Wednesday, November 28, 2012

Prends-toi comme point de départ

 Superbe citation sur laquelle je suis tombée hier en lisant le livre The Gnostic Gospels de Elaine Pagels. J'ai cherché partout pour un traduction française, sans succès. Innacceptable! Alors voici ma tentative d'en faire une...

"Abandonne ta recherche de Dieu et de la création et de toutes ces choses-là. Cherche-le plutôt en te prenant toi-même comme point de départ. Apprends qui est celui qui en toi s'approprie toutes choses et dit: "mon dieu, mon esprit, mes pensées, mon âme, mon corps". Apprends les sources de la tristesse et de la joie, de l'amour et de la haine. Apprends comment on peu regarder sans vraiment le vouloir, se reposer sans vraiment le vouloir, se fâcher sans vraiment le vouloir, aimer sans vraiment le vouloir. Si tu t'interroges sérieusement sur ces choses, tu le trouverasen toi-même."

- Monoimus

On sait très peu de choses sur Monoimus, à part qu'il était arabe et qu'il a vécu au 2e siècle. En fait, on ne connait ses paroles qu'à travers les oeuvres des hérésiologistes chrétiens de l'époque. On ne sait même pas vraiment quelle était sa religion. On l'a dit inspiré de la pensée grecque et chrétienne gnostique, mais je ne serais pas surprise que cet homme soit entré en contact avec des voyageurs venant de l'orient!



Saturday, September 29, 2012

Jacob face à Dieu

Jacob volant le droit d'ainesse de Esau
Voici un de mes passages favoris de la Bible juive. Mise en contexte: Jacob est l'un des deux fils jumeaux de Isaac, qui lui même était le fils d'Abraham. L'autre frère, Esau, était né quelques minutes avant et avait donc par principe certains droits d'aînesse. Mais Jacob était le favori de sa mère, et avec son aide et par une série de stratagèmes douteux (du vol d'identité et de l'escroquerie entre autres) il prend les droits d'aînesse de son frère. Franchement, quand je lis cette histoire, j'ai bien de la pitié pour ce pauvre Ésau que l'histoire a voulu faire passer pour un pas fin, mais qui dans le fond n'était qu'un pauvre bougre qui ne prenait pas toujours le temps de réfléchir ses décisions.

Sentant que Ésau va probablement le tuer à cause de toute cette histoire, Jacob fuit dans un pays lointain où il est accueilli par son oncle Laban, propriétaire d'un grand troupeau. Au fil des ans, Jacob gagne la confiancede celui-ci et finit même par marier ses deux filles, Léa et Rachel. Jacob acquiert lui même de grands troupeaux qui sont les plus productifs et en santé de la région.  Jusqu'à maintenant dans cette histoire, Jacob nous paraît comme une homme extrêmement obstiné, qui semble pouvoir obtenir tout ce qu'il désire, en fait qui croit que tout lui est dû. "Je contrôle ma vie!" se dit-il sûrement.

Mais éventuellement, les fils de Laban deviennent jaloux de lui et le voilà forcé de fuir pour retourner dans le pays de son père. Mais pour ce faire, il devra faire face à son frère. Des hommes qu'il avait envoyé en éclaireurs lui disent que Ésau arrive avec 400 hommes, il qu'ils seront là le lendemain.

Jacob panique. Jacob a de toute évidence des remords face à ses agissements de jeunesse, et il a peur. Il fait tout de suite des plans pour séparer ses troupeaux et ses hommes en deux groupes, pour qu'un puisse fuir quand Ésau attaquera. Puis il prépare toute une mise en scène pour adoucir son frère (s'incliner devant lui,  s'excuser, lui donner des cadeaux, etc.) Malgré tout ces plans, il risque fort de tout perdre ce pour quoi il a travaillé, et c'est une nuit très longue et mouvementée qui l'attend. Une nuit qui marquera profondément sa vie et qui définira même, d'une certaine façon, le destin de sa descendance, le peuple juif.

Au cours de la nuit, Jacob se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants. Il leur fit traverser le gué du Yabboq avec tout ce qu'il possédait. Il resta seul, et quelqu'un lutta avec lui jusqu'à l'aurore. Quand l'adversaire vit qu'il ne pouvait pas vaincre Jacob dans cette lutte, il le frappa à l'articulation de la hanche, et celle-ci se déboîta. Il dit alors : « Laisse-moi partir, car voici l'aurore. » — « Je ne te laisserai pas partir si tu ne me bénis pas », répliqua Jacob. L'autre demanda : « Comment t'appelles-tu ? » — « Jacob », répondit-il. L'autre reprit : « On ne t'appellera plus Jacob mais Israël, car tu as lutté contre Dieu et contre des hommes, et tu as été le plus fort. » Jacob demanda : « Dis-moi donc quel est ton nom. » — « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » répondit-il. Là même, il fit ses adieux à Jacob. Celui-ci déclara : « J'ai vu Dieu face à face et je suis encore en vie. » C'est pourquoi il nomma cet endroit Penouel — ce qui veut dire “Face de Dieu” —. Quand le soleil se leva, Jacob passa le gué de Penouel. Il boitait à cause de sa hanche. Aujourd'hui encore les Israélites ne mangent pas le muscle de la cuisse qui est à l'articulation de la hanche, parce que Jacob a été blessé à ce muscle. 
- Genèse 32

Voilà un épisode très étrange. Les détails sont très partiellement relatés, avec quelques éléments qui semblent contradictoires. Comme si Jacob avait écrit lui-même ce qu'il avait vécu dans une expérience à la limite du rêve. Qui était cet étranger? Était-ce vraiment Dieu qui passait par là? Pourquoi s'est-il battu contre-lui, pour ensuite vouloir sa bénédiction? L'idée ici n'est probablement pas de comprendre précisément ce qui s'est passé, mais plutôt d'en ressentir l'essence même. Au plus profond de la nuit de sa vie, Jacob a fait face à ses peurs, ses erreurs, ses regrets. Devant lui se tenait un lendemain où il risquait de tout perdre ce pour quoi il avait travaillé tout sa vie, un lendemain où son passé le rattraperait. Et au plus profond de la nuit de sa vie Jacob a mis cartes sur table avec Dieu, comme si c'était sa dernière chance de le faire. 

