Wednesday, November 24, 2010

La Danse (partie 1)

Je dis souvent que la Danse de la Pleine Lune, la Rasa-Lila, est à l’hindouisme ce que le Cantique des Cantiques est au monde judéo-chrétien. Au premier regard il s’agit d’une histoire d’amour aux accents fort sensuels, mais les croyants au fil des siècles y ont vu une illustration de la relation intime qui existe entre Dieu et l’humanité. Cet épisode est raconté dans cinq chapitres du Bhagavata-Purana, une sorte de « Bible » qui relate l’histoire du monde de sa création jusqu’à l’arrivé de Krishna (les histoires de mon dernier post en sont également tirées). Le Bhagavatam est l’un des textes fondamentaux de la bhakti, ce mouvement populaire hindou fortement axé sur la dévotion envers Dieu plutôt que l’érudition. C’est qu’avant l’arrivée de la bhakti la religion était réservée à la très exclusive caste des brahmanes. Des maîtres spirituels comme Ramanuja et Caitanya se sont élevés contre cette barrière. Pas étonnant alors que le moment le plus fort de ce livre met en scène de simples bergères (autre parallèle avec le Cantique d'ailleurs), plutôt que des prêtres brahmanes, comme le plus bel exemple d’amour envers Dieu.

À la vue des nuits où le jasmin s'épanouit au souffle de l'automne, Bhagavat, voulant se livrer au plaisir, recourut à la puissance magique du Yoga.

C’est un soir magnifique à Vrindavan. Krishna s’assied près de la rivière Yamuna, sort sa flûte et se met à jouer. Le notes flottent jusqu’au village où les bergères, les gopis, l’entendent. Elles sont aussitôt captivées par cet appel, et délaissent aussitôt ce qu’elles font pour aller retrouver l’objet de leur désir, Krishna. Certaines en oublient même le plat qui cuit sur le feu.

Elles arrivent dans une clarière et le voient, là, l'objet de leur désir. Mais contrairement à ce qu'elle s'attendent, il leur fait des remontrances : « Oh là là, que faites-vous là? Vous avez des responsabilités à remplir, envers vos enfants et vos maris. Retournez-donc chez vous! » Mais Krishna ici ne fait que les mettre à l’épreuve, afin de voir si leur dévotion est au-delà de leurs responsabilités terre à terre. Un peu comme la situation de Marthe et Marie dans l’Évangile de Luc!

Dire que les gopis n'apprécient pas la réplique de Krishna serait un euphémisme. Elles pleurent à chaudes larmes, se lamentent, frappent le sol à coups de peids et de poings. Elles se lamentent à leur Bien-Aimé:
Loin, ô maître, loin de toi ce langage cruel. Nous avons renoncé à tous les objets sensibles pour venir adorer la plante de tes pieds; rends nous amour pour amour, ne nous abandonne pas, ô Dieu insaisissable. 

Oui, le Bien-Aimé, le proche, l'âme de tous les êtres, c'est toi.


Les sages en effet, mettent uniquement leur bonheur en toi, qui est l'essence de leur être et leur bien-aimé de tout les instants; qu'importe tout le reste, maris, enfants et autres sources de douleur?


Verse, ô maître, le lac d'ambroisie de tes lèvres sur le feu de l'amour qu'ont allumé en nous ton sourire, tes regards et tes accords mélodieux.
Devant la persistance et la dévotion de ces femmes, Krishna sourit et commence à répondre à leur désir. Il marche et chante avec elles dans la forêt de Vrindavan, il les étreigne, il leur fait de tendres regards. Devant toutes ces attentions que leur porte Krishna,  le coeur de ces femmes se gonfle...
Fière de posséder ainsi le bienheureux, le magnanime Krishna, elles se crurent, dans leur orgueil, bien au-dessus des femmes de la terre.
Devant cette attitude, Krishna décide pour leur propre bien de s'éclipser, disparaissant d'un coup et laissant ainsi les femmes tristes et gênées de leur conduite. Elles réalisent leur arrogance et crient au Bien-Aimé pour qu'il revienne. Elle ressentent ce que les hindous appelle le viraha, la plus grande douleur, celle d'être séparée de Dieu.

