Saturday, June 18, 2011

Le philosophe et le rabbin

Ma meilleure amie ayant récemment commencé à fréquenter une synagogue orthodoxe de dénomination Chabad, j'ai commencé à lire un livre du Rebbe Menachem Mendel Shneerson, qui a été leur 7e dirigeant. Que voulez-vous, je suis incapable d'entendre le nom d'une religion ou dénomination sans par après aller me tapper un bouquin sur le sujet!

Je commence à peine à lire, mais je vous partage une petite histoire qu'il racontait et que je trouve tout à fait éclairante sur la nature de la foi et en quoi elle doit nous questionner!

Le Rebbe
Un philosophe argumentait avec un rabbin réputé à propos de l'existence de Dieu. Le philosophe croyait que malgré qu'il y avait plusieurs arguments persuasifs pour prouver l'existence de Dieu, il y en avait autant pour dénier Son existence. Après quelques temps, le philosophe s'exaspéra. "Tu es un homme sage, dit-il au rabbin. Alors pourquoi n'es-tu pas ébranlé par tous ces arguments disputant l'existence de Dieu?"
Le rabbin sourit. "Je t'envie, dit-il au philosophe. Parce que tu es si engagé à réfléchir sur l'existence de Dieu, tu es toujours en train de penser à Lui, alors que moi, je passe la majeure partie de mon temps à penser à moi-même" Sur ce, le deux allèrent chacun de leur côté.
Le philosophe était flatté par la remarque du rabbin, mais il fut dérangé que sa question fut restée sans réponse. Et alors que le temps passait et qu'il vieillissait, la véritable implication des paroles du rabbin devint finalement claire à ses yeux. "En fait, le rabbin m'a insulté, pensa-t-il. La raison pourquoi je passe tout mon temps à réfléchir sur l'existence de Dieu, c'est que je suis certain que j'existe, alors la seule question est si oui ou non Dieu existe. Pour le rabbin, l'existence de Dieu est une évidence, alors la question éternelle est à savoir si oui ou non lui-même existe, et si oui, pourquoi.
Quelle fin surprenante! J'adore!

Wednesday, June 15, 2011

Katha Upanishad: l'Impérissable

Nachiketas et Yama
Dans mon dernier post, Nachiketas avait réussi à forcer Yama, le Dieu de la Mort, lui dire ce qu'il advenait de l'individu après la mort. Continue-t-il d'exister ou non?

Bien heureusement, le texte évite de donner une réponse facile et toute cuite dans le bec. La réponse, dont je présenterai quelques extraits, est très typique de la pensée hindoue, et peut sembler fort étrange aux oreilles occidentales...

Yama: Le Soi tout-connaissant est non-né, et impérissable. Il n'a pas d'origine, et n'a rien engendré. Il est non-né, sans âge, Il est très ancien et vivra jusqu'à la fin du temps, et Il n'est pas tué quand le corps est tué.

Si le tueur pense qu'il tue effectivement, et si la victime pense que son Soi est effectivement tué, l'un et l'autre témoignent d'une conception erronée. Le Soi ne donne pas la mort, le Soi ne meurt pas.

Le Soi, qui est plus subtil que toute subtilité et plus grand que toute grandeur, siège dans le cœur de toute créature. Celui qui a maîtrisé tous ses désirs peut contempler la gloire majestueuse du Soi à travers ses sens apaisés et son esprit pacifié, et il se libère dès lors de toute souffrance.

Demeurant assis, Il voyage au loin; demeurant immobile, Il se déplace partout. Qui donc, si ce n'est moi, peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?

L'homme sage, qui a réalisé la présence de l'incorporel Atman à l'intérieur de tout corps, et qu'Il est fermement établi en toute chose périssable, qu'Il est grand et tout-pénétrant, ne connaît plus le chagrin.

On n'atteint pas à l'Atman par l'étude des Védas, ni au moyen de l'intellect, ni à force d'écouter des enseignements. Seul l'aspirant sincère qui désire ardemment L'atteindre, peut Le trouver. À celui-là, l'Atman révélera de lui-même Sa nature authentique.

Nul ne peut atteindre à l'Atman, qui ne s'est pas abstenu de toute conduite négative, dont les sens ne sont pas maîtrisés, dont le mental n'est pas concentré et dont l'esprit n'est pas établi dans la paix. Car celui-ci ne peut se réaliser qu'au moyen de la connaissance par expérience directe de la Réalité.

