Monday, July 11, 2011

Krishnamurti et le pays sans chemin

Aujourd'hui je vous présente ce qui est à mon avis l'un des discours religieux les plus importants du 20e siècle. Il fut prononcé le 3 août 1929 à Ommen, dans les Pays-Bas, devant environ 3000 personne qui croyaient que ce jour-là, le Messie allait se déclarer à eux. Ces gens on eu le choc de leur vie! Car ce que l'orateur, Jiddu Krishnamurti, leur a déclaré ce jour-là, se résume ainsi: "la vérité est un pays sans chemin".

On ne peut comprendre Krishnamurti sans connaître son parcours tout à fait unique. Pour faire une histoire rapide, il a été dès son très jeune âge "repéré" par deux occidentaux, Annie Besant et Charles Landbeater, qui ont vu en lui l'incarnation du prochain Maître Spirituel Mondial. Son aura était spéciale, apparament. Les deux étaient membres de la Société Théosophique, un mouvement ésotérique très fort à l'époque dans l'empire britannique et qui se voulait une tentative de rapprochement entre les philosophies orientales et occidentales. La théosophie avait de nobles visées et était en avance sur son temps, mais il faut dire que c'était une organisation très hiérarchisée, sensée refléter les hiérarchies existant parmi les entités célestes.

Krishnamurti enfant
Besant et Landbeater prennent donc en charge l'éducation religieuse et philosophique du jeune homme, avec la bénédiction de son père. Alors voilà, toute sa jeunesse on enfonce dans la tête de l'enfant qu'il sera un grand homme qui apportera son heure de gloire à la théosophie. On crée même un "Ordre de l'Étoile" afin de l'aider dans son éventuelle mission. Bien sûr, étant enfant, Krishnamurti absorbe tout ce qu'on lui dit et croit lui-même en sa destinée. Il devient même un membre très actif de la société théosophique, écrivant des articles et faisant des discours sur des sujet lui étant reliés.

Or, le décès de son frère, en 1925, remet tout en question. Ça lui ouvre les yeux, et lui fait réaliser à quel point les gens qui l'entourent ont un effet toxique sur lui, et que leur croyance en sa messianité a été tellement "organisée" qu'elle est désormais un frein à sa quête de vérité. Au cours des quatre années qui suivent, le ton des discours de Krishnamurti change graduellement et le vocabulaire théosophique s'y fait de plus en plus rare.

Mais en même temps, il commence à vivre des expériences mystiques très douloureuses et inexplicables. Il restera très discret toute sa vie sur la nature de ces expérience et leur effets sur lui. Mais les gens de l'Ordre de l'Étoile y voient le signe clair du début imminent de son ministère mondial. Mais des rumeurs courent aussi, disant que Krishnamurti va dissoudre l'Ordre de l'Étoile. C'est pourquoi le 3 août, lors du congrès annuel de l'Ordre, la nervosité est palpable. Voici le discours intégral que prononce Krishnamurti ce jour-là, discours qui allait changer sa vie et annoncer la mission que lui-même se donnerait. C'est une lecture un peu longue mais je vous encourage fortement à la faire, car elle aura sûrement pour effet de vous provoquer et être provoqué, c'est toujours bon!

Ce matin, nous allons débattre de la dissolution de l’Ordre de l’Étoile. Beaucoup en seront ravis, et d’autres en seront plutôt attristés. Cela ne doit pas être un sujet de joie ni de tristesse, puisque c’est inévitable et je vais vous l’expliquer . Vous vous souvenez peut-être de l’histoire du diable qui descendait une rue en compagnie d’un ami. Ils voient devant eux un homme se baisser, ramasser quelque chose, le regarder et le mettre dans sa poche. L’ami dit au diable : ‘Qu’a-t-il bien pu trouver ?’. ‘Un bout de vérité’ dit le diable. ‘Très mauvais pour vous, cela’ remarque l’ami. ‘Pas du tout’ réplique le diable, ‘je vais faire en sorte qu’il l’institutionalise’.
J’affirme que la Vérité est un pays sans chemin, et qu'aucune route, aucune religion, aucune secte ne permet de l'atteindre. Tel est mon point de vue, je le maintiens de façon absolue et inconditionnelle. La Vérité étant sans limites, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée; on ne devrait pas non plus créer d’organisation pour conduire, pousser les gens sur une certaine voie. Dès que vous avez saisi cela, vous réalisez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. La croyance est une affaire purement individuelle, on ne peut pas, on ne doit pas l'organiser. Si on le fait, elle meurt, fossilisée; elle n'est plus qu'une croyance, une secte, une religion que l’on impose à d’autres. 
C’est ce que chacun prétend faire à travers le monde. La Vérité est rapetissée, transformée en jouet pour ceux qui sont faibles, ceux dont le mécontentement n’est que momentané. La Vérité ne peut être mise à la portée de l’individu, c'est à l’individu de faire l'effort pour monter jusqu'à elle. On ne peut pas amener dans la vallée le sommet de la montagne. Si on veut l’atteindre, il faut entrer dans la vallée, puis grimper les raidillons, sans craindre les précipices dangereux. Il faut monter vers la Vérité, elle ne peut pas descendre à votre niveau ou être façonnée pour vous. Les institutions entretiennent l’intérêt pour les idées, mais elles suscitent cet intérêt de l’extérieur. L’intérêt qui ne naît pas de l’amour de la Vérité pour elle-même, l’intérêt inspiré par une institution, est sans valeur. L’institution devient un cadre auquel les membres s’adaptent confortablement. Ils ne tendent plus vers la Vérité, vers le sommet de la montagne, ils se taillent une niche commode dans laquelle ils s’installent ou se font installer par l’institution, pensant qu’elle les conduira de ce fait à la Vérité. 
Voilà la première raison pour laquelle, à mon point de vue, l’Ordre de l’Étoile doit être dissous. En dépit de cela vous allez probablement fonder quelque autre ordre, ou vous continuerez à appartenir à d’autres institutions qui cherchent la Vérité.