Mais bien sûr, sa "disparition" n'est que temporaire...

À suivre...

Saturday, November 20, 2010

L'enfance de Krishna

L’hindouisme, plus que toute autre religion, comporte dans ses nombreux récits et mythes une multitude de héros, personnages et aspects de la divinité qui lui donnent une couleur tout à fait unique. Mais parmi tout ceux-ci, aucun n’exerce autant de fascination que Krishna, l’homme-Dieu qui est le principal narrateur du texte le plus sacré de l’Inde : la Bhagavad Gita. Sa vie et ses aventures sont fortement ancrées dans l’imaginaire collectif indien. Elles sont racontées aux enfants avant de dormir, et elles sont minutieusement commentées par les plus sérieux théologiens. Le charme de Krishna est son accessibilité. Son message est clair et sa vie est à bien des égards une illustration de la relation entre l’humain et Dieu, qui prend la forme de Lila, c’est à dire d’un éternel divertissement divin, rempli de beauté et d’espièglerie! Je me propose de vous raconter cette histoire dans mes prochains posts.

Alors voilà, le monde est dominé par une multitude de rois cruels et avides de richesses, et la loi divine, le Dharma, n’est plus respectée. Krishna est en fait la 8e incarnation de Vishnu, l’aspect de Dieu voué à préserver et soutenir le monde. Krishna est le fils d’un prince, mais dès sa naissance ses parents Vasudeva et Devaki le cachent dans une famille de berger afin de la protéger du méchant roi Kamsa. Il faut savoir que Kamsa,, a reçu une prophétie lui disant que le fils de Vasudeva mettrait fin à son règne en le tuant. Pour être certain que Krishna soit tué avant lui, il ordonne la mise à mort de tout les nouveaux-nés (ça vous rappelle quelque chose?). Heureusement, les parents adoptifs de Krishna, Nanda et Yashoda, sont déjà bien loin, dans le village enchanteur de Vrindavan, au pied du mont Govardhan.
Krishna volant du beurre

Krishna grandit parmi les bergers, entourés de ses parents adoptifs ainsi que de tout les gens de Vrindavan, qui sont tous également d’humbles fermiers. Il est un enfant très espiègle et joueur, qui aime bien, quand sa mère n’est pas là, aller dans la cuisine y voler la jarre de beurre pour se bourrer la fraise! Krishna adore également jouer avec les jeunes garçon du village, ou jouer quelques notes sur sa flûte.

Bien vite, les gens du village se rendent compte que l’enfant est spécial : il est un Avatar, une incarnation de Dieu sur terre. Un épisode rapporte qu’un jour, Krishna mange de la terre. Sa mère Yashoda le voit et le gronde : « tu as encore mangé de la terre, c’est pas bien! ». « Non, pas vrai, pas mangé la terre », pleurniche l’enfant. Yashoda oblige Krishna à ouvrir la bouche. Mais en regardant dedans, Yashoda y voit l’univers entier!

Apprenant que Krishna est vivant, Kamsa envoie une multitude de démons pour tenter de le tuer. La plupart prennent la forme d’animaux géants qui terrorisent les bergers. Mais l’enfant Krishna les défait tous, souvent avec l’aide de son frère Balaram. Les gens de Vrindavan sont en amour avec lui, sa présence leur apporte joie, prospérité et sécurité. Les devas (demi-dieux), ignorant qu’il s’agit de Dieu lui-même, se mettent eux aussi à jalouser Krishna et à lui causer du trouble. Brahma capture tous les jeunes amis de Krishna et les cache dans une caverne. Pourtant, lorsqu’il retourne à Vrindavan, il voit ces mêmes amis de Krishna en train de vaquer à leurs occupations. Mais que se passe-t-il? Il retourne à la caverne et pourtant les garçons sont là… puis il comprend. Bien qu’il semblait y avoir une multitude de gens dans le village, ce n’était en fait que Krishna qui s’était multiplié et jouait le rôle des garçons enlevés afin d’épargner la tristesse à leurs parents et aussi pour narguer Brahma.
Krishna soulève la colline

