, c’est à dire d’un éternel divertissement divin, rempli de beauté et d’espièglerie! Je me propose de vous raconter cette histoire dans mes prochains posts.

Alors voilà, le monde est dominé par une multitude de rois cruels et avides de richesses, et la loi divine, le Dharma, n’est plus respectée. Krishna est en fait la 8e incarnation de Vishnu, l’aspect de Dieu voué à préserver et soutenir le monde. Krishna est le fils d’un prince, mais dès sa naissance ses parents Vasudeva et Devaki le cachent dans une famille de berger afin de la protéger du méchant roi Kamsa. Il faut savoir que Kamsa,, a reçu une prophétie lui disant que le fils de Vasudeva mettrait fin à son règne en le tuant. Pour être certain que Krishna soit tué avant lui, il ordonne la mise à mort de tout les nouveaux-nés (ça vous rappelle quelque chose?). Heureusement, les parents adoptifs de Krishna, Nanda et Yashoda, sont déjà bien loin, dans le village enchanteur de Vrindavan, au pied du mont Govardhan.
Krishna volant du beurre

Krishna grandit parmi les bergers, entourés de ses parents adoptifs ainsi que de tout les gens de Vrindavan, qui sont tous également d’humbles fermiers. Il est un enfant très espiègle et joueur, qui aime bien, quand sa mère n’est pas là, aller dans la cuisine y voler la jarre de beurre pour se bourrer la fraise! Krishna adore également jouer avec les jeunes garçon du village, ou jouer quelques notes sur sa flûte.

Bien vite, les gens du village se rendent compte que l’enfant est spécial : il est un Avatar, une incarnation de Dieu sur terre. Un épisode rapporte qu’un jour, Krishna mange de la terre. Sa mère Yashoda le voit et le gronde : « tu as encore mangé de la terre, c’est pas bien! ». « Non, pas vrai, pas mangé la terre », pleurniche l’enfant. Yashoda oblige Krishna à ouvrir la bouche. Mais en regardant dedans, Yashoda y voit l’univers entier!

Apprenant que Krishna est vivant, Kamsa envoie une multitude de démons pour tenter de le tuer. La plupart prennent la forme d’animaux géants qui terrorisent les bergers. Mais l’enfant Krishna les défait tous, souvent avec l’aide de son frère Balaram. Les gens de Vrindavan sont en amour avec lui, sa présence leur apporte joie, prospérité et sécurité. Les devas (demi-dieux), ignorant qu’il s’agit de Dieu lui-même, se mettent eux aussi à jalouser Krishna et à lui causer du trouble. Brahma capture tous les jeunes amis de Krishna et les cache dans une caverne. Pourtant, lorsqu’il retourne à Vrindavan, il voit ces mêmes amis de Krishna en train de vaquer à leurs occupations. Mais que se passe-t-il? Il retourne à la caverne et pourtant les garçons sont là… puis il comprend. Bien qu’il semblait y avoir une multitude de gens dans le village, ce n’était en fait que Krishna qui s’était multiplié et jouait le rôle des garçons enlevés afin d’épargner la tristesse à leurs parents et aussi pour narguer Brahma.
Krishna soulève la colline

Tanné de se faire achaler par les devas, Krishna demande aux gens du village de cesser de leur faire des sacrifices. Le chef de dévas, Indra, est furieux et envoie un déluge sur Vrindavan. Mais Krishna soulève du bout du doigt le mont Govardhan et les gens peuvent se mettre à l’abri le temps que la tempête passe. Indra doit s’avouer vaincu.

Ainsi va la vie à Vrindavan. Krishna devient un beau jeune homme et bien sur les jeunes femmes ne sont pas indifférentes face à lui. Elles rêvent toutes secrètement de l’avoir pour amant. Ce qui nous mène à un des épisodes les plus marquant et significatifs de la théologie dévotionnelle hindoue, la danse Rasa. Mais ça, c'est pour le prochain post!

Thursday, November 11, 2010

L'Affaire

DAME : Qui vous a mis sur la terre?
LA FOULE, SUR UN TON RÉCITATIF : C’est l’Affaire qui nous a mis sur la terre.

D : Pouvez-vous vouère l’Affaire?
F : Non, parce que l’Affaire n’a pas de corps.

D : Qu’est-ce donc l’Affaire?
F : L’Affaire est une sur-Affaire.

D : Qui a fait l’Affaire?
F : Personne! L’Affaire a toujours été l’Affaire.

D : L’Affaire nous voit-elle?
F : Oui, l’Affaire nous voit toujours.

D : L’Affaire connait-elle tout?
F : Oui, l’affaire connait tout.

D : Où est l’Affaire?
F : L’Affaire est partout.

D : Combien y-a-t’il d’Affaires?
F : Il n’y a qu’une seule Affaire.

D : Combien y-a-t’il d’Affaires dans l’Affaire?
F : Il y a trois Affaires dans l’Affaire.

D : Quelles sont les trois Affaires dans l’Affaire?
F : Les trois Affaires dans l’Affaire sont : l’Affaire, l’Affaire et l’Affaire.

D : Les trois Affaires font elles trois Affaires?
F : Non, les trois Affaires ne font qu’une seule Affaire.