Pour ce qui me concerne, je ne veux appartenir à aucune entreprise d'ordre spirituel, comprenez bien cela. J’utilise une entreprise qui me conduit à Londres, par exemple : c’est une toute autre sorte d’entreprise, purement mécanique, comme la poste ou le télégraphe. J’utiliserai une voiture ou un bateau pour voyager, ce sont des machines qui n’ont rien à voir avec la spiritualité. Je répète qu'aucune institution ne peut mener l'homme à la spiritualité. Si on en crée une dans cette intention, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage qui mutile l'individu et l'empêche de grandir, de fonder son caractère unique, lequel consiste en sa propre découverte de la Vérité absolue et inconditionnée. C'est la seconde raison qui m’amène, puisque je me trouve être le chef de l'Ordre, à le dissoudre. Personne n’a pesé sur ma décision. 
Ce n'est pas une action d’éclat; simplement je ne veux pas de disciples, j’insiste là-dessus. Dès que l’on suit quelqu'un, on cesse de suivre la Vérité. Peu m'importe que vous teniez compte de ce que je dis ou non. J'ai une chose à faire dans le monde, et je vais m'y consacrer avec une détermination inébranlable. Je ne me préoccupe que d'une seule chose, essentielle : libérer l'homme. Je veux qu’il soit libre de toutes les cages, de toutes les peurs, et non pas libre de retrouver une nouvelle religion, une nouvelle secte, de nouvelles théories ou de nouvelles philosophies.
Vous allez naturellement me demander pourquoi je parcours le monde, à parler sans cesse. Je vais vous dire pourquoi : ce n'est pas parce que je désire un auditoire, ou attirer à moi un groupe choisi de disciples élus. (Les hommes adorent se distinguer de leurs semblables, même par les différences les plus ridicules, absurdes et futiles ! Je ne veux pas encourager cette absurdité...) Je n'ai pas de disciples et pas d’apôtres, ni dans ce monde ni dans le monde de la spiritualité. 
Ce n’est pas non plus le désir d’argent, ni d’une vie confortable qui me mène. Si je voulais une vie confortable, je ne participerais pas à des camps et ne vivrais pas dans un pays humide ! Je parle franchement car je veux que les choses soient établies une bonne fois pour toutes, je ne veux pas poursuivre d’année en année ces discussions puériles.
Un journaliste qui m'interviewait trouvait que dissoudre une institution composée de milliers et de milliers de membres était un geste grandiose, car, disait-il, "Que ferez-vous maintenant, comment vivrez-vous ? Vous n'aurez plus d'auditoire, on ne vous écoutera plus". S'il n’y a que cinq personnes qui veulent écouter, qui veulent vivre le visage tourné vers l'éternité, ce sera assez. 
A quoi sert d’avoir des milliers d’auditeurs qui ne comprennent pas, confits dans leurs préjugés, qui refusent le neuf, ou plutôt voudraient bien convertir le neuf en quelque chose qui convienne à leur petit ‘moi’ stérile et stagnant ? Si mes paroles sont fermes, comprenez bien que ce n’est pas par manque de compassion. Si vous allez consulter un chirurgien, n’est-ce pas de la bonté de sa part de vous opérer même s’il vous fait mal ? De même, si je parle sans détour, ce n’est pas par manque d’une réelle affection, tout au contraire. 
Krishnamurti durant son discours
Je vous l'ai dit, je n'ai qu'un but : libérer l'homme, le presser vers la liberté, l'aider à se dégager de toutes les limitations, car cela seul lui fera atteindre la béatitude éternelle, la réalisation du soi inconditionné.
Parce que je suis libre, inconditionné, intégral - pas une vérité partielle, pas une vérité relative, mais Vérité absolue, qui est éternelle - je désire que ceux qui cherchent à me comprendre soient libres. Pas libres de me suivre, de faire de moi une cage qui se change en religion, en secte. Mais qu'ils soient libres de toute peur : peur de la religion, peur du salut, peur de la spiritualité, peur de l'amour, peur de la mort, peur de la vie même. Un artiste peint un tableau parce qu'il trouve sa joie en peignant, parce que c’est sa façon de s’exprimer, son honneur, son bien-être : c’est ainsi que j’agis, et non parce que j’attends quoi que ce soit de qui que ce soit. 
Vous êtes habitués à l’autorité, ou à l'atmosphère d'autorité qui, pensez-vous, vous conduira à la vie spirituelle. Vous croyez, vous espérez qu'un autre, par ses pouvoirs extraordinaires - par un miracle - va vous transporter dans cet univers de liberté éternelle qui est la béatitude. Toute votre conception de la vie est fondée sur cette autorité.
Voici trois ans maintenant que vous m'écoutez, sans qu'aucun changement ne se produise, sauf chez quelques-uns. Analysez maintenant ce que je dis, exercez votre sens critique, afin de pouvoir comprendre totalement, en profondeur. Lorsque vous demandez à une autorité de vous guider vers la vie spirituelle, vous êtes obligatoirement conduits à construire une organisation autour de cette autorité. Du fait même de créer cette organisation afin d’aider cette autorité à vous guider vers la spiritualité, vous vous êtes mis en cage. 
Si je parle franchement, souvenez-vous que je le fais sans dureté, ni cruauté, ni par exaltation pour mon sujet, mais parce que je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire. Vous êtes venus pour cela et ce serait une perte de temps de ne pas exposer clairement et définitivement mon point de vue.
Pendant dix-huit ans, vous avez préparé cet événement, la venue de l’Instructeur du Monde. Pendant dix-huit ans, vous vous êtes organisés, vous avez attendu quelqu’un qui apporte une joie nouvelle dans vos cœurs et vos esprits, qui transforme complètement votre vie, qui vous donne un nouvel entendement; attendu quelqu’un qui élève votre vie à un plan supérieur, qui vous redonne courage, qui vous rende libre… Et voyez maintenant ce qui se passe ! 
Réfléchissez, raisonnez avec vous-mêmes et voyez en quoi cette croyance vous a rendu différents – pas la différence superficielle de porter un badge, ce qui est futile, absurde. En quoi cette croyance a-t-elle balayé toutes les choses superflues de la vie ? C’est la seule façon d’en juger : en quoi êtes-vous plus libres, plus grands, plus dangereux pour toute société fondée sur le fallacieux et l’accessoire ? En quoi les membres de cette organisation de l’Étoile sont-ils devenus différents ? 
Comme je l’ai dit, vous avez tout préparé pour moi pendant dix-huit ans. Cela m’est égal que vous croyiez ou non que je suis l’Instructeur du Monde, cela importe peu. Comme membres de l’institution de l’Ordre de l’Étoile, vous avez apporté votre sympathie, mis votre énergie à reconnaître Krishnamurti comme l’Instructeur du Monde, certains pleinement - ceux qui cherchent vraiment - certains partiellement - ceux qui sont satisfaits de leurs propres demi-vérités. 
Vous avez préparé pendant dix-huit ans, et regardez combien d’obstacles à votre compréhension, combien de complications, combien de futilités. Vos préjugés, vos peurs, vos autorités, vos églises anciennes et nouvelles, tout ceci, je le soutiens, fait barrage à la compréhension. Je ne peux pas être plus clair. Je ne veux pas que vous acquiesciez, je ne veux pas que vous me suiviez, je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire. 
Il vous faut comprendre, car, loin de vous transformer, votre croyance n’a fait que vous rendre compliqués, parce que vous ne voulez pas affronter les choses telles qu’elles sont. Vous voulez vos dieux – des nouveaux dieux au lieu des anciens, de nouvelles religions au lieu des anciennes, de nouvelles structures au lieu des anciennes – toutes choses sans valeur, des obstacles, des limitations, des béquilles. À la place d’anciennes distinctions spirituelles, vous en avez de nouvelles, au lieu de vos vieilles dévotions, vous en avez des neuves. Pour votre vie spirituelle, vous dépendez de quelqu’un, pour votre bonheur, vous dépendez de quelqu’un, pour votre illumination, vous dépendez de quelqu'un. Et, bien que vous prépariez depuis dix-huit ans ma venue, quand je vous dis que toutes ces choses sont inutiles, quand je vous dis de les rejeter en bloc et de chercher en vous-même l'illumination, la splendeur, la purification et l'incorruptibilité du soi, pas un d'entre vous n'est prêt à le faire. Peut-être quelques-uns, mais peu, très peu...
Alors, à quoi bon une telle institution? 
Pourquoi avoir avec moi des gens insincères et hypocrites, moi l’incarnation de la Vérité ? Je vous en prie, rappelez-vous que je ne veux être ni dur, ni méchant, mais nous sommes arrivés à un stade où il faut voir les choses en face. J’ai dit l'an dernier que je ne me prêterai pas à un compromis. Très peu alors ont écouté. Cette année, j’ai mis les choses tout à fait au clair. J'ignore combien de milliers de membres de l'Ordre à travers le monde ont préparé depuis dix-huit ans ma venue, et pourtant, aujourd’hui, ils ne veulent toujours pas écouter totalement, sans réserve, ce que je dis, alors, à quoi bon une telle institution? 
Mon dessein, je le répète, est de libérer les hommes sans condition, car je soutiens que la seule spiritualité est l'incorruptibilité du soi qui est éternel, c’est l'harmonie entre la raison et l'amour. C'est la Vérité absolue, inconditionnée, qui est la Vie elle-même. Je veux donc libérer l'homme; qu'il exulte comme l'oiseau dans le ciel clair, sans poids, sans attache, extatique de cette liberté. Et moi, pour qui vous avez tout préparé pendant dix-huit ans, je vous dis maintenant de vous libérer de toutes vos complications, de vos pesanteurs. Vous n'avez pas besoin pour cela d'une organisation fondée sur une croyance spirituelle. Pourquoi former une structure pour la dizaine de personnes dans le monde qui comprennent, qui s’appliquent, qui ont mis de côté tout ce qui est insignifiant? Quant aux faibles, aucune organisation ne peut les aider à trouver la Vérité, parce que la Vérité est en chacun; elle n'est ni loin, ni près, elle est là, éternellement. 
Les organisations ne peuvent pas vous rendre libres. Aucun être venu d’ailleurs ne peut le faire; fonder un culte, vous immoler à une cause ne vous libèreront pas non plus; vous regrouper en organisation, vous lancer dans les œuvres non plus. Vous utilisez une machine à écrire pour votre correspondance, mais vous ne la posez pas sur un autel pour l'adorer. Pourtant c'est bien que vous faites quand une institution devient votre premier souci. "Combien de membres ?" Voilà la première question que me posent les journalistes. "Combien de disciples ? C'est à leur nombre que nous jugerons si ce que vous dites est vrai ou faux." J'ignore leur nombre, cela ne m'intéresse pas. Comme je l’ai dit, s'il n'y avait qu'une seule personne libérée, ce serait assez.
Vous croyez que seules certaines personnes détiennent la clé du Royaume de la Béatitude. Personne ne la détient, personne n'en a l'autorité. Cette clé, c'est le soi, et c’est seulement dans le développement, la purification, et l’incorruptibilité du soi que réside le Royaume de l'Éternité. 
Vous verrez alors à quel point est absurde toute la structure que vous avez édifiée, cherchant une aide extérieure, dépendant des autres pour votre réconfort, votre bonheur, votre force. Tout cela, vous ne le trouverez qu'en vous-même.?Vous n’avez donc pas besoin d’une institution. 
Vous avez pris l'habitude que l'on vous dise où vous en êtes sur le plan spirituel. Comme c'est puéril ! Qui d'autre que vous peut dire si vous êtes beau ou laid intérieurement, qui d’autre peut dire si vous êtes incorruptible? Vous n’êtes pas sérieux. 
Alors, quelle est la valeur d’une institution? 
Mais ceux qui cherchent réellement à comprendre, à découvrir ce qui est éternel, ce qui n’a ni commencement ni fin, feront route ensemble avec une plus grande intensité, et deviendront un danger pour tout ce qui n'est pas essentiel, les chimères, les ombres. Ils se concentreront, ils deviendront la flamme, parce qu'ils auront compris. Voilà le groupe que nous devons créer, et tel est mon but. L’existence d’une vraie compréhension entraînera une vraie amitié. A cause de cette véritable amitié - sentiment que vous ne semblez pas connaître - chacun apportera sincèrement sa coopération, non pas sous la pression de l'autorité, ni pour rechercher son salut, ni en immolation à une cause, mais parce que vous comprendrez véritablement, donc vous serez capables de vivre dans l'éternel. Ceci est bien plus fort que tout plaisir, que tout sacrifice. 
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles, après y avoir réfléchi sérieusement pendant deux ans, j'ai pris cette décision. Je ne cède pas à une impulsion momentanée, personne ne m’y a poussé; dans ce domaine, je ne suis pas sensible aux influences. Pendant deux ans, j'ai pensé à cela, calmement, patiemment, avec grand soin, et j'ai finalement décidé de démanteler l'Ordre, puisque je me trouve être son président. Libre à vous de fonder une autre institution et d'attendre quelqu'un d'autre, cela ne me concerne pas, pas plus que de créer de nouvelles cages, de nouvelles décorations pour ces cages. Mon seul souci est de rendre les hommes libres, absolument, inconditionnellement libres. »
 - Jiddu Krishnamurti, 3 août 1929

Après ce discours et jusqu'à sa mort, Krishnamurti passera le reste de sa vie à voyager partout dans le monde pour faire des conférences et répondre au questions des gens qu'il rencontre. 25 ans après son décès, ses propos restent d'une actualité criante, dans un monde post-moderne où ses idées on trouvé un terrain très fertile. Pas surprenant qu'il connaisse actuellement un gain important en popularité et que se livres se vendent partout!

Êtes-vous provoqués par l'idée que se fait Krishnamurti des insitutions religieuses? La vérité serait-elle vraiment un pays sans chemins?

Saturday, June 18, 2011

Le philosophe et le rabbin

Ma meilleure amie ayant récemment commencé à fréquenter une synagogue orthodoxe de dénomination Chabad, j'ai commencé à lire un livre du Rebbe Menachem Mendel Shneerson, qui a été leur 7e dirigeant. Que voulez-vous, je suis incapable d'entendre le nom d'une religion ou dénomination sans par après aller me tapper un bouquin sur le sujet!

Je commence à peine à lire, mais je vous partage une petite histoire qu'il racontait et que je trouve tout à fait éclairante sur la nature de la foi et en quoi elle doit nous questionner!

Le Rebbe
Un philosophe argumentait avec un rabbin réputé à propos de l'existence de Dieu. Le philosophe croyait que malgré qu'il y avait plusieurs arguments persuasifs pour prouver l'existence de Dieu, il y en avait autant pour dénier Son existence. Après quelques temps, le philosophe s'exaspéra. "Tu es un homme sage, dit-il au rabbin. Alors pourquoi n'es-tu pas ébranlé par tous ces arguments disputant l'existence de Dieu?"
Le rabbin sourit. "Je t'envie, dit-il au philosophe. Parce que tu es si engagé à réfléchir sur l'existence de Dieu, tu es toujours en train de penser à Lui, alors que moi, je passe la majeure partie de mon temps à penser à moi-même" Sur ce, le deux allèrent chacun de leur côté.
Le philosophe était flatté par la remarque du rabbin, mais il fut dérangé que sa question fut restée sans réponse. Et alors que le temps passait et qu'il vieillissait, la véritable implication des paroles du rabbin devint finalement claire à ses yeux. "En fait, le rabbin m'a insulté, pensa-t-il. La raison pourquoi je passe tout mon temps à réfléchir sur l'existence de Dieu, c'est que je suis certain que j'existe, alors la seule question est si oui ou non Dieu existe. Pour le rabbin, l'existence de Dieu est une évidence, alors la question éternelle est à savoir si oui ou non lui-même existe, et si oui, pourquoi.
Quelle fin surprenante! J'adore!