Tanné de se faire achaler par les devas, Krishna demande aux gens du village de cesser de leur faire des sacrifices. Le chef de dévas, Indra, est furieux et envoie un déluge sur Vrindavan. Mais Krishna soulève du bout du doigt le mont Govardhan et les gens peuvent se mettre à l’abri le temps que la tempête passe. Indra doit s’avouer vaincu.

Ainsi va la vie à Vrindavan. Krishna devient un beau jeune homme et bien sur les jeunes femmes ne sont pas indifférentes face à lui. Elles rêvent toutes secrètement de l’avoir pour amant. Ce qui nous mène à un des épisodes les plus marquant et significatifs de la théologie dévotionnelle hindoue, la danse Rasa. Mais ça, c'est pour le prochain post!

Thursday, November 11, 2010

L'Affaire

DAME : Qui vous a mis sur la terre?
LA FOULE, SUR UN TON RÉCITATIF : C’est l’Affaire qui nous a mis sur la terre.

D : Pouvez-vous vouère l’Affaire?
F : Non, parce que l’Affaire n’a pas de corps.

D : Qu’est-ce donc l’Affaire?
F : L’Affaire est une sur-Affaire.

D : Qui a fait l’Affaire?
F : Personne! L’Affaire a toujours été l’Affaire.

D : L’Affaire nous voit-elle?
F : Oui, l’Affaire nous voit toujours.

D : L’Affaire connait-elle tout?
F : Oui, l’affaire connait tout.

D : Où est l’Affaire?
F : L’Affaire est partout.

D : Combien y-a-t’il d’Affaires?
F : Il n’y a qu’une seule Affaire.

D : Combien y-a-t’il d’Affaires dans l’Affaire?
F : Il y a trois Affaires dans l’Affaire.

D : Quelles sont les trois Affaires dans l’Affaire?
F : Les trois Affaires dans l’Affaire sont : l’Affaire, l’Affaire et l’Affaire.

D : Les trois Affaires font elles trois Affaires?
F : Non, les trois Affaires ne font qu’une seule Affaire.

D : Pouvez-vous comprendre que les trois Affaires dans l’affaire ne fassent qu’une seule Affaire?
F : Oui! Chouuuuuuuuuuuuuuuu! (suivi d’un chaos sonore)


- Extrait de l'Ode à l'Affaire, de l'album "Volume 3" du groupe québécois l'Infonie, 1970
Texte très amusant qui l'est encore plus quand on l'entend sur l'album. On réalise qu'à l'époque les gens n'avaient pas une grande liberté pour former leur propre conception du Divin! On répétait ce qui était dans le catéchisme de l'Église Catholique, ou bien la maîtresse était pas contente...

Y comprenez-vous quelque-chose?
Ce texte semble également se moquer du concept de Trinité, qui ma foi est un concept très rouillé et qui ne fait pas beaucoup de sens, du moins dans sa version orthodoxe. Des tonnes de pages ont été écrites par des théologiens pour se démêler là-dedans. Toutefois, j'ai ma petite facon à moi de voir la chose. Ce ne sont en fait que trois facon dont on peut concevoir Dieu.

Le Père: Dieu en tant que réalité transcendante, invisible, Toute-Autre.
Le Fils: Dieu en tant que réaité immanente, Dieu qui s'incarne dans chaque personne et dans chaque chose.
L'Esprit: l'espace de mystère et de communication qui existe entre les deux premiers.