Ce Soi – cet Atman pour lequel les Brahmanes et les Kshatriyas ne sont pour ainsi dire que des aliments, et la Mort un simple condiment – qui donc peut savoir où Il se trouve ?
- Katha Upanishad

La mort, un simple condiment? Cette phrase peut faire sursauter. Mais la Vie aurait-elle de la saveur  sans renouvellement, sans évolution, sans recherche constante de mieux... sans la mort elle-même? Oui, parfois la mort semble à l'encontre de tout progrès, quand elle est gratuite et causée par la haine, et il faut travailler pour que cessent ces choses. Mais on ne peut nier que la mort est le moteur qui nourrit notre urgence de vivre.


L'Atman, le Soi, c'est en fait l'unique réalité derrière les apparences de multiplicité. C'est la conscience unique de l'Univers qui fait l'expérience de tout. C'est ce qui perçoit tout les phénomènes. Le mot atman a la même origine étymologique que le mot d'origine grec atmos, qui signifie l'air qui nous entoure. L'Atman, c'est le Souffle de Dieu qui pénètre chaque particule et qui donne vie. Dans la mythologie occidentale, c'est la ruah hébraique, l'Esprit de Dieu qui courrait sur les eaux primordiale aux début des temps et qui fut insufflé dans les narines d'Adam pour lui donner vie.

Et ce Soi, qui est notre réelle identité, ne meurt jamais. Quand un corps meurt, le Souffle qui s'y trouvait ne disparaît pas mais va plutôt rendre vie à une multitude de créatures naissantes. L'individu qui réalise qu'il n'est pas un petit moi, mais qu'il est en fait le Soi qui pénètre tout l'univers, est affranchi de la crainte de la mort. Et on y arrive en ayant un esprit apaisé, serein, libre de la souffrance causée par les désirs et les attachements.

Est-ce à dire que pour le Katha Upanishad Dieu n'a rien à faire de nos douleurs et de nos peurs par rapport à la mort? Et nos joies, les vit-il? Sommes-nous des poussières pour lui, trop éphémères pour qu'il nous remarque? Lui qui est l'Univers entier, se soucie-t-il de nos expériences individuelles? Le Katha utilise une phrase paradoxale pour exprimer ce mystère: "Qui donc peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?"

Mais moi je me dit, si Dieu se foutait vraiment de notre douleur face à la mort, pourquoi autait-il inspiré ce texte et des milliers d'autres, qui nous réconfortent et nous aident à la voir telle qu'elle est vraiment? Qu'on l'appelle Dieu, Atman ou Brahman, il nous appelle à se lever, à partir sa recherche et à le rejoindre dans l'Impérissable. Mais le Katha est clair, ce n'est pas seulement par l'étude des textes sacrés ou en faisant aller son intellect qu'on y arrivera, mais en le laissant se révéler en nous-même. Il nous tend la main, il faut l'aggriper, sincèrement!
Aspirant, lève-toi ! Éveille-toi ! Va trouver les plus grands maîtres et apprends auprès d'eux. Car ce sentier est aussi affûté que le fil du rasoir, périlleux, et difficile à traverser. C'est ce qu'affirment les sages.

Par la réalisation de l'Atman, dénué de sons, intangible, sans forme, sans changement ni décrépitude, sans saveur, éternel, inodore... par la réalisation de cet Atman qui est sans commencement ni fin, au-delà du monde matériel et parfaitement constant, l'homme se libère des mâchoires de la mort.
(...)
Et Nachiketas, ayant bénéficié de cet enseignement que lui communiqua Yama, le dieu de la Mort, mais aussi des instructions relatives au Yoga dans leur intégralité, parvint à Brahman, après avoir développé le parfait détachement et l'immortalité. Et il en fut et en sera ainsi de quiconque acquiert, de façon aussi accomplie, la connaissance du Soi intérieur.

Om ! Puisse-t-Il nous protéger tous deux, et nous dévoiler la nature de la Connaissance;
Puisse-t-Il nous nourrir tous deux des fruits de la Connaissance;
Puissions-nous conjointement atteindre à la force que confère la Connaissance,
Que notre étude nous apporte l'illumination;
Qu'il n'y ait aucune trace de haine en nous, ni entre nous !
Om ! Shanti ! Shanti ! Shanti !
Om ! Paix ! Paix ! Paix !
 - Katha Upanishad

Monday, June 13, 2011

Katha Upanishad: la Mort qui enseigne


Le mot Upanishads signifie “s'assoir aux pieds de...”. Ce nom évoque le position de l'élève qui venait aux pieds du maître pour recevoir son enseignement. Mais pas n'importe quel enseignement... Les Upanishads sont la fine pointe des Védas, le résultat de siècles de réflexion philosophique et d'exploration profonde de la conscience elle-même.  Les 11 upanishads majeurs sont le fondement même de l'hindouisme. Et bien qu'ils présentent des mythes, des cosmogonies et des positions philosophiques parfois très différentes, les Upanishads ont en commun l'affirmation suivante: ayam ātmā brahma , c'est à dire, Dieu et le Soi ne font qu'un.