Wednesday, June 15, 2011

Katha Upanishad: l'Impérissable

Nachiketas et Yama
Dans mon dernier post, Nachiketas avait réussi à forcer Yama, le Dieu de la Mort, lui dire ce qu'il advenait de l'individu après la mort. Continue-t-il d'exister ou non?

Bien heureusement, le texte évite de donner une réponse facile et toute cuite dans le bec. La réponse, dont je présenterai quelques extraits, est très typique de la pensée hindoue, et peut sembler fort étrange aux oreilles occidentales...

Yama: Le Soi tout-connaissant est non-né, et impérissable. Il n'a pas d'origine, et n'a rien engendré. Il est non-né, sans âge, Il est très ancien et vivra jusqu'à la fin du temps, et Il n'est pas tué quand le corps est tué.

Si le tueur pense qu'il tue effectivement, et si la victime pense que son Soi est effectivement tué, l'un et l'autre témoignent d'une conception erronée. Le Soi ne donne pas la mort, le Soi ne meurt pas.

Le Soi, qui est plus subtil que toute subtilité et plus grand que toute grandeur, siège dans le cœur de toute créature. Celui qui a maîtrisé tous ses désirs peut contempler la gloire majestueuse du Soi à travers ses sens apaisés et son esprit pacifié, et il se libère dès lors de toute souffrance.

Demeurant assis, Il voyage au loin; demeurant immobile, Il se déplace partout. Qui donc, si ce n'est moi, peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?

L'homme sage, qui a réalisé la présence de l'incorporel Atman à l'intérieur de tout corps, et qu'Il est fermement établi en toute chose périssable, qu'Il est grand et tout-pénétrant, ne connaît plus le chagrin.

On n'atteint pas à l'Atman par l'étude des Védas, ni au moyen de l'intellect, ni à force d'écouter des enseignements. Seul l'aspirant sincère qui désire ardemment L'atteindre, peut Le trouver. À celui-là, l'Atman révélera de lui-même Sa nature authentique.

Nul ne peut atteindre à l'Atman, qui ne s'est pas abstenu de toute conduite négative, dont les sens ne sont pas maîtrisés, dont le mental n'est pas concentré et dont l'esprit n'est pas établi dans la paix. Car celui-ci ne peut se réaliser qu'au moyen de la connaissance par expérience directe de la Réalité.

Ce Soi – cet Atman pour lequel les Brahmanes et les Kshatriyas ne sont pour ainsi dire que des aliments, et la Mort un simple condiment – qui donc peut savoir où Il se trouve ?
- Katha Upanishad

La mort, un simple condiment? Cette phrase peut faire sursauter. Mais la Vie aurait-elle de la saveur  sans renouvellement, sans évolution, sans recherche constante de mieux... sans la mort elle-même? Oui, parfois la mort semble à l'encontre de tout progrès, quand elle est gratuite et causée par la haine, et il faut travailler pour que cessent ces choses. Mais on ne peut nier que la mort est le moteur qui nourrit notre urgence de vivre.


L'Atman, le Soi, c'est en fait l'unique réalité derrière les apparences de multiplicité. C'est la conscience unique de l'Univers qui fait l'expérience de tout. C'est ce qui perçoit tout les phénomènes. Le mot atman a la même origine étymologique que le mot d'origine grec atmos, qui signifie l'air qui nous entoure. L'Atman, c'est le Souffle de Dieu qui pénètre chaque particule et qui donne vie. Dans la mythologie occidentale, c'est la ruah hébraique, l'Esprit de Dieu qui courrait sur les eaux primordiale aux début des temps et qui fut insufflé dans les narines d'Adam pour lui donner vie.

Et ce Soi, qui est notre réelle identité, ne meurt jamais. Quand un corps meurt, le Souffle qui s'y trouvait ne disparaît pas mais va plutôt rendre vie à une multitude de créatures naissantes. L'individu qui réalise qu'il n'est pas un petit moi, mais qu'il est en fait le Soi qui pénètre tout l'univers, est affranchi de la crainte de la mort. Et on y arrive en ayant un esprit apaisé, serein, libre de la souffrance causée par les désirs et les attachements.

Est-ce à dire que pour le Katha Upanishad Dieu n'a rien à faire de nos douleurs et de nos peurs par rapport à la mort? Et nos joies, les vit-il? Sommes-nous des poussières pour lui, trop éphémères pour qu'il nous remarque? Lui qui est l'Univers entier, se soucie-t-il de nos expériences individuelles? Le Katha utilise une phrase paradoxale pour exprimer ce mystère: "Qui donc peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?"

Mais moi je me dit, si Dieu se foutait vraiment de notre douleur face à la mort, pourquoi autait-il inspiré ce texte et des milliers d'autres, qui nous réconfortent et nous aident à la voir telle qu'elle est vraiment? Qu'on l'appelle Dieu, Atman ou Brahman, il nous appelle à se lever, à partir sa recherche et à le rejoindre dans l'Impérissable. Mais le Katha est clair, ce n'est pas seulement par l'étude des textes sacrés ou en faisant aller son intellect qu'on y arrivera, mais en le laissant se révéler en nous-même. Il nous tend la main, il faut l'aggriper, sincèrement!
Aspirant, lève-toi ! Éveille-toi ! Va trouver les plus grands maîtres et apprends auprès d'eux. Car ce sentier est aussi affûté que le fil du rasoir, périlleux, et difficile à traverser. C'est ce qu'affirment les sages.

Par la réalisation de l'Atman, dénué de sons, intangible, sans forme, sans changement ni décrépitude, sans saveur, éternel, inodore... par la réalisation de cet Atman qui est sans commencement ni fin, au-delà du monde matériel et parfaitement constant, l'homme se libère des mâchoires de la mort.
(...)
Et Nachiketas, ayant bénéficié de cet enseignement que lui communiqua Yama, le dieu de la Mort, mais aussi des instructions relatives au Yoga dans leur intégralité, parvint à Brahman, après avoir développé le parfait détachement et l'immortalité. Et il en fut et en sera ainsi de quiconque acquiert, de façon aussi accomplie, la connaissance du Soi intérieur.

Om ! Puisse-t-Il nous protéger tous deux, et nous dévoiler la nature de la Connaissance;
Puisse-t-Il nous nourrir tous deux des fruits de la Connaissance;
Puissions-nous conjointement atteindre à la force que confère la Connaissance,
Que notre étude nous apporte l'illumination;
Qu'il n'y ait aucune trace de haine en nous, ni entre nous !
Om ! Shanti ! Shanti ! Shanti !
Om ! Paix ! Paix ! Paix !
 - Katha Upanishad

Monday, June 13, 2011

Katha Upanishad: la Mort qui enseigne


Le mot Upanishads signifie “s'assoir aux pieds de...”. Ce nom évoque le position de l'élève qui venait aux pieds du maître pour recevoir son enseignement. Mais pas n'importe quel enseignement... Les Upanishads sont la fine pointe des Védas, le résultat de siècles de réflexion philosophique et d'exploration profonde de la conscience elle-même.  Les 11 upanishads majeurs sont le fondement même de l'hindouisme. Et bien qu'ils présentent des mythes, des cosmogonies et des positions philosophiques parfois très différentes, les Upanishads ont en commun l'affirmation suivante: ayam ātmā brahma , c'est à dire, Dieu et le Soi ne font qu'un.

Le Katha Upanishad est peut-être le plus apprécié en Inde et partout ailleurs dans le monde. Il est relativement court et straightforward, riche en concepts, mais surtout il a comme trame de fond l'histoire irrésistible d'un jeune garçon espiègle mais très sage qui arrive à embarasser la Mort elle-même!

Le Katha commence avec un homme riche, Vajasravasa, qui décide de se donner du mérite en accomplissant le sacrifice du don de tous ses biens (principalement des vaches). Mais son jeune fils, Nachiketas, déjà empli de sagesse malgré son jeune âge, voit bien l'hypocrisie de cet acte. Tout d'abord, les vaches sont vieille et ne servaient plus à rien de toute façon, le sacrifice n'est donc pas très grand. Mais surtout, le sacrifice de Vajasrava a pour but d'accumuler du mérite et des faveurs. Alors, futé, l'enfant demande à son père: "À qui vas-tu me sacrifier, moi?" Le père ne répond pas, ne comprend pas. Nachiketas pose la même question trois fois, et le père finit par se mettre en colère et dit: "C'est à Yama, le dieu de la Mort, que je vais te donner!"

Or, ce qui était une boutade due à l'exaspération, Nachiketas la prend au sérieux. Il laisse tout derrière lui se rend donc dans le Royaume des morts. Or, aux portes du palais, personne pour l'acceuillir, pendant trois jour! Mais Nachiketas attend patiemment, sans rien à manger. Le troisième jour, Yama arrive et voit le jeune homme à l'entrée de son Royaume. Il est très embarassé de n'avoir pu accomplir les rites d'hospitalité. Pour se faire pardonner, il offre à Nachiketas de réaliser trois de ses voeux.

Son premier souhait est que son son père ne soit plus en colère contre lui lorsqu'il reviendra chez lui. Yama l'exauce.

Son deuxième souhait est de connaître le secret du sacrifice du Feu. Yama l'exauce et lui enseigne, et décide même que ce sacrifice portera désormais le nom de Nachiketas.

Et voici que est le troisième souhait de Nachiketas.