D : Pouvez-vous comprendre que les trois Affaires dans l’affaire ne fassent qu’une seule Affaire?
F : Oui! Chouuuuuuuuuuuuuuuu! (suivi d’un chaos sonore)


- Extrait de l'Ode à l'Affaire, de l'album "Volume 3" du groupe québécois l'Infonie, 1970
Texte très amusant qui l'est encore plus quand on l'entend sur l'album. On réalise qu'à l'époque les gens n'avaient pas une grande liberté pour former leur propre conception du Divin! On répétait ce qui était dans le catéchisme de l'Église Catholique, ou bien la maîtresse était pas contente...

Y comprenez-vous quelque-chose?
Ce texte semble également se moquer du concept de Trinité, qui ma foi est un concept très rouillé et qui ne fait pas beaucoup de sens, du moins dans sa version orthodoxe. Des tonnes de pages ont été écrites par des théologiens pour se démêler là-dedans. Toutefois, j'ai ma petite facon à moi de voir la chose. Ce ne sont en fait que trois facon dont on peut concevoir Dieu.

Le Père: Dieu en tant que réalité transcendante, invisible, Toute-Autre.
Le Fils: Dieu en tant que réaité immanente, Dieu qui s'incarne dans chaque personne et dans chaque chose.
L'Esprit: l'espace de mystère et de communication qui existe entre les deux premiers.

Vu comme ca, je trouve que le concept de Trinité peut etre bien joli. Mais loin d'être essentiel et central comme le font croire la plupart des églises chrétiennes!

Tuesday, November 9, 2010

Vérité historique, vérité spirituelle

 Puisque le focus de mon blog porte sur les textes sacrés, j’aimerais préciser un point les concernant. Plusieurs de ces textes sacrés décrivent la vie de personnes et le déroulement de grandes sagas dont on peut mettre en doute qu’ils se sont réellement produits. Or, la réalité historique d’un texte ou d’un personnage religieux doit-elle modifier la façon dont nous la percevons?

Jésus est-il entièrement comme le décrit le Nouveau Testament? Moise a-t-il séparé les eaux de la mer rouge? Krishna a-t-il même réellement existé? Ces questions sont légitimes et il est pertinent d’y réfléchir. Toutefois, à un certain niveau, il faut cesser à un moment de se les poser.

L’Histoire est bien plus une construction contemporaine qu’une réalité objective. Un bouddhiste ou un hindou pourraient même vous dire que le concept de « passé » est une illusion totale, une chimère de l’esprit, et que seul le présent existe. Je n’irai pas aussi loin, car l’histoire en tant que science est très importante (pour éviter sa manipulation par des dirigeants peu scrupuleux entre autres). Mais je crois qu’il faut accepter qu’il existe une autre histoire, moins scientifique mais plus près de nos coeurs, qui est le Grand Roman écrit collectivement par l’humanité entière depuis l’aube des temps. Et Krishna et Bouddha et Jésus et Mahomet sont la présence réelle et concrète de Dieu dans ce Grand Roman, et pas seulement des notes de bas de pages dans une encylopédie.

Origène, un père de l’Église, disait ceci de l’Évangile de Jean :

"L’Évangile de Jean ne dit pas toujours la vérité littéralement, mais il dit toujours la vérité spirituellement"

On pourrait dire cela de bien des textes sacrés! Et là, je ne veux pas tomber dans une espèce de mythisme réducteur, ie, réduire les histoires sacrées au rang de mythes qui nous apprennent des choses sur la vie au même titre que des histoires comme le Petit Prince. On parle ici de récits qui nourissent profondément des millions de gens et qui sont une présence réelle et tangible dans ce monde. Quand je prie Jésus ou Krishna, c’est à de véritables personnes ayant une véritable existence que je m’adresse, nonobstant de ce que l’histoire dit. Et ils me répondent, à leur façon, et leur voix est plus réelle et concrète que la voix du type des sondages qui a appelé tantôt!

Friday, November 5, 2010

L'hindouisme

OM, le symbole sacré de l'hindouisme
(Texte que j'ai originellement publié sur le site Caféchange )

Je me définis comme chrétienne, mais c’est seulement à cause de l’importance qu’a Jésus dans ma vie, et parce que je veux suivre son chemin. Toutefois, ma vision de Dieu, de la vie, du monde ont été influencées par bien plus que le christianisme…

Ceux qui me connaissent bien savent que l’hindouisme occupe une grande place dans mon cœur. L’hindouisme est une religion aux milles formes et milles couleurs qui a su s’adapter et s’enrichir dans la diversité et dans le contact avec d’autres traditions et d’autres religions. C’est un peu le reflet de ma propre spiritualité qui est très curieuse et qui intègre toutes les influences.

Comme pour bien des gens, mon premier contact avec l’hindouisme s’est fait à travers son texte le plus sacré, la Bhagavad Gita. La lecture de ce tout petit livre m’a complètement jetée par terre, presque autant que lorsque j’ai lu les Évangiles. L’enseignement de Krishna sur le détachement, l’équanimité et la sagesse est venu me chercher au plus profond de moi même, et il se passe rarement une semaine où je ne vais pas en lire quelques versets.