Vu comme ca, je trouve que le concept de Trinité peut etre bien joli. Mais loin d'être essentiel et central comme le font croire la plupart des églises chrétiennes!

Tuesday, November 9, 2010

Vérité historique, vérité spirituelle

 Puisque le focus de mon blog porte sur les textes sacrés, j’aimerais préciser un point les concernant. Plusieurs de ces textes sacrés décrivent la vie de personnes et le déroulement de grandes sagas dont on peut mettre en doute qu’ils se sont réellement produits. Or, la réalité historique d’un texte ou d’un personnage religieux doit-elle modifier la façon dont nous la percevons?

Jésus est-il entièrement comme le décrit le Nouveau Testament? Moise a-t-il séparé les eaux de la mer rouge? Krishna a-t-il même réellement existé? Ces questions sont légitimes et il est pertinent d’y réfléchir. Toutefois, à un certain niveau, il faut cesser à un moment de se les poser.

L’Histoire est bien plus une construction contemporaine qu’une réalité objective. Un bouddhiste ou un hindou pourraient même vous dire que le concept de « passé » est une illusion totale, une chimère de l’esprit, et que seul le présent existe. Je n’irai pas aussi loin, car l’histoire en tant que science est très importante (pour éviter sa manipulation par des dirigeants peu scrupuleux entre autres). Mais je crois qu’il faut accepter qu’il existe une autre histoire, moins scientifique mais plus près de nos coeurs, qui est le Grand Roman écrit collectivement par l’humanité entière depuis l’aube des temps. Et Krishna et Bouddha et Jésus et Mahomet sont la présence réelle et concrète de Dieu dans ce Grand Roman, et pas seulement des notes de bas de pages dans une encylopédie.

Origène, un père de l’Église, disait ceci de l’Évangile de Jean :

"L’Évangile de Jean ne dit pas toujours la vérité littéralement, mais il dit toujours la vérité spirituellement"

On pourrait dire cela de bien des textes sacrés! Et là, je ne veux pas tomber dans une espèce de mythisme réducteur, ie, réduire les histoires sacrées au rang de mythes qui nous apprennent des choses sur la vie au même titre que des histoires comme le Petit Prince. On parle ici de récits qui nourissent profondément des millions de gens et qui sont une présence réelle et tangible dans ce monde. Quand je prie Jésus ou Krishna, c’est à de véritables personnes ayant une véritable existence que je m’adresse, nonobstant de ce que l’histoire dit. Et ils me répondent, à leur façon, et leur voix est plus réelle et concrète que la voix du type des sondages qui a appelé tantôt!

Friday, November 5, 2010

L'hindouisme

OM, le symbole sacré de l'hindouisme
(Texte que j'ai originellement publié sur le site Caféchange )

Je me définis comme chrétienne, mais c’est seulement à cause de l’importance qu’a Jésus dans ma vie, et parce que je veux suivre son chemin. Toutefois, ma vision de Dieu, de la vie, du monde ont été influencées par bien plus que le christianisme…

Ceux qui me connaissent bien savent que l’hindouisme occupe une grande place dans mon cœur. L’hindouisme est une religion aux milles formes et milles couleurs qui a su s’adapter et s’enrichir dans la diversité et dans le contact avec d’autres traditions et d’autres religions. C’est un peu le reflet de ma propre spiritualité qui est très curieuse et qui intègre toutes les influences.

Comme pour bien des gens, mon premier contact avec l’hindouisme s’est fait à travers son texte le plus sacré, la Bhagavad Gita. La lecture de ce tout petit livre m’a complètement jetée par terre, presque autant que lorsque j’ai lu les Évangiles. L’enseignement de Krishna sur le détachement, l’équanimité et la sagesse est venu me chercher au plus profond de moi même, et il se passe rarement une semaine où je ne vais pas en lire quelques versets.