Nachiketas aux pieds de Yama
Nachiketas : « Un doute subsiste sur le sort de l'homme après sa mort : selon les uns, il existe toujours, selon les autres, il n'existe plus. Quant à moi, je ne le saurai qu'après que tu me l'aies enseigné. Voilà, sur les trois vœux, le troisième de mon choix. »

Yama répliqua : « Sur ce point, le doute a subsisté même chez les dieux, et cela depuis les temps jadis. La nature de l'Atman (le Soi) est d'une telle subtilité, que cela n'est pas facile à comprendre. Demande donc un autre vœu, ô Nachiketas ! N'insiste pas, et épargne-moi d'avoir à tenir un tel engagement ! »

Nachiketas : « Ô Yama, si même les dieux entretiennent toujours des doutes à ce sujet et que Toi, la Mort, tu confirmes qu'il est malaisé à comprendre, je conçois qu'il n'est pas d'enseignant qui puisse t'être supérieur sur un tel sujet ! Et assurément, nul autre vœu ne peut valoir celui-ci. »

Yama : « Demande-moi des fils et petits-fils qui deviendront centenaires. Demande-moi des troupeaux entiers de bétail, des éléphants, des chevaux et de l'or. Demande-moi un vaste domaine sur la terre des humains, où tu vivras autant d'automnes que tu le désireras. S'il est un autre vœu que tu puisses juger égal à celui-ci, demande-le moi : ainsi la richesse et la longévité. Puisses-tu devenir roi, ô Nachiketas, et régner sur un vaste royaume. Je t'accorderai de pouvoir jouir de tout ce que tu pourras désirer! Tous ces désirs qui sont si difficiles à obtenir dans ce monde des mortels, quels qu'ils puissent être, choisis donc parmi eux. Vois ces belles et jeunes nymphes dans leurs chariots, qui jouent du luth – aucun mortel n'a jamais pu en obtenir une. Je te les offre, et elles seront tes douces esclaves. Mais, ô Nachiketas, ne me demande pas de t'éclairer le mystère de la mort ! »

Nachiketas lui répondit : « Tous ces biens, ô Mort, sont éphémères et ne durent que jusqu'au petit matin ! De plus, les plaisirs épuisent la vigueur de tous les sens dans l'homme. Et la vie, même la plus longue, est en vérité bien courte ! Garde donc ces chevaux, ces danses et ces chants, pour Ton propre plaisir.

Les richesses ne procureront jamais le bonheur à l'homme. Qui plus est, puisque je T'ai vu face à face, j'obtiendrai forcément la richesse ; et la durée de ma vie sera de toute façon fixée par Toi. Aussi le seul vœu qui me satisfasse est bel et bien celui que je t'ai demandé. Après avoir eu le privilège d'un séjour chez les impérissables et les immortels, et y avoir appris que ses souhaits les plus ardents pouvaient être satisfaits par eux, quel mortel résidant ici-bas se réjouirait d'une grande longévité, lui qui est devenu conscient du caractère éphémère de la beauté, des plaisirs et des joies ici-bas ? Ô Yama, dévoile-moi ce grand Au-delà, qui est d'une telle obscurité pour les mortels. Moi, Nachiketas, je ne te supplie d'aucune autre faveur que de me faire pénétrer dans le grand mystère de l'Au-delà ! »
Face à une telle sagesse, Yama s'incline. Car Nachiketas a choisi de suivre la Vérité plutôt que la satisfaction éphémère. Il exauce donc le souhait de Nachiketas, en lui enseignant la nature réelle du Soi.

(suite bientôt!)

Friday, June 3, 2011

Isha Upanishad

L'Isha Upanishads est un chant des Védas qui a acquis un statut très important dans le canon hindou. Il s'agit effectivement de l'un des 11 Upanishads majeurs, ces traités philosophiques qui sont le fondement de la pensée hindoue au sujet de Dieu, de l'Âme et du monde.  Dans l'hindouisme, brahman est atman, c'est à dire, Dieu est le Soi, la réalité unique et la conscience unique derrière tous les phénomènes de l'univers et au-delà toutes les apparences d'individualité et de séparation. Et cette réalisation n'est pas qu'un truc intellectuel philosophique à flotter dans les nuages. Non, c'est une réalisation qui peut changer profondément la façon dont on voit et agit avec les autres.

L'Isha est le plus court, l'un des plus anciens, et aussi peut-être le plus punché des Upanishads. Il expose parfaitement l'esprit hindou. En voici le début!

Om ! Cela est plénitude; ceci est plénitude;
De la plénitude, naît la plénitude.
Quand la plénitude est extraite de la plénitude,
Ce qui reste est plénitude, indéniablement.

Om ! Paix ! Paix ! Paix!
 
Om ! Tout ce qui nous entoure est recouvert de la présence d'Isha, le Seigneur, quel que soit l'être qui se meut à la surface de la terre. C'est par une telle renonciation à l'irréel que tu seras sous la protection du Réel. Ne convoite aucunement les biens d'autrui.

Accomplissant des actions droites dans l'esprit prescrit par les Écritures, l'on peut désirer atteindre l'âge de cent ans. Car, dans cet esprit, l'action ne lie pas son auteur. Il n'est nulle autre voie que celle-ci.

Les mondes inférieurs des démons sont recouverts de l'épais linceul de l'affliction, aveuglant. Ceux qui ont négligé et traité comme lettre morte le Soi, rejoignent ces mondes après leur mort.

Cela est l'Un, tout à la fois sans mouvement et bien plus rapide que l'esprit. Les sens (pourtant si rapides, quasi instantanés) ne peuvent L'atteindre, Il court toujours loin devant. Immobile, Il dépasse ceux qui courent à toute allure. Par la vertu de Sa présence, le vent, Matarishva, mène les activités vitales de tous les êtres.

Il se meut; Il est immobile. Il est lointain; Il est proche. Il est à l'intérieur de tout; Il est à l'extérieur de tout.

Celui qui perçoit tous les êtres en le Soi, et qui perçoit le Soi en tous les êtres, ne peut ressentir un quelconque sentiment d'aversion pour quiconque, en raison de cette identité.

Quand un homme réalise que tous les êtres ne sont rien d'autre que le Soi, quelle illusion peut subsister, quelle souffrance, en lui qui perçoit la fondamentale unicité?

Cela est omni-pénétrant, rayonnant, incorporel, serein, homogène, pur, non souillé d'imperfections. Cela est le Voyant, le Seigneur de la pensée, transcendant et existant par Soi-même.
- Isha Upanishad, 1-8

Saturday, May 28, 2011

Le Jugement Dernier

Harold Camping
On a fait grand cas dans les médias de cet hurluberlu, Harold Camping, qui a convaincu une poignée de gens de tout abandonner en vue du Jugement Dernier prévu pour le 21 mai. Et on a vu pour la première fois depuis des siècle des journaliste citer l'Évangile, plus spécifiquement ce passage de Marc, qui aurait du en faire réfléchir quelques-uns.

Pour ce qui est du jour ou de l'heure, personne ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais le Père seul. Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. Il en sera comme d'un homme qui, partant en voyage, laisse sa maison, donne autorité à ses esclaves, à chacun sa tâche, et commande au gardien de la porte de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand viendra le maître de maison : le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou au matin ; craignez qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. 

- Évangile selon Marc

Le concept du Jugement Dernier dans les religions abrahamiques est apparu tout d'abord dans les prophètes de la Bible juive, sous le nom de Jour du Seigneur. Au départ, ce concept faisait référence à ce jour ultime où Dieu viendrait détruire les ennemis d'Israel. Ne l'avait-il pas fait durant l'Exode et la conquête de Canaan?  Mais les premiers prophètes comme Amos ou Ésaie ont vite compris que le mal ne se situait pas seulement dans les nations étrangères mais également et surtout au sein même d'Israël, qui tournait dos constamment au Seigneur par la multiplication des injustices sociales. Ils étaient dégoûtés de l'attitude d'Israel qui prenait Dieu pour acquis et attendaient simplement l'intervention divine sans agir au quotidien. Voici un passage d'Amos, justement. Harold Camping aurait bien fait de lire les premières lignes!

Quel malheur de voir ceux qui attendent
le jour où le Seigneur interviendra !
Que vous apportera-t-il, ce jour du Seigneur ?
Un bonheur lumineux ? — Non, ce sera un jour noir,
comme pour un homme qui fuit devant un lion
et tombe sur un ours.
Il entre à la maison, appuie la main au mur,
et se fait mordre par un serpent !

— Lumineux, le jour du Seigneur ? — Non, ce sera un jour noir,
un jour d'obscurité, sans la moindre lumière !
« Je déteste vos pèlerinages, je ne veux plus les voir,
dit le Seigneur.
Je ne peux plus sentir vos cérémonies religieuses,
ni les sacrifices complets que vous venez me présenter.
Je n'éprouve aucun plaisir à vos offrandes de grains.
Je ne regarde même pas
les veaux gras que vous m'offrez en sacrifice de communion.

Cessez de brailler vos cantiques à mes oreilles ;
je ne veux plus entendre le son de vos harpes.
Laissez plutôt libre cours au droit.
Que la justice puisse couler comme un torrent intarissable !
- Amos
Le concept du Jour du Seigneur s'est en partie réalisé à travers l'exode à Babylone, mais même après le retour d'exil, l'idée a continué de circuler, mais cette fois-ci avec une tonalité plus universelle; ce ne serait pas seulement Israel qui serait jugé, ni seulement les nations qui l'entoure... mais la création entière! De plus, environ à la même époque est apparu le thème du Messie dont l'arrivée annoncerait l'avènement du jour du Seigneur.
Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion !
Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux,
humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse.

A Éfraïm, il supprimera les chars de combat
et les chevaux, à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre.
Il établira la paix parmi les nations ;
il sera le maître d'une mer à l'autre,
de l'Euphrate jusqu'au bout du monde.

(...)

En ce temps-là, la lumière ne sera plus nécessaire, il n'y aura plus ni froid ni gel.

A une époque que seul le Seigneur connaît,
il fera continuellement jour,
on ne distinguera plus entre le jour et la nuit,
même le soir, il fera clair.

En ce temps-là, une source jaillira de Jérusalem ;
la moitié de son eau coulera vers la mer Morte
et l'autre moitié vers la Méditerranée,
pendant toute l'année,
à la saison sèche comme à la saison des pluies.

En ce temps-là, le Seigneur régnera sur la terre entière ;
lui seul sera adoré comme Dieu,
son nom seul sera reconnu par tous les hommes.
Toute la région autour de Jérusalem sera transformée en plaine,
de Guéba au nord jusqu'à Rimmon au sud.

Jérusalem dominera les alentours,
et la ville s'étendra
de la porte de Benjamin jusqu'à la porte de l'Angle,
à l'emplacement de l'ancienne porte, et de la tour de Hananéel
jusqu'aux pressoirs du Roi.

On pourra s'installer dans la ville,
elle ne sera plus menacée de destruction
et on y vivra en sécurité.