Évidemment au cours des mois qui ont suivi j’ai dévoré les Upanishads et autres textes fondateurs hindous. Ceux-ci, comme les livres de la Bible, ont été écrit à des époques et par des personnes bien différentes. Et tout comme la Bible, ils présentent donc des idées et de conceptions qui peuvent sembler contradictoires. Mais à travers tout ce mélange d’idées on peut quand même tisser un  portrait de ce qu’est Dieu pour les hindous.

Notez que je dis bien Dieu et non « dieux ». Car non, contrairement à ce que plusieurs pensent, les hindous ne sont pas polythéistes. La très grande majorité est monothéiste, mais c’est un monothéisme  vraiment différent.
Chez les hindous, le concept le plus fondamental et universel est celui de Brahman, c'est-à-dire la base divine, éternelle, omniprésente, impersonnelle et indescriptible de toute existence. Il est vu comme étant  toute chose, tous les univers et toutes les âmes. Les textes les plus sacrés de l’hindouisme, la Gita et les Upanishads, sont ceux qui portent sur Brahman. Attention, ne pas confondre Brahman et Brahma. Brahma n'est que l'aspect "créateur" de Brahman.

Le Seigneur Krishna
Il existe de nombreuses façons d’approcher Dieu, mais la plupart des hindous le vénèrent sous une des trois formes personnelles que sont Vishnu (et ses incarnation Rama et Krishna), Shiva et Shakti (la Mère Divine). Il existe des différences substantielles entre les trois dénominations majeures mais elles vivent en harmonie depuis des siècles, parce qu’il y a l’accord fondamental que toute divinité est un aspect de l’Être Suprême. Tout comme le sont YHWH, Allah et le Père, dirait n’importe quel hindou.

Ce qui est merveilleux avec Brahman,c’est qu’ il se personnalise dans des milliers de formes dans l’univers. Il apparaît sous la forme de dieux à la peau bleue ou à tête d’éléphant, de déesse à six bras chevauchant un tigre. Il apparait sous la forme d’animaux, de tortues, de sangliers. Il prend la forme des forces de la nature, des montagnes, des brins d’herbes. Il prend la forme de guerriers d’antan, de rois célèbres, de prophètes et de saints ascétiques. Enfin, il prend forme dans chacune des âmes individuelles. Pour l’hindou, tous sont différents visages d’un Dieu unique dont fait partie chaque partie de l’univers. En fait, l’univers en soi est vu comme une incarnation de Brahman. À la fin de cet Âge, on dit que l’univers se résorbera et retournera à l’état indivisé en Dieu.

Pourquoi Dieu s’incarne-t-il ainsi dans l’univers? Les hindous ont un joli mot pour l’expliquer : lila, c'est-à-dire amusement. Dieu aurait créé l’univers de façon spontanée et espiègle, sans but précis, dans un acte rempli de simple béatitude. Un sage hindou a déjà comparé le lila de Dieu à une danse qu’un enfant entame spontanément même s’il n’y a pas de musique ni personne pour le regarder, simplement pour la joie que ça lui apporte. Joli non?

En tout cas, moi je trouve ça joli. En fait, sous bien des aspects, ma vision de Dieu correspond plus à celle de l’hindouisme, en ce sens où je crois également que tout l’univers est Un en Dieu. Mais cette vision n’est pas non plus étrangère au christianisme. On n’a qu’à lire l’évangile de Jean, l’évangile de Thomas ou bien les écrits de Maître Eckhart ou Teilhard de Chardin pour s’en rendre compte.

J’aimerais terminer ce blog avec une suggestion de lecture. Le livre, s'appelle "Le Yoga du Christ" et a été écrit par Ravi Ravindra (il est à la Grand Bibliothèque). C’est une exploration de l’évangile de Jean sous un regard hindou. C'est un livre simple et très respectueux de la tradition chrétienne, qui vient apporter quelques éclairages différents sur cet évangile très mystique. Et c’est un très bon point de départ pour un chrétien voulant apprendre sur la pensée hindoue. Je le suggère fortement.

Évangile de Thomas : faire le deux Un

Jésus vit les petits qui étaient au sein. Il dit à ses disciples :
Ces petits qui tètent sont semblables à ceux qui entrent dans le Royaume.

Ils lui dirent :
Alors, en devenant petits, nous entrerons dans le Royaume ?

Jésus leur dit :
Lorsque vous ferez le deux Un et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur,
l’extérieur comme l’intérieur,
le haut comme le bas,
lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique,
afin que le masculin ne soit pas un mâle
et que le féminin ne soit pas une femelle,
lorsque vous aurez des yeux dans vos yeux,
une main dans votre main
et un pied dans votre pied,
une icône dans votre icône, alors vous entrerez dans le Royaume !

- Évangile de Thomas, 22

Voilà une bien étrange parole de Jésus, qui peut sembler n’avoir aucun lien avec ce qui est dans le Nouveau Testament. Pourtant, elle évoque plusieurs passages bien connus : Jésus et les enfants (Luc 18), l’intérieur de la coupe et l’extérieur de la coupe (Luc 11 :40), la prière pour l’unité (Jean 17). Seulement, ces thèmes sont ici réunis dans un appel de Jésus à détruire toutes les oppositions afin de revenir à un état d’Unité.