Évidemment au cours des mois qui ont suivi j’ai dévoré les Upanishads et autres textes fondateurs hindous. Ceux-ci, comme les livres de la Bible, ont été écrit à des époques et par des personnes bien différentes. Et tout comme la Bible, ils présentent donc des idées et de conceptions qui peuvent sembler contradictoires. Mais à travers tout ce mélange d’idées on peut quand même tisser un  portrait de ce qu’est Dieu pour les hindous.

Notez que je dis bien Dieu et non « dieux ». Car non, contrairement à ce que plusieurs pensent, les hindous ne sont pas polythéistes. La très grande majorité est monothéiste, mais c’est un monothéisme  vraiment différent.
Chez les hindous, le concept le plus fondamental et universel est celui de Brahman, c'est-à-dire la base divine, éternelle, omniprésente, impersonnelle et indescriptible de toute existence. Il est vu comme étant  toute chose, tous les univers et toutes les âmes. Les textes les plus sacrés de l’hindouisme, la Gita et les Upanishads, sont ceux qui portent sur Brahman. Attention, ne pas confondre Brahman et Brahma. Brahma n'est que l'aspect "créateur" de Brahman.

Le Seigneur Krishna
Il existe de nombreuses façons d’approcher Dieu, mais la plupart des hindous le vénèrent sous une des trois formes personnelles que sont Vishnu (et ses incarnation Rama et Krishna), Shiva et Shakti (la Mère Divine). Il existe des différences substantielles entre les trois dénominations majeures mais elles vivent en harmonie depuis des siècles, parce qu’il y a l’accord fondamental que toute divinité est un aspect de l’Être Suprême. Tout comme le sont YHWH, Allah et le Père, dirait n’importe quel hindou.

Ce qui est merveilleux avec Brahman,c’est qu’ il se personnalise dans des milliers de formes dans l’univers. Il apparaît sous la forme de dieux à la peau bleue ou à tête d’éléphant, de déesse à six bras chevauchant un tigre. Il apparait sous la forme d’animaux, de tortues, de sangliers. Il prend la forme des forces de la nature, des montagnes, des brins d’herbes. Il prend la forme de guerriers d’antan, de rois célèbres, de prophètes et de saints ascétiques. Enfin, il prend forme dans chacune des âmes individuelles. Pour l’hindou, tous sont différents visages d’un Dieu unique dont fait partie chaque partie de l’univers. En fait, l’univers en soi est vu comme une incarnation de Brahman. À la fin de cet Âge, on dit que l’univers se résorbera et retournera à l’état indivisé en Dieu.

Pourquoi Dieu s’incarne-t-il ainsi dans l’univers? Les hindous ont un joli mot pour l’expliquer : lila, c'est-à-dire amusement. Dieu aurait créé l’univers de façon spontanée et espiègle, sans but précis, dans un acte rempli de simple béatitude. Un sage hindou a déjà comparé le lila de Dieu à une danse qu’un enfant entame spontanément même s’il n’y a pas de musique ni personne pour le regarder, simplement pour la joie que ça lui apporte. Joli non?

En tout cas, moi je trouve ça joli. En fait, sous bien des aspects, ma vision de Dieu correspond plus à celle de l’hindouisme, en ce sens où je crois également que tout l’univers est Un en Dieu. Mais cette vision n’est pas non plus étrangère au christianisme. On n’a qu’à lire l’évangile de Jean, l’évangile de Thomas ou bien les écrits de Maître Eckhart ou Teilhard de Chardin pour s’en rendre compte.

J’aimerais terminer ce blog avec une suggestion de lecture. Le livre, s'appelle "Le Yoga du Christ" et a été écrit par Ravi Ravindra (il est à la Grand Bibliothèque). C’est une exploration de l’évangile de Jean sous un regard hindou. C'est un livre simple et très respectueux de la tradition chrétienne, qui vient apporter quelques éclairages différents sur cet évangile très mystique. Et c’est un très bon point de départ pour un chrétien voulant apprendre sur la pensée hindoue. Je le suggère fortement.