Quant aux peuples partis en guerre contre Jérusalem,
voici quels maux le Seigneur leur fera subir :
leur chair se décomposera alors qu'ils seront encore vivants,
leurs yeux pourriront dans leurs orbites,
de même que leur langue dans leur bouche.
- Zacharie
Inutile que les premiers chrétiens se sont garrochés sur toutes ces prophétie pour les associer au nom de Jésus. Alors, pour eux, la fin du monde était tout proche. Les apôtre de même que Paul semblaient attendre la fin du monde de leur vivant. C'est une caractéristique particulière des débuts du christianisme: les gens attendaient le retour imminent du Christ, dans leur vivant. Ce sentiment d'urgence alimentait toute leur activité évangélique. Voyez ici comment Paul laisse sous-entendre que la fin arrivera de son vivant.
Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l'ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort, afin que vous ne vous attristiez pas comme les autres, qui n'ont pas d'espérance. En effet, si, comme nous le croyons, Jésus est mort et s'est relevé, alors, par Jésus, Dieu réunira aussi avec lui ceux qui se sont endormis. Voici en effet ce que nous vous disons — c'est une parole du Seigneur : nous, les vivants qui restons jusqu'à l'avènement du Seigneur, nous ne devancerons en aucun cas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur lui-même, avec un cri de commandement, avec la voix d'un archange, avec le son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ se relèveront d'abord. Ensuite, nous, les vivants qui restons, nous serons enlevés ensemble avec eux, dans les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs ; et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Encouragez-vous donc les uns les autres par ces paroles.
- Saint Paul, première lettre aux Thessaloniciens

Ce passage est également la source de la théorie du Ravissement (rapture en anglais), qui dit que les croyants seront enlevés de la terre, laissant ainsi les paiens et les pécheurs souffrir pendant que la terre sera détruite. Cette idée, surtout présente dans le mouvement évangélique américain, a même servi de base à une série de best-sellers aux États-Unis, Left Behind. Et Harold Camping croyait que ça se produirait le 21 mai. L'évangélisme américain étant divisé en des centaines de sous-mouvements, l'idée du Ravissement est souvent devenu un prétexte pour pointer du doigt, du genre "nous on va monter mais pas vous ni vous, pis surtout pas les catholiques pis les mainline!"

Et puis, semble-t-il maintenant que le ravissement du 21 mai était spirituel, dixit Harold Camping. Bien que pour lui cette affirmation n'est qu'une façon de se sauver la face, je trouve que l'idée de ravissement spirituel est une jolie façon d'aborder ce passage de Paul. En effet, pourquoi attendre la mort pour s'approcher de Dieu? Pourquoi ne pourrait-il pas me prendre auprès de lui dès maintenant? En fait, peut-être sommes nous déjà montés auprès de lui depuis notre création, et que le Ravissement, c'est simplement cette éventuelle réalisation, individuelle ou collective, que nous n'avons jamais été séparés de Lui!

Nous ne sommes pas séparés de Dieu, il est déjà partie intégrale de notre être. Ce qui nous donne le devoir d'agir envers nos frère et nos soeur avec le plus grand amour et la plus grande compassion et dévotion. Et il faut le faire avec l'urgence qu'ont exigés les prophètes juifs et Paul. Ce que nous rappelle cette image terrible mais magnifique que Jésus a donnée.

« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire avec tous les anges, il siégera sur son trône royal. Tous les peuples de la terre seront assemblés devant lui et il séparera les gens les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres ; il placera les moutons à sa droite et les chèvres à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli chez vous ; j'étais nu et vous m'avez habillé ; j'étais malade et vous avez pris soin de moi ; j'étais en prison et vous êtes venus me voir.” Ceux qui ont fait la volonté de Dieu lui répondront alors : “Seigneur, quand t'avons-nous vu affamé et t'avons-nous donné à manger, ou assoiffé et t'avons-nous donné à boire ? Quand t'avons-nous vu étranger et t'avons-nous accueilli chez nous, ou nu et t'avons-nous habillé ? Quand t'avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous allés te voir ? ” Le roi leur répondra : “Je vous le déclare, c'est la vérité : toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.”
« Ensuite, le roi dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, maudits ! Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges ! Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais étranger et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison et vous n'avez pas pris soin de moi.” Ils lui répondront alors : “Seigneur, quand t'avons-nous vu affamé, ou assoiffé, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison et ne t'avons-nous pas secouru ? ” Le roi leur répondra : “Je vous le déclare, c'est la vérité : toutes les fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, vous ne l'avez pas fait à moi non plus.” Et ils iront subir la peine éternelle, tandis que ceux qui ont fait la volonté de Dieu iront à la vie éternelle. » 
- Évangile selon Matthieu, 25:31-45
Le passage "J'étais nu et vous m'avez habillé..." est parmi les plus cités de Jésus, mais souvent on le cite en excluant les notions de Jugement Dernier et définitif, parce que cette partie dérange: ceux qui auront mal agit durant leur courte vie humaine brûleront éternellement. Cette image est en contradiction avec la notion de Père aimant et miséricordieux que Jésus proclamait. C'est loin d'être la seule contradiction dans les évangiles, mais celle-ci blesse particulièrement. Une punition éternelle est une cruauté qui est incompatible avec le Dieu de Justice. Et cette idée de punition éternelle n'est pas unique au christianisme. Pour l'Islam, le Jugement Dernier est également une éventualité certaine et définitive.

Lorsque le ciel se déchirera, que les astres se disperseront, que les mers déborderont et que les tombeaux seront bouleversés, toute âme saura alors ce qu’elle aura accompli et ce qu’elle aura omis. Ô homme ! Qu’est-ce qui te fait douter de la magnanimité de ton Seigneur qui t’a créé, t’a constitué, t’a modelé avec harmonie, suivant la forme qu’Il a bien voulu te donner?
Loin de L’en louer, vous traitez de mensonge le Jugement dernier,  alors que vous êtes constamment surveillés par de nobles scribes qui sont au courant de tout ce que vous faites ! En vérité, les hommes pieux baigneront dans les délices et les impies seront livrés à la Fournaise, dont ils subiront, le Jour du Jugement dernier, les supplices, sans jamais pouvoir y échapper. Et qui te donnera une idée du Jugement dernier? Oui, qui te donnera une idée du Jugement dernier? Ce sera le jour où nulle âme ne pourra intervenir en faveur d’une autre âme, car, ce jour-là, toute décision appartiendra à Dieu.

- Coran, sourate de la Fissure.

En fait, très souvent on trouve dans le Coran la formulation "croire en Dieu et au Jugement Dernier", comme si les deux sont indissosciables, comme si la foi en Dieu sans Jugement Dernier est vide de sens. La foi au Jugement Dernier est une condition minimale pour être sauvé, même chez les non-musulmans, comme en fait foi ce passage de la sourate de la Vache, qui se situe presque au tout début du Coran.

Certes, ceux qui ont cru, ceux qui ont adopté le judaïsme, les chrétiens, les sabéens, quiconque parmi eux a cru en Dieu, au Jugement dernier et a pratiqué le bien trouvera sa récompense auprès de son Seigneur et ne ressentira ni crainte ni chagrin.
- Coran, Sourate de la Vache

Du côté des religions orientales, les thèmes sont similaires. La plus importante différence est que leur conception du temps est beaucoup plus cyclique... la fin d'un monde n'est en fait que le début d'un autre qui sera, sommes toutes, semblable aux précédents. Autant l'hindouisme que le bouddhisme parlent de la fin de l'Âge, où la dharma (loi) sera en perdition totale et caractérisée par la violence et la dépravation. Alors viendra selon les hindous un nouvel avatar, Kalki, ou selon les bouddhistes, un nouveau Bouddha, Maitreya. Celui-ci rétablira le dharma une dernière fois afin de permettre la résorbtion de l'univers dans son état original d'unité. Et de cette unité naîtra un nouvel univers... 



Par exemple, ce passage du Bhagavata Purana (en english...)

Lord Vishnu -- the Supreme Personality of Godhead, the spiritual master of all moving and nonmoving living beings, and the Supreme Soul of all -- takes birth to protect the principles of religion and to relieve His saintly devotees from the reactions of material work.

Lord Kalki will appear in the home of the most eminent brahmana of Sambhala village, the great soul Vishnuyasa. Lord Kalki, the Lord of the universe, will mount His swift horse Devadatta and, sword in hand, travel over the earth exhibiting His eight mystic opulences and eight special qualities of Godhead. Displaying His unequaled effulgence and riding with great speed, He will kill by the millions those thieves who have dared dress as kings.

After all the impostor kings have been killed, the residents of the cities and towns will feel the breezes carrying the most sacred fragrance of the sandalwood paste and other decorations of Lord Vasudeva, and their minds will thereby become transcendentally pure.

When Lord Vasudeva, the Supreme Personality of Godhead, appears in their hearts in His transcendental form of goodness, the remaining citizens will abundantly repopulate the earth. When the Supreme Lord has appeared on earth as Kalki, the maintainer of religion, Satya-yuga will begin, and human society will bring forth progeny in the mode of goodness.

(…)

The cycle of four ages -- Satya, Treta, Dvapara and Kali -- continues perpetually among living beings on this earth, repeating the same general sequence of events.

Encore un bain de sang et des souffrances infinies pour les méchants!  Peut-il y avoir justice en ce monde sans qu'on s'accroche à un Dieu vengeur? Est-il possible de faire coexister les idées de Jugement de Dieu et d'un Dieu d'Amour et de miséricorde? En fait, il faut comprendre que tout ces textes furent écrits à des époques bien cruelles ou l'injustice frappait très fort. Il était alors rassurant de se dire que Dieu allait faire la job que la société ne pouvait pas faire. Mais aujourd'hui, au 21e siècle, avons nous toujours besoin de concevoir Dieu ainsi?

Une des plus belle réponse au paradoxe du Jugement Dernier se trouve dans le Cours en Miracles, un des plus importants textes sacrés ayant vu le jour au 20e siècle. Je vous en reparlerai plus en longueur dans un autre post, mais bon, je peux tout de suite vous dire qu'après le Nouveau Testament, le Cours est le livre qui nourrit le plus ma spiritualité! Et ce passage est l'un de mes favoris du livre.

Chacun sera-t-il jugé à la fin?

Oui, certes ! Nul ne peut échapper au Jugement final de Dieu.  Qui pourrait s'enfuir à jamais de la vérité? Mais le Jugement  final ne viendra que lorsqu'il ne sera plus associé à la peur. Un  jour chacun l'accueillera et ce jour même il lui sera donné. Il  entendra son impeccabilité proclamée de par le monde et tout  autour du monde, le libérant tandis que le Jugement final de  Dieu sur lui est reçu. C'est dans ce Jugement que réside le salut.  C'est ce Jugement qui le rendra libre. C'est dans ce Jugement  que toutes choses sont libérées avec lui. Le temps s'arrête à  l'approche de l'éternité et le silence s'étend sur le monde afin que  chacun entende ce Jugement du Fils de Dieu :
 

Tu es saint, éternel, libre et entier, en paix à jamais  dans le Cœur de Dieu. Où est le monde, et où est le  chagrin maintenant ?