Il s’agit ici d’un des nombreux passages de l’Évangile de Thomas à forte saveur non-dualiste. Mais qu’est-ce que ca mange en hiver ca le non-dualisme? En hyper-simplifié, il s’agit d’une vision du monde où il n’existe pas « deux choses », où seul Dieu est réel et où tout ce qui existe est en fait une facette de Lui.
Le non-dualisme est une conception du monde et de Dieu qui est compatible avec à peu près toutes les religions. Ainsi, l’advaita-vedanta dans l’hindouisme, le zen dans le bouddhisme, la kabbale dans le judaisme et le soufisme dans l’Islam sont tous des tendances mystiques de leur religion respective qui tendent à divers degrés vers une conception non-dualiste du monde. Du côté chrétien, on a également de nombreux exemples: le gnosticisme, certains mystiques du moyen-âge, Maître Eckhart, la Science Chrétienne, le Cours en Miracles, etc.

 Le bébé auquel Jésus fait référence n’a aucune conscience d’être séparé de l’univers. Pour lui tout est simple, tout fait partie de lui.  Toute sa vie, il  se fera plus souvent dire ce qu’il n’est pas plutôt que ce qu’il est. «Tu n’est pas Dieu, tu n’est pas cette personne là-bas, tu n’est pas cette roche, tu n’est pas un corps et/ou tu n’est pas une âme, etc». Le non-dualisme renverse la vapeur : «Tu es toute vie, tu es toute roche, tu es toute âme et tous corps, tu es Dieu!»

Jésus a dit :
«Je suis la lumière qui est sur eux tous. Je suis le Tout. Le Tout est sorti de moi et le Tout est venu à moi. Fendez du bois, je suis là ; soulevez la pierre, vous me trouverez là.»


-Évangile de Thomas, 77

"Soulevez la pierre, vous me trouverez-là"
«Sacrilège, dira-t-on, il faut être le pire égocentrique pour se prendre pour Dieu!» Et pourtant, les grands sages du non-dualisme étaient les êtres les plus humbles et non-violents qui soient. La réalisation de son unité avec la création apporte une lourde responsabilité, car ce n’est plus son propre bien-être qui apportera satisfaction, mais le bien-être de la création entière. C’est la lourde responsabilité d’être « parfait comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5 :48).

Pour le non-dualiste la frontière qui existe entre Dieu et l’âme individuelle est une illusion. Cette frontière, souvent nommé ego (le « moi »), voudrait faire croire que Dieu est en haut et que nous sommes en bas, voudrait faire croire que moi et mon frère avons deux âmes totalement séparées l’une de l’autre. Cette illusion n’est ni totalement bonne ni totalement mauvaise. Elle est, tout simplement, et le pourquoi de son existence est le Mystère. En elle se produisent les plus grands prodiges et les plus grands drames, les plus grands apprentissages et les plus cruelles erreurs. Le but du sage n’est pas d’échapper au monde de dualité, mais d’en connaître sa source et de savoir qu’ultimement il faudra la transcender. Alors autant le bébé devient plus mature en quittant son monde égocentrique pour apprendre à vivre en relation avec l’autre, autant l’adulte devient plus mature en quittant son monde de dualités et en réalisant son Unité avec l’Autre.

Jésus disait :
Si vous faites le deux  UN 

vous serez Fils de l'Homme.
Et si vous dites : Montagne, éloigne-toi, elle s'éloignera.


-Évangile de Thomas, 106

Je ne vous cacherai pas qu’à mes yeux Jésus était un homme qui avait réalisé son unité avec Dieu, ce qui lui permettait d’affirmer « le Père et moi sommes Un ». Jésus savait que chaque être humain avait la possibilité de d’en arriver à cette réalisation, et il a essayé de l’enseigner « en douceur » aux foules de son époque avec ses paraboles, son éthique et son concept de Fils de Dieu. Jésus était-il véritablement non-dualiste? Après tout, dans bien d’autres passages Jésus semble dire toute autre chose. À chacun de se faire son opinion… en effet la beauté du christianisme est d’avoir tout un florilège de manières de voir sa vie et son message, tout comme nous avons plusieurs évangiles différents avec chacun leur saveur.

Celui qui voit dans ce monde de multiplicité, l'Unique qui pénètre tout; celui qui trouve dans ce monde de mort, la Vie Infinie Unique; celui qui trouve dans ce monde d'insensibilité et d'ignorance, la Lumière et Connaissance Unique - à celui-là appartient la paix éternelle. À nul autre, à nul autre.

- Swami Vivekananda

Wednesday, November 3, 2010

Sourate du Vide

Désapprendre. Déconditionner sa naissance.
Oublier son nom. Etre nu. 


Dépouiller ses défroques. Dévêtir sa mémoire.
Démodeler ses masques. 


Déchirer ses devoirs. Défaire ses certitudes. 
Désengranger ses doutes. Désemparer son être. 

Débaptiser sa source. Dérouter ses chemins.
Défeuiller ses désirs. Décharner ses passions. 

Désacraliser les prophètes. Démonétiser l'avenir.
Déconcerter l'antan. Décourager le Temps. 