Évangile de Thomas : faire le deux Un

Jésus vit les petits qui étaient au sein. Il dit à ses disciples :
Ces petits qui tètent sont semblables à ceux qui entrent dans le Royaume.

Ils lui dirent :
Alors, en devenant petits, nous entrerons dans le Royaume ?

Jésus leur dit :
Lorsque vous ferez le deux Un et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur,
l’extérieur comme l’intérieur,
le haut comme le bas,
lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique,
afin que le masculin ne soit pas un mâle
et que le féminin ne soit pas une femelle,
lorsque vous aurez des yeux dans vos yeux,
une main dans votre main
et un pied dans votre pied,
une icône dans votre icône, alors vous entrerez dans le Royaume !

- Évangile de Thomas, 22

Voilà une bien étrange parole de Jésus, qui peut sembler n’avoir aucun lien avec ce qui est dans le Nouveau Testament. Pourtant, elle évoque plusieurs passages bien connus : Jésus et les enfants (Luc 18), l’intérieur de la coupe et l’extérieur de la coupe (Luc 11 :40), la prière pour l’unité (Jean 17). Seulement, ces thèmes sont ici réunis dans un appel de Jésus à détruire toutes les oppositions afin de revenir à un état d’Unité.

Il s’agit ici d’un des nombreux passages de l’Évangile de Thomas à forte saveur non-dualiste. Mais qu’est-ce que ca mange en hiver ca le non-dualisme? En hyper-simplifié, il s’agit d’une vision du monde où il n’existe pas « deux choses », où seul Dieu est réel et où tout ce qui existe est en fait une facette de Lui.
Le non-dualisme est une conception du monde et de Dieu qui est compatible avec à peu près toutes les religions. Ainsi, l’advaita-vedanta dans l’hindouisme, le zen dans le bouddhisme, la kabbale dans le judaisme et le soufisme dans l’Islam sont tous des tendances mystiques de leur religion respective qui tendent à divers degrés vers une conception non-dualiste du monde. Du côté chrétien, on a également de nombreux exemples: le gnosticisme, certains mystiques du moyen-âge, Maître Eckhart, la Science Chrétienne, le Cours en Miracles, etc.

 Le bébé auquel Jésus fait référence n’a aucune conscience d’être séparé de l’univers. Pour lui tout est simple, tout fait partie de lui.  Toute sa vie, il  se fera plus souvent dire ce qu’il n’est pas plutôt que ce qu’il est. «Tu n’est pas Dieu, tu n’est pas cette personne là-bas, tu n’est pas cette roche, tu n’est pas un corps et/ou tu n’est pas une âme, etc». Le non-dualisme renverse la vapeur : «Tu es toute vie, tu es toute roche, tu es toute âme et tous corps, tu es Dieu!»

Jésus a dit :
«Je suis la lumière qui est sur eux tous. Je suis le Tout. Le Tout est sorti de moi et le Tout est venu à moi. Fendez du bois, je suis là ; soulevez la pierre, vous me trouverez là.»


-Évangile de Thomas, 77

"Soulevez la pierre, vous me trouverez-là"
«Sacrilège, dira-t-on, il faut être le pire égocentrique pour se prendre pour Dieu!» Et pourtant, les grands sages du non-dualisme étaient les êtres les plus humbles et non-violents qui soient. La réalisation de son unité avec la création apporte une lourde responsabilité, car ce n’est plus son propre bien-être qui apportera satisfaction, mais le bien-être de la création entière. C’est la lourde responsabilité d’être « parfait comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5 :48).