Est-ce le jugement que tu portes sur toi-même, enseignant  de Dieu? Crois-tu que cela est entièrement vrai? Non, pas  encore, pas encore. Mais c'est encore ton but, ce pour quoi tu es  ici. C'est ta fonction de te préparer à entendre ce Jugement et à  reconnaître qu'il est vrai. Un seul instant de complète croyance  en lui et tu iras par-delà la croyance à la Certitude. Un seul instant hors du temps peut amener la fin du temps. Ne juge point,  car tu ne juges que toi-même et tu retardes ainsi ce Jugement  final. Quel est le jugement que tu portes sur le monde, enseignant  de Dieu? As-tu déjà appris à te mettre à l'écart et à entendre la  Voix du Jugement en toi ? Ou essaies-tu encore de Lui prendre  Son rôle ? Apprends à faire silence, car Sa Voix s'entend dans  le silence. Et Son Jugement vient à tous ceux qui se mettent à  l'écart et écoutent en silence, et L'attendent.

Toi qui es parfois triste et parfois en colère; toi qui penses parfois que ton juste dû ne t'est pas donné et que tes meilleurs efforts  ne rencontrent qu'un manque de reconnaissance et même du  mépris; abandonne ces sottes pensées ! Elles sont trop petites et  trop in-signifiantes pour occuper ton esprit saint un instant de  plus. Le Jugement de Dieu t'attend pour te rendre libre. Que  peut t'offrir le monde, peu importe comment tu juges ses dons,  que tu aimerais mieux avoir? Tu seras jugé, et jugé avec équité  et honnêteté. Il n'y a pas de tromperie en Dieu. Ses promesses  sont sûres. Souviens-toi seulement de cela. Ses promesses ont  garanti que Son Jugement, et le Sien seulement, sera accepté à la  fin. C'est ta fonction de faire que cette fin soit proche . C'est ta  fonction de la chérir dans ton cœur et de l'offrir au monde entier  pour la garder en sécurité.
 - Un Cours en Miracles, manuel pour Enseignants.

Le monde est-il prêt à entendre un tel jugement dernier? Je suis loin d'en être certaine! Car même en 2011, on aime bien projeter ses rancoeurs et sa soif de vengeance sur plus haut que soit, que ça soit un gouvernement ou même Dieu. On préfère jouer à la devinette sur les intentions finales de Dieu. Cela a bien semblé exaspérer Jésus dans ce dernier passage que je vous offre!

Ses disciples demandèrent à Jésus de leur décrire leur fin. Il leur répondit : « Avez-vous dévoilé le commencement pour chercher la fin ? Là où est le commencement, là sera la fin. Bienheureux celui qui se tiendra dans le commencement et il connaîtra la fin : il ne goûtera pas à la mort. »

- Évangile de Thomas, 18

Pour moi, le Commencement, c'est ce don que Dieu nous as fait dès la création: nous sommes à son image. Le commencement, c'est également quelque chose qui existe à l'intérieur de chaque moment présent qui amène renouvellement et qui se vit en proximité du Père.

Alors Harold, je te souhaite un beau nouveau Commencement!

Saturday, May 21, 2011

L'épreuve

Jésus a dit :
« Heureux l’homme qui a connu l’épreuve, car il a trouvé la Vie. »


- Évangile de Thomas, 58

Aujourd'hui je vous présente quelques textes sur le sujet des épreuves difficiles de la vie, et de la raison de leur existence. Bien entendu, le sujet et vaste et la littérature sur ce sujet est énorme: je me suis contenté d'en prendre quelques-uns, un trèèès connu, les autres très peu connus.

Et comment commencer sans citer le texte le plus connu sur le sujet, le livre de Job?

Or un jour que les anges de Dieu venaient faire leur rapport au Seigneur, le Satan, l'accusateur, se présenta parmi eux, lui aussi. Le Seigneur lui demanda : « D'où viens-tu donc ? » L'accusateur répondit au Seigneur : « Je viens de faire un tour sur terre. » — « Tu as sûrement remarqué mon serviteur Job, dit le Seigneur. Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un homme irréprochable et droit ; il m'est fidèle et se tient à l'écart du mal. » — « Si Job t'est fidèle, répliqua l'accusateur, est-ce gratuitement ? Ne le protèges-tu pas de tous côtés, comme par une clôture, lui, sa famille et ses biens ? Tu as si bien favorisé ce qu'il a entrepris, que ses troupeaux sont répandus sur tout le pays. 11Mais si tu oses toucher à ce qu'il possède, il te maudira ouvertement ! » 12Le Seigneur dit à l'accusateur : « Eh bien, tu peux disposer de tout ce qu'il possède. Mais garde-toi de toucher à lui-même. » Alors l'accusateur se retira hors de la présence du Seigneur.


Un jour que les enfants de Job étaient occupés à manger et boire chez leur frère aîné, un messager arriva chez Job et lui dit : « Les bœufs étaient en train de labourer, et les ânesses se trouvaient au pré non loin de là, quand des Sabéens se sont précipités sur eux et les ont enlevés, passant tes domestiques au fil de l'épée. J'ai été le seul à m'échapper pour t'en avertir. »


Le premier messager n'avait pas fini de parler qu'un autre arriva pour annoncer : « La foudre est tombée du ciel sur les troupeaux de moutons et sur tes domestiques, et elle a tout consumé. J'ai été le seul à pouvoir m'échapper pour t'en avertir. »


Il n'avait pas fini de parler qu'un autre arriva pour annoncer : « Des Chaldéens ont formé trois bandes, qui se sont jetées sur les chameaux et les ont enlevés, passant tes domestiques au fil de l'épée. J'ai été le seul à pouvoir m'échapper pour t'en avertir. »


Il n'avait pas fini de parler qu'un autre arriva pour annoncer : « Tes enfants étaient occupés à manger et boire chez leur frère aîné, quand un ouragan survenant du désert a heurté violemment les quatre coins de la maison ; la maison s'est effondrée et les jeunes gens sont morts. J'ai été le seul à m'échapper pour t'en avertir. »


Alors Job se leva, il déchira son manteau, se rasa la tête et se jeta à terre, le front dans la poussière ; il déclara :


« Je suis sorti tout nu du ventre de ma mère,
je retournerai nu au ventre de la terre.
Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris.
Il faut continuer de remercier le Seigneur. »

Dans tous ces malheurs Job ne commit ainsi aucune faute ; il ne dit rien d'inconvenant contre Dieu.
Un jour que les anges de Dieu venaient faire leur rapport au Seigneur, l'accusateur se présenta parmi eux, lui aussi, pour son rapport. Le Seigneur lui demanda : « D'où viens-tu donc ? » L'accusateur répondit au Seigneur : « Je viens de faire un tour sur terre. » — « Tu as sûrement remarqué mon serviteur Job, dit le Seigneur. Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un homme irréprochable et droit ; il m'est fidèle et se tient à l'écart du mal. Il est resté fermement irréprochable. C'est donc pour rien que tu m'as poussé à lui faire du tort. » — « Échange de bons procédés, répliqua l'accusateur : tout ce qu'un homme possède, il le donnera pour sauver sa peau. Mais si tu oses toucher à sa personne, il te maudira ouvertement ! » Le Seigneur dit à l'accusateur : « Eh bien, tu peux disposer de lui, mais non pas de sa vie. »


Alors l'accusateur se retira hors de la présence du Seigneur. Il frappa Job d'une méchante maladie de peau, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne. Job s'assit au milieu du tas de cendres et ramassa un débris de poterie pour se gratter.


Sa femme lui dit : « Tu persistes à rester irréprochable. Mais tu ferais mieux de maudire Dieu et d'en mourir ! » — « Tu parles comme une femme privée de bon sens, lui répondit Job. Si nous acceptons de Dieu le bonheur, pourquoi refuserions-nous de lui le malheur ? » Dans cette nouvelle épreuve Job ne prononça aucun mot qui puisse offenser Dieu.


(...)


A la fin, Job se décida à parler et maudit le jour de sa naissance. Voici ce qu'il dit :


Ah ! que disparaisse le jour de ma naissance
et la nuit qui a dit : « Un garçon est conçu » !


Qu'on regarde ce jour comme l'un des plus sombres !
Que Dieu, là-haut, ne s'intéresse plus à lui !
Qu'aucune lumière ne vienne l'éclairer !


Que l'ombre la plus noire s'empare de lui
et qu'un nuage obscur s'abatte sur ce jour,
ou une terrifiante éclipse de soleil !


Quant à cette nuit-là, qu'elle soit la plus noire,
qu'on ne la compte plus dans le calendrier,
et qu'elle n'entre plus dans le calcul des mois !


Oui, que cette nuit-là reste toujours stérile
et qu'aucun cri de joie n'y pénètre jamais !
Qu'elle soit signalée comme portant malheur


par tous les magiciens qui maudissent les jours
et sont habiles à provoquer le grand dragon !
Qu'elle ne puisse voir l'étoile du matin !


Qu'elle espère le jour, mais qu'elle attende en vain
et n'aperçoive pas l'aurore qui s'éveille !
Car elle n'a rien fait pour m'empêcher de naître


et de voir aujourd'hui cette dure misère.
Pourquoi n'être pas mort dès avant ma naissance,
n'avoir pas expiré dès que j'ai vu le jour ?
- Livre de Job

Ce prologue de Job nous montre le problème même du mal: il atteint même les personnes les plus nobles. Parfois même, on dirait qu'il atteint surtout les personne les plus nobles. Ce prologue montre également jusqu'à quel point nous sommes capables d'endurer l'épreuve, mais qu'au bout du compte même les plus vertueux finissent par perdre leur sérénité... nous sommes humains, difficile d'y échapper.

La suite du poème est un échange entre Job et ses amis. Ceux-ci s'entêtent à dire qu'il a nécessairement offensé Dieu, volontairement ou pas, pour que ces malheur lui tombent sur la tête. Job proteste fermement, il clâme qu'il a toujours été pieux et que c'est une absurdité de le voir ainsi maltraité alors que les véritables méchants vivent dans l'opulence. Leur échange est l'expressions brute de tout le mystère de la souffrance, et par le fait même de tout le mystère de l'existence.

Mystère est le mot clé ici. Car une des mauvaises conceptions à propos du livre de Job, c'est de le lire en pensant qu'il contient la réponse à nos questionnements face au malheur. Or, il n'en est rien du tout! Ce livre n'apporte aucune réponse! Au contraire, il se termine avec Dieu qui surgit et qui, en gros, dit: "Qui est tu Job pour m'attribuer des intentions? As-tu la moindre idée de ce que c'est être Dieu?" Et notre Job de se repenir d'avoir osé mettre en doute Dieu... pour se voir ensuite redonner tout ce qu'il avait perdu. Fin étrange s'il en est une.

Est-ce un bien ou un mal d'être laissés sans réponse ainsi? L'absence de réponse dans  Job est-il une faiblesse du lvire? Non, au contraire! Car certains des plus grands textes sacrés sont d'abord et avant tout des gros point d'interrogations qui ont suscité des siècles durant les discussions spirituelles les plus fertiles. Job en est un très bel exemple, en plus d'être un chef-d'oeuvre littéraire immanquable.