Déjouer la déraison. Déflorer le délire. 
Défroquer le sacré. Dégriser le vertige. 

Défigurer Narcisse. Délivrer Galaad. Découronner
Moloch. Détrôner Léviathan.


Démystifier le sang. Déposséder le sage. Déshériter
l'ancêtre. 


Désencombrez votre âme. Déséchouez vos échecs. 
Désenchantez le désespoir. Désenchaînez l'espoir.

Délivrez la folie. Désamorcez vos peurs.
Désarrimez vos coeurs. Désespérez la Mort. 

Dénaturez l'inné. Désincrustez l'acquis. 
Désapprenez-vous. Soyez nu.

- Poème tiré du recueil Sourates de Jacques Lacarrière (éditions Fayard).
Pour moi une preuve frappante que l'esprit de folie, de passion et de liberté qui animait la plume des prophètes d'antan existe encore aujourd'hui. Preuve également que cet esprit ne limite pas son action aux auteurs religieux!

Comment oser écrire ou prononcer quoi que ce soit face à ca? Ce poème est un appel à se la fermer pour une fois, à s'oublier et à laisser notre être se transformer, se laisser transformer.

Mais sommes-nous capable d'un tel abandon?

Thursday, October 28, 2010

Une nouvelle TOB!

Je viens d’apprendre que L’Alliance Biblique Française va publier dans deux semaines une nouvelle version de la Traduction Œcuménique de la Bible. Celle-ci, comme les  éditions précédentes, sera disponible en version standard et en version à notes intégrale. Évidemment, la traduction sera révisée, ainsi que toutes les introductions et notes. Mais la grande nouveauté de cette édition est la plus grande participation des orthodoxes au processus, alors que certains livres acceptés seulement dans leur canon seront inclus : 3 et 4 Maccabées, 3 et 4 Esdras (2 Esdras étant Néhémie), la prière de Manassé et le Psaume 151.

Le lancement d’une nouvelle traduction de la Bible est toujours un événement excitant pour moi car ca me donne l’occasion de la lire sous un nouvel œil. J’ai chez moi une quinzaine de traductions françaises et anglaises et chacune apporte un petit quelque chose que j’aime. Ma favorite est la Nouvelle Segond, parce qu’elle est précise à l’os. Mais j’adore également les traductions dynamiques en langage courant comme la Parole de Vie, la Scholar’s et The Message.

J’aime la TOB pour ses introductions et notes très intéressantes, qui vont plus loin que de simples détails scientifiques sur des points de traduction. Elle tente d’apporter un éclairage théologique sur le texte sans toutefois tomber dans le commentaire doctrinal. La traduction est fidèle et fluide, bien que le langage soit vieillot par endroit (ex : le Verbe au lieu de la Parole). La révision est donc une bonne nouvelle, et je brûle de hâte d’enfin lire les deutérocanoniques orthodoxes dans ma langue maternelle. J’ai pu voir le début de la Genèse et le style semble se rapprocher beaucoup de l’original hébreux. Ca promet!

Site officiel de la nouvelle traduction

Tuesday, October 26, 2010

Le passage

"Soyez passants"
- Évangile de Thomas, 42

Cette petite parole de Jésus a donné titre à mon blog, tout simplement parce que je l'aime beaucoup! C’est une des paroles les plus énigmatiques de l’Évangile de Thomas, qui peut être interprétée de bien des façons. Il faut savoir que le « passage » est un thème qui revient souvent dans la littérature sacrée. Pensons par exemple au passage de la mer rouge et du désert évoqué dans la Torah, qui représente en fait allégoriquement le passage de l’âme dans la vie.



La vie est si brève, qu’on peut se demander si ca vaut la peine de s’y impliquer à fond, si ce faisant on risque de passer à côté de la vie spirituelle. Jésus peut sembler ici dire qu’il faut vivre en étant détaché du monde, y passer comme un coup de vent sans aucune attache. « Être dans le monde mais pas de lui », comme le dit la fameuse prière de Jésus de l’Évangile de Jean.

"Et maintenant je vais à toi. Je parle ainsi pendant que je suis encore dans le monde, afin qu'ils aient en eux-mêmes ma joie, une joie complète. Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs parce qu'ils n'appartiennent pas au monde, comme moi je n'appartiens pas au monde. Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais. Ils n'appartiennent pas au monde, comme moi je n'appartiens pas au monde."

- Évangile de Jean, 17 : 13-16

Certains ont interprété ces paroles pour affirmer qu’il faut s’éloigner du monde, ou du moins s’isoler émotivement de lui afin d’éviter qu’il nous « salisse ». Quant on lit certains classiques chrétiens du Moyen-âge comme par exemple l’Imitiation du Christ, le dégoût pour le monde est fort apparent. Et si on ajoute à ca les passages où Jésus demande de détester sa propre vie, on pourrait penser que Jésus ne trippait vraiment pas sur notre petite planète!

Jésus fêtant
Et pourtant, le message de Jésus est bien loin de la rêvasserie détachée du monde. Au contraire, s’il y a un type qui a insisté pour qu’on soit dans le monde, et que l’on aime le monde, c’est bien Jésus. Il n’était pas un illuminé qui passait ses journées à admirer les nuages… il parcourait les chemins, guérissait les gens, parlait, fêtait et buvait avec eux, peu importe leur statut social. Ses enseignements touchent au quotidien, à notre façon de vivre les uns avec les autres.