Pour le non-dualiste la frontière qui existe entre Dieu et l’âme individuelle est une illusion. Cette frontière, souvent nommé ego (le « moi »), voudrait faire croire que Dieu est en haut et que nous sommes en bas, voudrait faire croire que moi et mon frère avons deux âmes totalement séparées l’une de l’autre. Cette illusion n’est ni totalement bonne ni totalement mauvaise. Elle est, tout simplement, et le pourquoi de son existence est le Mystère. En elle se produisent les plus grands prodiges et les plus grands drames, les plus grands apprentissages et les plus cruelles erreurs. Le but du sage n’est pas d’échapper au monde de dualité, mais d’en connaître sa source et de savoir qu’ultimement il faudra la transcender. Alors autant le bébé devient plus mature en quittant son monde égocentrique pour apprendre à vivre en relation avec l’autre, autant l’adulte devient plus mature en quittant son monde de dualités et en réalisant son Unité avec l’Autre.

Jésus disait :
Si vous faites le deux  UN 

vous serez Fils de l'Homme.
Et si vous dites : Montagne, éloigne-toi, elle s'éloignera.


-Évangile de Thomas, 106

Je ne vous cacherai pas qu’à mes yeux Jésus était un homme qui avait réalisé son unité avec Dieu, ce qui lui permettait d’affirmer « le Père et moi sommes Un ». Jésus savait que chaque être humain avait la possibilité de d’en arriver à cette réalisation, et il a essayé de l’enseigner « en douceur » aux foules de son époque avec ses paraboles, son éthique et son concept de Fils de Dieu. Jésus était-il véritablement non-dualiste? Après tout, dans bien d’autres passages Jésus semble dire toute autre chose. À chacun de se faire son opinion… en effet la beauté du christianisme est d’avoir tout un florilège de manières de voir sa vie et son message, tout comme nous avons plusieurs évangiles différents avec chacun leur saveur.

Celui qui voit dans ce monde de multiplicité, l'Unique qui pénètre tout; celui qui trouve dans ce monde de mort, la Vie Infinie Unique; celui qui trouve dans ce monde d'insensibilité et d'ignorance, la Lumière et Connaissance Unique - à celui-là appartient la paix éternelle. À nul autre, à nul autre.

- Swami Vivekananda

Wednesday, November 3, 2010

Sourate du Vide

Désapprendre. Déconditionner sa naissance.
Oublier son nom. Etre nu. 


Dépouiller ses défroques. Dévêtir sa mémoire.
Démodeler ses masques. 


Déchirer ses devoirs. Défaire ses certitudes. 
Désengranger ses doutes. Désemparer son être. 

Débaptiser sa source. Dérouter ses chemins.
Défeuiller ses désirs. Décharner ses passions. 

Désacraliser les prophètes. Démonétiser l'avenir.
Déconcerter l'antan. Décourager le Temps. 

Déjouer la déraison. Déflorer le délire. 
Défroquer le sacré. Dégriser le vertige. 

Défigurer Narcisse. Délivrer Galaad. Découronner
Moloch. Détrôner Léviathan.


Démystifier le sang. Déposséder le sage. Déshériter
l'ancêtre. 


Désencombrez votre âme. Déséchouez vos échecs. 
Désenchantez le désespoir. Désenchaînez l'espoir.

Délivrez la folie. Désamorcez vos peurs.
Désarrimez vos coeurs. Désespérez la Mort. 

Dénaturez l'inné. Désincrustez l'acquis. 
Désapprenez-vous. Soyez nu.

- Poème tiré du recueil Sourates de Jacques Lacarrière (éditions Fayard).
Pour moi une preuve frappante que l'esprit de folie, de passion et de liberté qui animait la plume des prophètes d'antan existe encore aujourd'hui. Preuve également que cet esprit ne limite pas son action aux auteurs religieux!

Comment oser écrire ou prononcer quoi que ce soit face à ca? Ce poème est un appel à se la fermer pour une fois, à s'oublier et à laisser notre être se transformer, se laisser transformer.

Mais sommes-nous capable d'un tel abandon?