Maintenant, les  textes moins connus...

Le premier provient du livre secret de Jacques, un autre écrit qui provient des manuscrits de Nag Hammadi, manuscrit qui est notre principale source d'informations sur ce qu'étaient les chrétiens gnostiques des 2e et 3e siècle. Et comme dans tous les texte gnostiques, on y parle de la Connaissance nécessaire à la Plénitude, l'opposition entre la lumière et les ténèbres, etc..

En bref, il s'agit d'un échange entre le Sauveur ressucité, Jacques et Pierre. Bien que ne pouvant nullement avoir l'authorité qu'un évangile canonique ou un évangile de Thomas puisse avoir, ce texte contient assez de matériel proche de ceux ci pour que le Jesus Seminar affirme que certaines véritable traditions orales à propos de Jésus aient pu l'inspirer. On y sent d'ailleurs une grande influence de l'évangile de Jean. C'est donc une lecture d'un intérêt particulier, même si le matériel qui s'y trouve est d'un intérêt bien inégale. Je vous ai sélectionné un extrait que j'aime bien, et qui aborde le thème de la Vie, la mort et la souffrance.


Je répondis et lui dis : « Seigneur, nous pouvons t’obéir, si tu le veux, car nous avons abandonné nos pères, nos mères et nos villages et nous t’avons suivi. Donne-nous donc le moyen de ne pas être tentés par le Diable mauvais ».

Le Seigneur répondit et dit : « Quelle sera votre récompense, si vous faites la volonté du Père, sans recevoir de lui, comme une part de don, d’être éprouvés par Satan ? Mais si vous êtes opprimés par Satan et persécutés, et que vous fassiez la volonté du Père, je le dis : Il vous aimera et il vous rendra égaux à moi et il pensera à votre sujet que vous êtes devenus bien-aimés dans sa providence selon votre choix.

Ne cesserez-vous donc pas d’aimer la chair et de craindre la souffrance? Ou ne savez-vous pas que vous n’avez pas encore été maltraités ni encore accusés injustement ni encore enfermés dans une prison, ni encore condamnés illégalement, ni encore crucifiés sous un faux prétexte, ni ensevelis dans du sable, comme moi-même je l’ai été par le Malin ? Vous osez ménager la chair, ô vous, pour qui l’Esprit est un mur qui vous entoure !

Si vous réfléchissez sur le monde, depuis combien de temps il existait au moment où vous y êtes tombés, et combien de temps, après vous, il demeurera encore, vous trouverez que votre vie est éphémère et que vos souffrances sont d’une seule heure. Les bons, en effet, n’entreront pas dans le monde. Méprisez donc la mort et souciez-vous de la Vie. Rappelez-vous ma croix et ma mort, et vous vivrez ». 
(...)
Comprenez ce qu’est la Grande Lumière. Le Père n’a pas besoin de moi. Un père, en effet, n’a pas besoin de son fils, mais c’est le fils qui a besoin du père. C’est vers lui que je me hâte, car le Père du Fils n’a pas besoin de vous. Écoutez le Verbe, comprenez la Connaissance, aimez la Vie, et personne ne vous persécutera, ni personne ne vous opprimera, hormis vous seuls.
- Livre secret de Jacques

Nous avons effectivement si peur que le malheur nous tombe dessus, comme ça. Et on prie Dieu constamment pour qui nous l'évite à tout prix, qu'il nous préserve dans une belle petite couette toute chaude de bonheur et de sécurité.Or, Jésus, ici et dans bien des passages du Nouveau Testament, nous avertis à de nombreuses reprise qu'il faut accepter de porter notre croix, car elle est ce qui nous rapproche de la perfection de Dieu. À la différence des canoniques par contre, où Jésus dit parfois qu'il ne faut pas aimer le monde, voire même qu'il faut détester sa vie, ici il dit tout le contraire: aimez la vie, et dans la souffrance continuez de chercher la lumière et la Connaissance. Car ce texte nous dit que face à la souffrance nous avons un choix, et qu'au bout du compte, c'est bien plus nous même que Dieu qui sommes causes de notre propre persécution.

Le dernier extrait provient du Livre d'Urantia, un des textes sacrés à être apparus durant la vague de "révélations cosmiques" qu'a apporté la naissance du mouvement New Age. Le livre d'Urantia est massif, plus gros que la Bible elle-même, et se veut une réécriture complète de celle-ci dans un langage influencé par les idées sociales libérales de la première moitié du 20e siècle. C'est une lecture tout à fait fascinante, ne serait-ce que par l'imaginativité énorme dont ont fait preuve les auteurs. Entre autres, le dernier tiers du livre est une romancisation de la vie de Jésus vraiment très vivide et détaillée et qui donne un éclairage intéressant sur lui malgré les libertés prises (Jésus y est entre autres décrit comme un admnistrateur angélique de notre coin de la galaxie).

Dans l'un des premiers chapitres, qui sont dédiés à décrire la nature de Dieu, on trouve ce très beau passage. Je vous laisse là dessus!

Les incertitudes de la vie et les vicissitudes de l’existence ne contredisent en aucune manière le concept de la souveraineté universelle de Dieu. Toute vie d’une créature évolutionnaire est assaillie par certaines inévitabilités, dont voici des exemples :

Le courage — la force de caractère — est-il désirable ? Alors il faut que l’homme soit élevé dans un environnement qui l’oblige à s’attaquer à de dures épreuves et à réagir aux désappointements.

L’altruisme — le service du prochain — est-il désirable ? Alors il faut que l’expérience de la vie fasse rencontrer des situations d’inégalité sociale.

L’espoir — la noblesse de la confiance — est-il désirable ? Alors il faut que l’existence humaine soit sans cesse confrontée aux incertitudes renouvelées et aux insécurités.

La foi — l’affirmation suprême de la pensée humaine — est-elle désirable ? Alors il faut que le mental de l’homme se retrouve dans cette situation embarrassante où il en sait toujours moins que ce qu’il peut croire.

L’amour de la vérité — avec l’acceptation de la suivre où qu’elle vous conduise — est-il désirable ? Alors il faut que l’homme croisse dans un monde où l’erreur est présente et la fausseté toujours possible.

L’idéalisme — l’émergence du concept du divin — est-il désirable ? Alors il faut que l’homme lutte dans un environnement de bonté et de beauté relatives, dans un cadre qui stimule la tendance irrépressible vers des choses meilleures.

La loyauté — la dévotion au devoir supérieur — est-elle désirable ? Alors il faut que l’homme poursuive son chemin parmi les possibilités de trahison et de désertion. La valeur de la dévotion au devoir implique le danger qui résulterait d’une défaillance.

Le désintéressement — l’esprit d’oubli de soi — est-il désirable ? Alors il faut que l’homme mortel vive face à face avec les clameurs incessantes d’un moi qui demande inéluctablement reconnaissance et honneur. L’homme ne pourrait choisir dynamiquement la vie divine s’il n’y avait pas une vie du moi à délaisser. L’homme ne pourrait jamais faire jouer la droiture pour son salut s’il n’y avait pas de mal potentiel pour exalter et différencier le bien par contraste.

Le plaisir — la satisfaction du bonheur — est-il désirable ? Alors il faut que l’homme vive dans un monde où l’alternative de la douleur et la probabilité de la souffrance soient des possibilités d’expérience toujours présentes.

Thursday, May 12, 2011

Le Tonnerre

Dans ma série sur les textes gnostiques, je vous présente aujourd’hui celui qui, hormis l’Évangile de Thomas, est mon favori de la bibliothèque de Nag Hammadi.  C’est également un des textes gnostiques qui a connu la plus large diffusion, car des extraits ont été repris dans nombre de romans, chansons et même publicités!

Bronté, c'est-à-dire Tonnerre, est un long poème prophétique originalement écrit en grec,  mais nous n’en possédons qu’un manuscrit traduit en copte. Son sous-titre est Intellect Parfait. Il n'y a pas de consensus à savoir par qui, où et quand il a été écrit. On sait simplement qu'il exprime des idées gnostiques et orientale, avec une influence de la philosophie grecque. C'est une grosse énigme.

Le texte frappe d’abord par sa très grande richesse littéraire, ses images frappantes, ses contrastes, son rythme. C’est une lecture saisissante, stimulante et oui, électrifiante! Mais le choc principal vient des idées tout à fait provoquantes contenues dans le texte. Qui est Bronté, cette mystérieuse figure féminine qui parle à la première personne? On se doute bien qu’il s’agit de Dieu, mais une conception de Dieu étrange, toute en contradictions, à des années lumières des traditions patriarcales du milieu où il a été écrit. « Vous qui me connaissez, ignorez-moi , et ceux qui ne m’ont pas connue, qu’ils me connaissent. Ceux qui sont proches de moi, ils ne m’ont pas connue et ce sont ceux qui sont loin de moi qui m’ont connue.», lance-elle en avertissement à ceux qui voudraient l’approcher en croyant la saisir… vous serez foudroyés!

Bronté est la Mère Divine qui nous porte en elle, avec toute notre beauté et toute notre laideur. Elle englobe tout et rassemble en elle tous les contraires et les dualités. Mais elle est aussi l’archétype de toutes les femmes de la terre, qui ont parfois été glorifiée, mais aussi et surtout humiliées et réduites à rien, vue comme la créature la plus pure mais aussi comme la tentatrice et source du mal. Je lis ce poème et je vois toute l’expérience féminine s’exprimer enfin dans toute sa divinité.

Je m'en voudrait d'en dire plus, je laisse le texte parler maintenant. C'est une longue lecture mais elle en vaut la peine. Je commenterait mes passages favoris dans un autre post. Il s'agit de la traduction de l'Université Laval. Le manuscrit ayant été endommagé, ne soyez pas surpris de voir des trous apparaître ici et là.


C’est de la puissance que, moi, j’ai été envoyée
et c’est vers ceux qui pensent à moi que je suis venue
et j’ai été trouvée chez ceux qui me cherchent.

Regardez-moi, vous qui pensez à moi,
et vous auditeurs, écoutez-moi.
Vous qui êtes attentifs à moi, recevez-moi auprès de vous
et ne me chassez pas de devant vos yeux
et ne laissez pas votre voix me haïr, ni votre ouïe.

Ne m’ignorez en aucun lieu non plus qu’en aucun temps.
Gardez-vous de m’ignorer !
Car c’est moi la première
et la dernière.

C’est moi celle qui est honorée
      et celle qui est méprisée.
C’est moi la prostituée
      et la vénérable.
C’est moi la femme
      et la vierge.
C’est moi la mère
      et la fille.

Je suis les membres de ma mère.
C’est moi la stérile
      et ses enfants sont nombreux.
C’est moi celle dont les mariages sont multiples
      et je n’ai pas pris mari.
C’est moi la sage-femme
      et celle qui n’enfante pas.
C’est moi la consolation de mes douleurs.