Le Katha Upanishad est peut-être le plus apprécié en Inde et partout ailleurs dans le monde. Il est relativement court et straightforward, riche en concepts, mais surtout il a comme trame de fond l'histoire irrésistible d'un jeune garçon espiègle mais très sage qui arrive à embarasser la Mort elle-même!

Le Katha commence avec un homme riche, Vajasravasa, qui décide de se donner du mérite en accomplissant le sacrifice du don de tous ses biens (principalement des vaches). Mais son jeune fils, Nachiketas, déjà empli de sagesse malgré son jeune âge, voit bien l'hypocrisie de cet acte. Tout d'abord, les vaches sont vieille et ne servaient plus à rien de toute façon, le sacrifice n'est donc pas très grand. Mais surtout, le sacrifice de Vajasrava a pour but d'accumuler du mérite et des faveurs. Alors, futé, l'enfant demande à son père: "À qui vas-tu me sacrifier, moi?" Le père ne répond pas, ne comprend pas. Nachiketas pose la même question trois fois, et le père finit par se mettre en colère et dit: "C'est à Yama, le dieu de la Mort, que je vais te donner!"

Or, ce qui était une boutade due à l'exaspération, Nachiketas la prend au sérieux. Il laisse tout derrière lui se rend donc dans le Royaume des morts. Or, aux portes du palais, personne pour l'acceuillir, pendant trois jour! Mais Nachiketas attend patiemment, sans rien à manger. Le troisième jour, Yama arrive et voit le jeune homme à l'entrée de son Royaume. Il est très embarassé de n'avoir pu accomplir les rites d'hospitalité. Pour se faire pardonner, il offre à Nachiketas de réaliser trois de ses voeux.

Son premier souhait est que son son père ne soit plus en colère contre lui lorsqu'il reviendra chez lui. Yama l'exauce.

Son deuxième souhait est de connaître le secret du sacrifice du Feu. Yama l'exauce et lui enseigne, et décide même que ce sacrifice portera désormais le nom de Nachiketas.

Et voici que est le troisième souhait de Nachiketas.

Nachiketas aux pieds de Yama
Nachiketas : « Un doute subsiste sur le sort de l'homme après sa mort : selon les uns, il existe toujours, selon les autres, il n'existe plus. Quant à moi, je ne le saurai qu'après que tu me l'aies enseigné. Voilà, sur les trois vœux, le troisième de mon choix. »

Yama répliqua : « Sur ce point, le doute a subsisté même chez les dieux, et cela depuis les temps jadis. La nature de l'Atman (le Soi) est d'une telle subtilité, que cela n'est pas facile à comprendre. Demande donc un autre vœu, ô Nachiketas ! N'insiste pas, et épargne-moi d'avoir à tenir un tel engagement ! »

Nachiketas : « Ô Yama, si même les dieux entretiennent toujours des doutes à ce sujet et que Toi, la Mort, tu confirmes qu'il est malaisé à comprendre, je conçois qu'il n'est pas d'enseignant qui puisse t'être supérieur sur un tel sujet ! Et assurément, nul autre vœu ne peut valoir celui-ci. »

Yama : « Demande-moi des fils et petits-fils qui deviendront centenaires. Demande-moi des troupeaux entiers de bétail, des éléphants, des chevaux et de l'or. Demande-moi un vaste domaine sur la terre des humains, où tu vivras autant d'automnes que tu le désireras. S'il est un autre vœu que tu puisses juger égal à celui-ci, demande-le moi : ainsi la richesse et la longévité. Puisses-tu devenir roi, ô Nachiketas, et régner sur un vaste royaume. Je t'accorderai de pouvoir jouir de tout ce que tu pourras désirer! Tous ces désirs qui sont si difficiles à obtenir dans ce monde des mortels, quels qu'ils puissent être, choisis donc parmi eux. Vois ces belles et jeunes nymphes dans leurs chariots, qui jouent du luth – aucun mortel n'a jamais pu en obtenir une. Je te les offre, et elles seront tes douces esclaves. Mais, ô Nachiketas, ne me demande pas de t'éclairer le mystère de la mort ! »

Nachiketas lui répondit : « Tous ces biens, ô Mort, sont éphémères et ne durent que jusqu'au petit matin ! De plus, les plaisirs épuisent la vigueur de tous les sens dans l'homme. Et la vie, même la plus longue, est en vérité bien courte ! Garde donc ces chevaux, ces danses et ces chants, pour Ton propre plaisir.

