Friday, February 11, 2011

Commencements: la Génèse

Les mythes de création sont un des plus puissants moteurs du discours théologique, eux qui proposent une réponse sous forme symbolique à des questions fondamentales. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Pourquoi sommes-nous là? Qui est derrière tout ça? Dans mes prochains posts, je vous propose d’en lire (ou relire)quelques-uns parmi les plus marquants du patrimoine religieux humain.

Le premier texte que je vais présenter est le premier récit de création du livre de la Genèse, celui du chapitre 1. Premier, me direz-vous? Eh oui, car si vous prenez la peine de lire attentivement, vous remarquerez qu’à partir de 2 :4, il y a une cassure du récit, et on repart avec la création du ciel et de la terre. Mais dans cette deuxième reprise du récit, les événements sont différents et ne surviennent pas dans le même ordre.

Ainsi, le début de la Genèse est en fait l’adjonction de deux récits qui étaient à l’origine distinct : le récit des « sept jours » et le récit du « Jardin d’Eden ».  En fait, la Torah entière est un amalgame de récits provenant de quatre sources différentes, avec chacune leur particularité littéraire et théologique, qui ont été réunis un peu après le retour d’exil de Babylone. Le premier récit que je vous présente provient de la source sacerdotale, datée d’environ 500 ans avant J-C, qui insistait énormément sur le caractère sacré des institutions de la prêtrise et du Temple. La notion de sainteté est très importante dans cette source, et cette notion sainteté se répercute dans le narratif de la création où chaque élément créé est qualifié de bon.

Bien entendu, et malheureusement, plusieurs groupes religieux prennent ce texte à la lettre, ce qui a créé une contre-réaction assez forte de certains scientifiques qui y voient une nuisance dans le chemin de la théorie de l’évolution. Personnellement, tout en acceptant qu’il ne s’agit que d’un mythe, je reconnais que ce texte, écrit il y a 2500 ans, contient d’étonnantes intuitions scientifiques. On y voit des indices du Big Bang et de l’évolution de la matière et des espèces. Mais jugez-en par vous-mêmes.

Puisqu’il s’agit d’un texte que vous avez probablement lu et relu, je vous offre ici la décapante et très rude traduction d’André Chouraqui, question de le redécouvrir. Elohims est bien entendu un des noms de Dieu… au pluriel de surcroit. Dieux? On suppose la plupart du temps qu’il s’agit d’un pluriel de noblesse…

ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre,
la terre était tohu-et-bohu,
une ténèbre sur les faces de l’abîme,
mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
Elohîms dit: « Une lumière sera. »
Et c’est une lumière.
Elohîms voit la lumière: quel bien !
Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
Elohîms crie à la lumière: « Jour. »
À la ténèbre il avait crié: « Nuit. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour un.

Elohîms dit: « Un plafond sera au milieu des eaux:
il est pour séparer entre les eaux et entre les eaux. »
Elohîms fait le plafond.
Il sépare les eaux sous le plafond des eaux sur le plafond.
Et c’est ainsi.
Elohîms crie au plafond: « Ciels. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour deuxième.

Elohîms dit: « Les eaux s’aligneront sous les ciels
vers un lieu unique, le sec sera vu. »
Et c’est ainsi.
Elohîms crie au sec: « Terre. »
À l’alignement des eaux, il avait crié: « Mers. »
Elohîms voit: quel bien !
Elohîms dit: « La terre gazonnera du gazon,
herbe semant semence,
arbre-fruit faisant fruit pour son espèce,
dont la semence est en lui sur la terre. »
Et c’est ainsi.
La terre fait sortir le gazon,
herbe semant semence, pour son espèce
et arbre faisant fruit, dont la semence est en lui, pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien !
Et c’est un soir et c’est un matin: jour troisième.

Elohîms dit: « Des lustres seront au plafond des ciels,
pour séparer le jour de la nuit.
Ils sont pour les signes, les rendez-vous, les jours et les ans.
Ce sont des lustres au plafond des ciels pour illuminer sur la terre. »
Et c’est ainsi.
Elohîms fait les deux grands lustres,
le grand lustre pour le gouvernement du jour,
le petit lustre pour le gouvernement de la nuit et les étoiles.
Elohîms les donne au plafond des ciels pour illuminer sur la terre,
pour gouverner le jour et la nuit,
et pour séparer la lumière de la ténèbre.
Elohîms voit: quel bien !
Et c’est un soir et c’est un matin: jour quatrième.