C’est moi la fiancée et le fiancé,
      et c’est mon mari qui m’a engendrée.
C’est moi la mère de mon père et la soeur de mon mari,
      et c’est lui mon rejeton.
C’est moi la domestique de celui qui m’a formée.
C’est moi la maîtresse de mon rejeton.
Or c’est lui qui m’a engendrée avant le temps
      dans une naissance prématurée
      et c’est lui mon rejeton dans le temps
      et ma puissance, elle est issue de lui.
Je suis le bâton de sa puissance dans son enfance
     et c’est lui la canne de ma vieillesse
      et ce qu’il veut se produit par rapport à moi.

C’est moi le silence qu’on ne peut saisir
      et la pensée dont la mémoire est riche.
C’est moi la voix dont les sons sont nombreux
      et la parole dont les aspects sont multiples.
C’est moi l’énoncé de mon nom.

Pourquoi, vous qui me haïssez,
      m’aimez-vous
      et haïssez-vous ceux qui m’aiment ?
Vous qui me reniez,
      confessez-moi
et vous qui me confessez,
      reniez-moi.

Vous qui dites vrai à mon sujet,
      mentez à mon propos,
et vous qui avez menti à mon propos,
      dites la vérité à mon sujet.
Vous qui me connaissez,
      ignorez-moi
et ceux qui ne m’ont pas connue,
      qu’ils me connaissent.
Car c’est moi la connaissance
      et l’ignorance.

C’est moi la honte et l’assurance.
Je suis effrontée.
Je suis réservée.
Je suis hardiesse et je suis frayeur.
C’est moi la guerre et la paix.
Soyez-moi attentifs, moi , l’avilie et la notable !
Soyez attentifs à ma pauvreté et à ma richesse !

Ne soyez pas méprisants à mon égard
      alors que je gis sur la terre
et vous me trouverez chez ceux qui doivent venir.
Si vous me voyez sur le fumier,
      ne passez pas non plus
      et ne me laissez pas gisante,
et vous me trouverez dans les royaumes.
Si vous me voyez alors que je gis chez ceux qui sont avilis
      et dans les lieux les plus humbles,
      ne vous moquez pas non plus de moi.
Ne me rejetez pas non plus avec sévérité
      chez ceux qui sont déficients.

Or moi, je suis compatissante
      et je suis impitoyable.
Gardez-vous de haïr mon obéissance,
      et ma continence aimez-la.
Dans ma faiblesse, ne m’oubliez pas
      et ne craignez pas devant ma puissance.
Pourquoi, en effet, dédaignez-vous ma frayeur
      et maudissez-vous ma jactance ?
Or c’est moi qui suis dans toutes les craintes
      et c’est moi la hardiesse dans le tremblement.
C’est moi celle qui est maladive
      et c’est en un lieu agréable que je suis saine.

Je suis sotte
      et je suis sage.
Pourquoi m’avez-vous haïe en vos délibérations ?
      Parce que je me tairai, moi, en ceux qui se taisent ?
      Mais je me manifesterai et parlerai.
Pourquoi donc m’avez-vous haïe, vous les Grecs ?
      Parce que je suis une barbare parmi les Barbares ?
Car c’est moi la sagesse des Grecs
      et la connaissance des Barbares.
C’est moi le jugement des Grecs
      ainsi que des Barbares.
C’est moi celle dont les formes sont nombreuses en Égypte
      et celle qui n’a pas de forme chez les Barbares.

C’est moi celle qui fut haïe en tout lieu
      et celle qui fut aimée en tout lieu.
C’est moi celle qu’on appelle «la vie»
      et vous m’avez appelée «la mort».
C’est moi celle qu’on appelle «la loi»
      et vous m’avez appelée «la non-loi».
C’est moi celle que vous avez poursuivie
      et c’est moi que vous avez saisie.
C’est moi celle que vous avez dispersée
      et vous m’avez rassemblée.
C’est moi celle devant qui vous avez eu honte
      et vous avez été impudents à mon égard.

C’est moi celle qui ne célèbre pas de fête
      et c’est moi celle dont les fêtes sont nombreuses.
Moi, je suis une sans-dieu
      et c’est moi celle dont les dieux sont nombreux.
C’est moi que vous avez reconnue
      et vous m’avez méprisée.
Je suis sans instruction
      et c’est de moi que l’on reçoit l’instruction.
C’est moi celle que vous avez dédaignée
      et vous me reconnaissez.
C’est moi dont vous vous êtes cachés
      et vous m’êtes manifestés.
Or quand vous vous cacherez,
       moi-même, je me manifesterai.
Car quand vous vous manifesterez à moi,
      moi-même, je me cacherai de vous.
Enlevez-moi de leur science
      hors de la peine
et recevez-moi auprès de vous
      hors de la science dans la peine,
recevez-moi auprès de vous
      hors des lieux avilis et dans le créé,
et saisissez-moi
      hors des choses bonnes quoique dans la disgrâce.

Hors de la honte, recevez-moi auprès de vous avec impudence,
      et hors de l’impudence, avec honte.
Reprenez mes membres en vous
et élancez-vous jusqu’auprès de moi,
      vous qui me connaissez et qui connaissez mes membres,
et établissez les grandes choses
      dans les petits premiers-créés.
Élancez-vous vers l’enfance
et ne la haïssez pas
      parce qu’elle est chétive et qu’elle est petite,
ni ne détournez des grandeurs individuelles
      loin des petites choses.
Car c’est à partir des grandeurs
      que l’on connaît les petites choses.

Pourquoi me maudissez-vous
      et m’honorez-vous ?
Vous avez frappé
      et vous avez épargné.
Ne me séparez pas des premiers, ceux que vous avez connus,
      ni ne jetez personne dehors,
      ni ne détournez personne loin de [ . . . . . . . . . . . . ].
Je connais, moi, les premiers,
      et ceux qui sont après eux, ils me connaissent.

Or c’est moi l’intellect parfait
      et le repos du [ . . . . . . ].
C’est moi la connaissance
      de ma recherche
et la découverte
      pour ceux qui me cherchent
et le commandement
      pour ceux qui me sollicitent
et la puissance :
      pour les puissances,
           par ma connaissance ;
      pour les anges qui ont été envoyés,
           par ma parole ;
      et pour les dieux parmi les dieux,
           par mon conseil ;
et les esprits de tous les hommes,
      c’est avec moi qu’ils sont
et les femmes,
      c’est en moi qu’elles se trouvent.
C’est moi celle qui est honorée
      et celle qui est bénie
      et celle qui est dédaignée avec mépris.

C’est moi la paix
      et c’est à cause de moi que la guerre s’est produite,
      et je suis une étrangère
      et une citoyenne.
C’est moi l’essence
      et celle qui n’a pas d’essence.
Ceux qui proviennent de mon commerce,
      ils ne me connaissent pas
et ce sont ceux qui se trouvent dans mon essence
      qui me connaissent.
Ceux qui sont proches de moi,
      ils ne m’ont pas connue
et ce sont ceux qui sont loin de moi
      qui m’ont connue.
C’est au jour où je suis proche de vous
      que je suis loin de vous
et c’est au jour où je suis loin de vous
      que je suis proche de vous.

C’est moi la création des esprits
      et la requête des âmes.
C’est moi la domination
      et la sans-retenue.
C’est moi l’union
      et la rupture.
C’est moi la permanence
      et c’est moi la dispersion.
C’est moi la descente
      et c’est vers moi que l’on montera.
C’est moi la sentence
       et l’acquittement.
Moi, je suis sans péché,
      et la racine du péché, elle est issue de moi.

C’est moi la concupiscence par la vision
      et la maîtrise du coeur,
      c’est en moi qu’elle se trouve.
C’est moi l’audition qui est recevable pour quiconque,
      ainsi que la parole qui ne peut être saisie.
Je suis une muette qui ne parle pas,
      et abondante est ma loquacité.
Écoutez-moi avec douceur
et recevez à mon sujet l’instruction avec rudesse.

C’est moi qui pousse un cri
      et c’est sur la face de la terre que je suis jetée.
C’est moi qui prépare le pain ainsi que < . . . >
      < . . . > mon intellect à l’intérieur.
C’est moi la connaissance de mon nom.
C’est moi qui crie
      et c’est moi qui entend.
Je suis manifestée
      et [ . . . . . . . . ].
C’est moi le juge,
      c’est moi le plaidoyer [ . . . . . . . ].
C’est moi celle qui est appelée «la justice»,
      et «la violence» est mon nom.
Vous m’honorez, vous qui avez vaincu
      et vous murmurez contre moi, vous qui êtes vaincus.
Jugez-les avant qu’ils ne vous jugent,
      car le juge comme la partialité,
      c’est en vous qu’ils résident.
Si vous êtes condamnés par celui-ci,
      qui vous acquittera ?
Ou si vous êtes acquittés par lui,
      qui pourra se saisir de vous ?
Car ce qui est à l’extérieur de vous
      est ce qui est à l’intérieur de vous ;
et celui qui donne forme à l’extérieur de vous,
      c’est à l’intérieur de vous qu’il s’est imprimé,
et ce que vous voyez à l’extérieur de vous,
      vous le voyez à l’intérieur de vous ;
il est manifeste
      et c’est votre vêtement.

Écoutez-moi, auditeurs,
et recevez l’instruction au sujet de mes paroles, (vous) qui me connaissez.
C’est moi l’audition
      qui est recevable en toute chose.
C’est moi la parole
      qui ne peut être saisie.
C’est moi le nom de la voix
      et la voix du nom.
C’est moi le signe de l’écriture
      et la manifestation de la séparation,
      et c’est moi la lumière
et l’ombre.

Écoutez-moi, auditeurs
      recevez-moi auprès de vous.
Il est vivant
      [ . . . . ] de la grande puissance
et celui qui se tient debout
      n’ébranlera pas le nom.
C’est celui qui se tient debout qui m’a créée.
Quant à moi, je dirai son nom.
Voyez donc ses paroles
      ainsi que toutes les écritures qui sont accomplies.

Soyez donc attentifs, auditeurs,
      et vous aussi, les anges,
      ainsi que ceux qui ont été envoyés,
      et les esprits qui se sont levés d’entre les morts,
parce que c’est moi qui seule existe
      et je n’ai personne qui me jugera.

Car ceux qui se trouvent dans de multiples péchés
      sont de nombreuses formes douces ;
      et ce sont des dérèglements ainsi que des passions viles
      et des plaisirs éphémères qui les retiennent
           jusqu’à ce qu’ils redeviennent sobres
           et qu’ils se hâtent vers leur lieu de repos.

Et ils me trouveront en ce lieu-là,
      ils vivront
      et ils ne mourront plus.