Les richesses ne procureront jamais le bonheur à l'homme. Qui plus est, puisque je T'ai vu face à face, j'obtiendrai forcément la richesse ; et la durée de ma vie sera de toute façon fixée par Toi. Aussi le seul vœu qui me satisfasse est bel et bien celui que je t'ai demandé. Après avoir eu le privilège d'un séjour chez les impérissables et les immortels, et y avoir appris que ses souhaits les plus ardents pouvaient être satisfaits par eux, quel mortel résidant ici-bas se réjouirait d'une grande longévité, lui qui est devenu conscient du caractère éphémère de la beauté, des plaisirs et des joies ici-bas ? Ô Yama, dévoile-moi ce grand Au-delà, qui est d'une telle obscurité pour les mortels. Moi, Nachiketas, je ne te supplie d'aucune autre faveur que de me faire pénétrer dans le grand mystère de l'Au-delà ! »
Face à une telle sagesse, Yama s'incline. Car Nachiketas a choisi de suivre la Vérité plutôt que la satisfaction éphémère. Il exauce donc le souhait de Nachiketas, en lui enseignant la nature réelle du Soi.

(suite bientôt!)

Friday, June 3, 2011

Isha Upanishad

L'Isha Upanishads est un chant des Védas qui a acquis un statut très important dans le canon hindou. Il s'agit effectivement de l'un des 11 Upanishads majeurs, ces traités philosophiques qui sont le fondement de la pensée hindoue au sujet de Dieu, de l'Âme et du monde.  Dans l'hindouisme, brahman est atman, c'est à dire, Dieu est le Soi, la réalité unique et la conscience unique derrière tous les phénomènes de l'univers et au-delà toutes les apparences d'individualité et de séparation. Et cette réalisation n'est pas qu'un truc intellectuel philosophique à flotter dans les nuages. Non, c'est une réalisation qui peut changer profondément la façon dont on voit et agit avec les autres.

L'Isha est le plus court, l'un des plus anciens, et aussi peut-être le plus punché des Upanishads. Il expose parfaitement l'esprit hindou. En voici le début!

Om ! Cela est plénitude; ceci est plénitude;
De la plénitude, naît la plénitude.
Quand la plénitude est extraite de la plénitude,
Ce qui reste est plénitude, indéniablement.

Om ! Paix ! Paix ! Paix!
 
Om ! Tout ce qui nous entoure est recouvert de la présence d'Isha, le Seigneur, quel que soit l'être qui se meut à la surface de la terre. C'est par une telle renonciation à l'irréel que tu seras sous la protection du Réel. Ne convoite aucunement les biens d'autrui.

Accomplissant des actions droites dans l'esprit prescrit par les Écritures, l'on peut désirer atteindre l'âge de cent ans. Car, dans cet esprit, l'action ne lie pas son auteur. Il n'est nulle autre voie que celle-ci.

Les mondes inférieurs des démons sont recouverts de l'épais linceul de l'affliction, aveuglant. Ceux qui ont négligé et traité comme lettre morte le Soi, rejoignent ces mondes après leur mort.

Cela est l'Un, tout à la fois sans mouvement et bien plus rapide que l'esprit. Les sens (pourtant si rapides, quasi instantanés) ne peuvent L'atteindre, Il court toujours loin devant. Immobile, Il dépasse ceux qui courent à toute allure. Par la vertu de Sa présence, le vent, Matarishva, mène les activités vitales de tous les êtres.

Il se meut; Il est immobile. Il est lointain; Il est proche. Il est à l'intérieur de tout; Il est à l'extérieur de tout.

Celui qui perçoit tous les êtres en le Soi, et qui perçoit le Soi en tous les êtres, ne peut ressentir un quelconque sentiment d'aversion pour quiconque, en raison de cette identité.

Quand un homme réalise que tous les êtres ne sont rien d'autre que le Soi, quelle illusion peut subsister, quelle souffrance, en lui qui perçoit la fondamentale unicité?

Cela est omni-pénétrant, rayonnant, incorporel, serein, homogène, pur, non souillé d'imperfections. Cela est le Voyant, le Seigneur de la pensée, transcendant et existant par Soi-même.
- Isha Upanishad, 1-8