La clé de ce logion de Thomas nous vient peut-être, de facon surprenante, d’une parole qui est attribué à Jésus dans l’Islam. En effet, dans une très ancienne mosquée À Fatehpur Sikiri, en Inde, une gravure sur un mur indique que Jésus aurait dit ceci :

"Le monde est un pont. Traversez le mais n’y bâtissez pas votre maison."

Cette citation est largement répétée dans la littérature musulmane. Le pont, faut le traverser. Et il ne faut pas le traverser en regardant en l’air en se disant que c’est plus beau en haut qu’en bas. Sinon, on risque non seulement de manquer le paysage mais aussi de faire un faux pas et tomber en bas. Ou pire, passer à côté d’un frère ou une sœur qui s’est perdu. Les écueils du matérialisme sont nombreux, mais les écueils de l’ascétisme le sont presque autant.

"Ce ne sont pas ceux qui manquent d'énergie ou s'abstiennent d'agir, mais plutôt ceux qui agissent sans attendre rien en retour qui atteignent le véritable but de la méditation. À eux est la vraie renonciation."
- Bhagavad-Gita 6:1 (adaptation francaise de la traduction de Eknath Easwaran)

Alors aimons la vie! Il faut tout simplement éviter de regarder ses pieds, de s’accrocher de façon égoïste à la vie, d’oublier qu’elle nous a été prêtée pour un bref moment. Vivre au jour le jour plutôt que d'attendre des récompenses futures. Regarder ni en haut ni en bas donc, mais droit devant!

Le théologien orthodoxe Jean-Yves Leloup, dans son incontournable commentaire de l’Évangile de Thomas, a écrit cette merveilleuse remarque qui résume tout.
"Un passant voit toutes choses pour la première et la dernière fois. Il ne se retournera pas en arrière. Il goûte chaque instant comme le lieu même du passage vers l’Éternel Présent."

Pour terminer, voici une jolie prière dite par « Jésus » (du moins inspiré de lui) dans un autre apocryphe, les Actes de Jean. Elle aussi parle de « passage », et du Christ qui est là pour nous y guider et non pas pour nous le faire manquer!

"Je suis une lampe pour toi qui me regarde.
Je suis un mirroir pour toi qui me percois
Je suis une porte pour toi qui frappe à moi.
Je suis un chemin pour toi, passant."

Joli non?

Sunday, October 24, 2010

Évangile de Thomas: la quête

Jésus a dit :

Celui qui découvrira le sens de ces paroles ne goûtera pas à la mort.

Que celui qui cherche n’arrête pas de chercher, jusqu’à ce qu’il trouve. Quand il aura trouvé, il sera bouleversé et, étant bouleversé il sera émerveillé et il règnera sur le Tout.

Si vos guides vous disent que le Royaume est dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous devanceront. S’ils vous disent qu’il est dans la mer, alors les poissons vous devanceront. Mais le Royaume est en vous et hors de vous. Quand vous vous serez connu, alors vous serez connus et vous saurez que vous êtes les enfants du Père Vivant. Mais si vous ne vous connaissez pas, alors vous êtes dans la pauvreté, vous êtes la pauvreté.

Que l’homme âgé n’hésite pas à interroger un enfant de sept jours sur le lieu de la Vie et il vivra, parce que beaucoup des premiers seront les derniers et ils seront Un.


- Évangile de Thomas, 2-4

En 2002, comme bien des jeunes de 20 ans, je commencais l’université, je travaillais dans un dépanneur la fin de semaine et je me souciais bien peu de la spiritualité. Je ne peux pas dire que j’étais athée… je croyais en une réalité spirituelle que la science ne pouvait expliquer. Mais je ne croyais pas en Dieu, ou du moins je ne croyais pas en la seule conception de Dieu que l’on m’avait présentée jusque-là.

J’avais un grand respect pour Jésus. Sans trop connaître en détail ses gestes et paroles, j’avais tout de même une idée générale du genre d’homme qu’il était et je le considérais comme un être humain admirable, sans plus. Mais il suscitait ma curiosité, comme tous les grands personnages de l’histoire qui ont un « côté secret ». C’est pourquoi j’ai eu envie d’aller lire cet évangile « interdit » sur internet.

Hors, dès les premières lignes, celles qui sont reproduites ci-haut, j’ai constaté que j’avais affaire à un document vraiment spécial! Il se présentait comme une énigme; en trouver le sens offrait la clé pour le plus grand rêve de l’humanité : l’immortalité. On devinera que Jésus ne parle pas du corps physique ici!

La devise de Socrate
Malgré ma relative ignorance du langage religieux, certaines des idées contenues dans ces quelques paroles m’étaient familières. Tiens, le «connais-toi toi-même»… j’avais entendu cette phrase dans mes cours de philo du cégep. En effet, il s’agit ici de la devise de Socrate, qui lui avait été donnée par l’Oracle de Delphes. Mais bon, on est au cégep et on se dit « ben, c’mon, j’me connais là tsé » et on passe à autre chose.