Elohîms dit: « Les eaux foisonneront d’une foison d’êtres vivants,
le volatile volera sur la terre, sur les faces du plafond des ciels. »
Elohîms crée les grands crocodiles, tous les êtres vivants, rampants,
dont ont foisonné les eaux pour leurs espèces,
et tout volatile ailé pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien !
Elohîms les bénit pour dire:
« Fructifiez, multipliez, emplissez les eaux dans les mers,
le volatile se multipliera sur terre. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour cinquième.

Elohîms dit: « La terre fera sortir l’être vivant pour son espèce,
bête, reptile, le vivant de la terre pour son espèce. »
Et c’est ainsi.
Elohîms fait le vivant de la terre pour son espèce,
la bête pour son espèce et tout reptile de la glèbe pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien ! 
Elohîms dit: « Nous ferons Adâm - le Glébeux -
à notre réplique, selon notre ressemblance.
Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels,
la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre. »
Elohîms crée le glébeux à sa réplique,
à la réplique d’Elohîms, il le crée,
mâle et femelle, il les crée.
Elohîms les bénit. Elohîms leur dit:
« Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la.
Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels,
tout vivant qui rampe sur la terre. »
Elohîms dit: « Voici, je vous ai donné
toute l’herbe semant semence, sur les faces de toute la terre,
et tout l’arbre avec en lui fruit d’arbre, semant semence:
pour vous il sera à manger.
Pour tout vivant de la terre, pour tout volatile des ciels,
pour tout reptile sur la terre, avec en lui être vivant,
toute verdure d’herbe sera à manger. »
Et c’est ainsi.
Elohîms voit tout ce qu’il avait fait, et voici: un bien intense.
Et c’est un soir et c’est un matin: jour sixième.

Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice.
Elohîms achève au jour septième son ouvrage qu’il avait fait.
Il chôme, le jour septième, de tout son ouvrage qu’il avait fait.
Elohîms bénit le jour septième, il le consacre:
oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Elohîms crée pour faire.

Tout d’abord, il faut savoir que le texte hébreux, contrairement aux traductions classiques en langues occidentales, ne laisse pas entendre qu’il y a eu un commencement comme tel. Notez l’imparfait utilisé par Chouraqui, comme si la création était un mouvement qui n’avait pas un début temporel fixe. Le caractère qui débute le récit est l’équivalent hébreux du B (beth). Le choix de se caractère est délibéré, car le B n’est pas le début de l’alphabet… Qu’y avait-il avant la création, quel est le A? Le texte hébreux rappelle ainsi au lecteur qu’il est inutile, voir même téméraire, de spéculer sur ce qu’il y avait avant le début de la création.

Tout ce qu’on en sait, c’est qu’il y avait une sorte de chaos primitif. Mais pas un chaos dans le sens bordel, mais plutôt dans le sens où, dans cet état, il était impossible de distinguer quoi que ce soit.  Et ainsi, le récit de la création est en fait le récit de l’apparition de divers dualismes, issus du non-dualisme originel : lumière-ténèbres, ciel-terre, ainsi que les distinctions entre divers ordre d’existence (minéral, végétal, animal, humain). Et cette apparition de dualismes est à chaque fois qualifiée de bonne! Dans les dents, ceux qui voudraient nous faire croire que le monde est une désert de souffrance qu'il faut détester! Oui, la création est bonne, et si la Bible commence avec cette affirmation, il faut en comprendre qu’il s’agit d’un commandement primodial que Dieu envoie : aimez ma création.

Et puis, il y a cette fameuse affirmation, peut-être la plus importante et provoquante de la Bible en entier : «Nous ferons Adâm - le Glébeux -  à notre réplique, selon notre ressemblance. » Nous sommes répliques de Dieu, nous somme son image, sa projection, son incarnation dans cette création. Il ne nous a pas seulement donné la vie, il ne nous a pas seulement façonnés; il s’est déversés en nous, son Regard est devenu notre regard, son Souffle est devenu sont souffle. Dieu n’a pas créé le monde pour l’observer de haut. Il a créé le monde pour y bouger, pour y respirer, pour y être Dieu non pas pour nous mais par nous.

Le premier chapitre de la Génèse est un résumé de l’histoire entière de l’univers, une texte qui a sa fin en lui-même. En effet, comme l’œuvre de Dieu dans ce monde est très loin d’être terminée, je vois ce fameux septième jour comme un moment à la fois à venir et à la fois hors de tout temps. Un repos qui existe à la fois dans ce futur où la création retournera, indivisée, en Dieu. Mais aussi un repos qui est accessible à tout moment, comme un saut vers une tranquillité intemporelle qui est en fait notre état naturel et originel.

Nous sommes au sixième jour, ils reste encore tant à créer, à construire. Et, comme le dit la traduction Chouraqui, c’est intensément bon!

Prochain post: le Nasadiya Sukta, hymne hindou de la création

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