Le mot Royaume aussi m’était familier, je l’avais entendu dans mes cours de catéchèse. C’était un concept flou que les profs n’expliquaient jamais très bien. J’avais une vague notion qu’il s’agissait du paradis, images kétaines de nuages et d’anges chantants en prime.

Toutefois, ce qui m’a interpellée le plus c’était que Jésus parlait ici d’une quête. Une quête? Pourtant on ne m’avait jamais présenté la spiritualité comme ca. La religion, c’était aller à l’église se faire dire un sermon par un curé. Pas énormément de recherche à faire là-dedans. Une quête? L’idée évoque quelque chose de nouveau et excitant, elle appelle au côté aventurier de l’être humain. Elle évoque des contes avec de grands paysages, des mystères et des dangers inattendus, un trésor fabuleux.

Présentée ainsi comme une quête, la vie spirituelle prend un tout autre sens. Elle devient porteuse d’un espoir nouveau, celui d’être étonnée! Oh, il y a risque d’être bouleversée aussi, mais ca fait partie de tout conte intéressant. Et quelle était pour moi la partie la plus étonnante, voire bouleversante des ces quelques premiers mots de l’Évangile de Thomas?

Le fait que pour Jésus, se connaître soi-même, c’est reconnaître que non seulement nous sommes enfants de Dieu, mais nous faisons Un avec lui. Attaboy!

Aldous Huxley
L’idée est vieille et universelle. Les mystiques de toutes les religions l’ont mentionnée, des moines chrétiens aux yogis hindous aux sages soufis. C’est ce que l’auteur et penseur Aldous Huxley, constatant la présence de l'expérience unitive dans toutes les cultures du monde, a nommé la philosophie péréniale. Car à travers tous les rituels, les clergés, les lois, les dieux qui ont décoré l’histoire humaine, la quête de l’union de l’Être avec Dieu est le fond commun.

Mais bien sûr, je ne savais rien de tout ca à l’époque. Mais le concept était tout rafraîchissant pour moi. Il venait appeler à quelques intuitions que j’avais déjà eues par rapport à ma place dans l’univers.

Pas longtemps après ca j’ai acheté ma première Bible. Pas pour des raisons religieuses en fait, mais seulement par curiosité intellectuelle. J’avais envie d’aller lire plus en détail l’histoire de Jésus. Je ne m’en rendais pas encore compte, mais ce jour là une graine avait été semée dans un bon terreau.

Saturday, October 23, 2010

Évangile de Thomas: l'histoire

Il n'y a rien de caché qui ne sera dévoilé.
- Évangile de Thomas, 5

Je sais que ca ne devrait pas, mais je reste toujours étonnée quand je parle avec des amis chrétiens et qu’ils ne connaissent pas l’Évangile de Thomas. C’est que pour moi ce texte a une telle importance qu’on dirait que je le prends comme acquis. Pourtant, ca ne fait que 65 ans qu’il a été redécouvert, et ca ne fait que 10-20 ans qu’on en parle dans les ouvrages grand public...

Alors voilà, l’histoire commence avec les hérésiologistes de l’église primitive, comme Origène et Irénée, qui décident de fixer le canon scriptural ainsi que la doctrine de la religion chrétienne naissante. Leur textes condamnent de nombreux mouvement et de nombreux textes, dont entre autres des évangiles, des actes d’apôtres, des apocalypses… La décision étant prise de s’en tenir à quatre évangiles (nombre très symbolique), les autres sont rapidement éliminés de la circulation. C’est pourquoi de nombreux évangiles mentionnés dans les écrits de l’époque disparaissent à ce moment-là : Évangile de Thomas, Évangile des Ébionites, Évangiles des Nazoréens, Évangile de Judas, Évangile des Hébreux, etc.

Faisons marche avant jusqu’à la fin du 19e siècle, où l’on découvre à Oxyrhynchus, en Égypte, un papyrus, écrit en grec et très endommagé, contenant des paroles inédites de Jésus. Le document est très fragmentaire et sa découverte se fait dans l’indifférence générale du public. Mais la curiosité des spécialiste est sérieusement piquée!

Les manuscrits de Nag Hammadi
En 1945, un jeune homme de Nag Hammadi, encore en Égypte, découvre dans une caverne des jarres remplies de vieux manuscrits. Il les rapporte à la maison où sa mère commence à s’en servir pour nourrir le feu de la cuisine. Heureusement le jeune homme réalise l’importance de sa découverte et donne les manuscrits à un prêtre, qui les donne à un revendeur, qui est ensuite saisi par les autorités égyptiennes. Les papiers tombent enfin dans les mains des spécialistes qui n’en reviennent pas : il s’agit ici d’une bibliothèque entière de textes reliés au mouvement gnostique, une secte chrétienne disparue depuis la fin du 4e siècle! On y trouve là des dizaines de textes d’une très grande richesse littéraire, écrits en copte.

Les gnostiques qui ont réunis ces textes faisaient partie de la frange plus mystique du christianisme naissant. Disons que pour eux, le monde physique était une illusion créée par un faux dieu, et que la vérité se trouvait à l’intérieur de l’individu. Alors seulement par la gnosis, la connaissance de soi, et la sophia, la sagesse divine, l’être humain pouvait retourner à l’état originel d’unité avec le Divin. Cette idée pourtant très simple et universelle était toutefois camouflée, chez les gnostiques, par un langage ésotérique, une cosmogonie très compliquée et des rituels initiatiques réservés à une élite peu nombreuse. Peu étonnant qu’ils aient été chassés comme la peste par l’église de Rome.

L'apôtre Thomas dans la scène bien connue
La plupart des textes de Nag Hammadi sont très compliqués, voire indéchiffrables. Pourtant, il y en a un là dedans qui semble être un intrus et qui a eu tôt fait d’enflammer la passion des traducteurs. En effet, on venait de découvrir la version complète de l’évangile d’Oxyrhynchus! Attribué à Thomas Didyme, l’apôtre sceptique ici élevé au rang de jumeau spirituel du Christ, cet évangile ne suit pas la formule habituelle des quatre évangiles canoniques. Ici, pas de récit, pas de miracles, pas de crucifiction ni de résurrection. Seulement 114 paroles de Jésus, rassemblées un peu dans le désordre.

Sur ces 114 paroles, ou logions comme on les appelle souvent, la plupart sont des versions alternatives des paroles et paraboles que nous connaissons tous. Le style est plus archaique et oral que dans les évangiles canonique, ce qui fait penser à plusieurs que l’Évangile de Thomas leur serait antérieur. Mais à travers le terrain connu se trouvent des paroles inédite qui sont étonnantes, voire même déroutantes, pour nous qui croyions tout connaître de Jésus.

Car ici Jésus parle du Royaume comme étant à l’intérieur de chaque être humain et accessible par là connaissance de soi-même. Jésus parle du Royaume comme du lieu où toutes les dualités du monde matériel perdent leur sens. Jésus, en fait, parle du Royaume comme étant l’état d’une personne qui a réalisé son unité avec Dieu et la création. On ne se demande pas pourquoi ce texte a été mis à l’index! Encore aujourd’hui, c’est du bout des lèvres qu’il est mentionné dans les églises, et bien rarement de manière positive. On le dénigre comme étant un écrit gnostique et tardif. Pourtant, en le lisant, on peut voir qu’il n’est pas bien différent en substance de l’évangile de Jean ou même des synoptiques (Marc, Matthieu et Luc). Il est tout à fait plausible que ces paroles soient bel et bien de Jésus. En fait, de plus en plus de chrétiens, moi incluse, l’ont intégré avec grande joie dans leur canon. Je fais le pari que dans les prochaines décénnies il prendra de plus en plus la place qu'il mérite!

Personnellement, cet évangile est indissociable de la vision que j’ai du Christ. Je dirais même qu’il est la raison de la renaissance de ma foi il y a plusieurs années. J’aurais l’occasion d’en reparler. Je partagerai dans les prochaines semaines des passages de cet évangile. Vous pourrez en juger de vous-mêmes!

Friday, October 22, 2010

Trouver les mots

« Maître, ma bouche n’acceptera pas de dire à quoi tu ressembles. »
- Évangile de Thomas, 13.

Voilà ce que répond Thomas lorsque Jésus demande à ses disciples de dire ce qu’ils pensent qu’il était. Pour Pierre, il est le Messie venu apporter la justice sur terre, et pour Matthieu il est le plus grand des sages. Mais Thomas, l’apôtre incrédule de l’évangile de Jean, au moment de décrire la présence de Dieu qui se trouve en face de lui, se voit incapable de dire quoi que ce soit.

Je me reconnais souvent dans ce passage. Parce que franchement, bien que ma vie spirituelle occupe une place importante dans ma vie, je suis souvent incapable de dire aux gens ce que je crois. Et quand j’essaie de le faire, gare au fouillis d’idée mal organisée qui essaie de sortir. Pour moi, l’expérience du Divin est quelque chose de tangible mais de difficile à saisir, c’est quelque chose qui me suit depuis le début de mon âge adulte mais  qui me glisse entre les doigts à tout moment.

Est-ce donc surprenant que ma quête m’a mené à de si différents endroits? Car malgré que mon rocher reste et restera toujours Jésus, ma curiosité m’a amenée à parcourir les religions du monde entier et leurs textes sacrés. Mon cœur navigue entre l’Évangile et la Gita, entre le Cours en Miracle et la sagesse du Bouddha, entre Maître Eckhart et Sri Nisagardatta Maharaj…

Pourquoi cette quête? Peut-être afin de trouver LE mot, LA phrase qui saura enfin décrire la vérité qui en moi est claire. Oh, j’en ai quand même trouvé des pas mal. Tiens, comme celle qui a donné nom à ce blog. Soyez passants. Une parole de Jésus elle aussi tiré de l’Évangile de Thomas. Une minuscule phrase sur laquelle on peut porter mille réflexions et commentaires.

Mais LA phrase? Je ne la trouverai jamais. Mais je continuerai à la chercher et je compte bien avoir du plaisir toute ma vie! Et c’est pourquoi je décide ce soir, après de longues hésitations, à m’aventurer à partager ma foi sur Internet, univers où les mots sont rois!

Alors à toi, passant ou passante, bonne lecture!