L'expérience fut-elle physique ou psychique? Peu importe. Ce qu'on sait avec certitude, c'est que Jacob est ressorti de cette nuit transformé. Blessé certes, peut-être pour le reste de sa vie, mais vainqueur. Il n'aura aucun nom à mettre sur l'expérience qu'il a vécue, mais celle-ci lui en aura laissé un: Israël, celui qui lutte avec Dieu. Ce nom sera également celui porté par toute la multitude de sa descendance, le nom le plus approprié qui soit quand on connait les traversées du désert que vivra le peuple juif.

Ce que Jacob a vécu, c'est ce qu'on appelle souvent aujourd'hui "faire la paix avec Dieu". Il a arrêté de vouloir tout posséder, tout contrôler sa vie, de vouloir être le gagnant. Il a lâché son obstination s'en est remis à Dieu et lui a demandé sa bénédiction. Alors Dieu est entré dans l'âme de Jacob et l'a travaillée, applanie, pour le préparer à ce qui allait se produire le lendemain. Jacob nomma cet endroit Pénouel, car il avait vu la Face de Dieu. Mais quelle est la Face de Dieu? À quoi ressemble-t-elle? Les événement du lendemain vont nous le révéler.

Quand Jacob s'est réveillé ce matin là, il était prêt à faire face à son frère. Mais quelque chose me dit qu'il n'y allait plus avec la peur, mais avec l'espoir...


Jacob leva les yeux et vit qu'Esaü arrivait, ayant avec lui quatre cents hommes. Il répartit les enfants entre Léa, Rachel et les deux servantes. Il mit en tête les servantes et leurs enfants, puis Léa et ses enfants, puis Rachel et Joseph. Lui-même passa devant eux et se prosterna sept fois à terre jusqu'à ce qu'il se fût approché de son frère. Esaü courut à sa rencontre, l'étreignit, se jeta à son cou et l'embrassa ; ils pleurèrent. Puis Esaü leva les yeux et vit les femmes et les enfants. Il dit : « Qui as-tu là ? » — « Les enfants que Dieu a accordés à ton serviteur », répondit Jacob. Les servantes s'approchèrent, elles et leurs enfants, puis se prosternèrent. Léa s'approcha aussi avec ses enfants, ils se prosternèrent. Puis Joseph s'approcha avec Rachel et ils se prosternèrent aussi.

Esaü dit : « Qu'as-tu à faire avec tout ce camp que j'ai croisé ? » — « Je voulais trouver grâce aux yeux de mon seigneur », répondit Jacob. Esaü reprit : « J'ai amplement pour moi, mon frère ; que ce qui est à toi reste à toi ! » Jacob s'écria : « Non, je t'en prie ! Si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, tu accepteras de ma main mon présent. En effet, puisque j'ai vu ta face comme on voit la face de Dieu et que tu m'as agréé, reçois donc de moi le bienfait qui t'a été apporté, car c'est Dieu qui m'en a gratifié ; j'ai tout à moi. »
- Genèse 33

Voici donc quelle est la Face de Dieu: ce n'est nulle autre que le visage de celui qu'on croyait perdu, de celui qu'on croyait haïr, de celui dont ont avait peur qu'il nous rejette à nouveau... c'est le visage de celui qu'on croyait son ennemi et qui maintenant est traversé des larmes de la réconciliation. 

Au diable les eaux qui se séparent, les guérisons et autres résurections. Je crois qu'on a ici la plus belle histoire de miracle de la Bible.




Friday, September 28, 2012

Évangile de Thomas: le Royaume est semblable à une cruche...

Jésus a dit :
« Le royaume du Père est semblable à une femme qui portait une cruche remplie de farine et marchait longuement sur la route. L’anse de la cruche s’étant brisé, la farine se déversa derrière elle sur la route. Comme elle ne le savait pas, elle ne s’en affligea point. Arrivée à la maison, elle posa la cruche par terre et la trouva vide. »

Cette petite parabole ne se trouve pas dans les évangiles canoniques. Comme toutes la paraboles, c'est une petite histoire tout simple mais étonnante, utilisant un contexte tiré du quotidien des paysan, qui nous est racontée pour illustrer une des multiples facette de ce qu'est le Royaume.

Et de quel facette est-il question ici? À chacun son interprétation, mais moi j'y vois un Royaume tout près de nous, mais qu'on ne voit pas parce qu'on regarde toujours en avant, dans la même direction. La vie passe ainsi jusqu'à ce que notre cruche soit vide. On regrette alors de ne pas s'être arrêté un peu en chemin pour se réparer un peu!

Cette parabole illustre l'urgence de vivre et de trouver le Royaume, avant d'avoir tout gaspillé...


Monday, July 11, 2011

Krishnamurti et le pays sans chemin

Aujourd'hui je vous présente ce qui est à mon avis l'un des discours religieux les plus importants du 20e siècle. Il fut prononcé le 3 août 1929 à Ommen, dans les Pays-Bas, devant environ 3000 personne qui croyaient que ce jour-là, le Messie allait se déclarer à eux. Ces gens on eu le choc de leur vie! Car ce que l'orateur, Jiddu Krishnamurti, leur a déclaré ce jour-là, se résume ainsi: "la vérité est un pays sans chemin".

On ne peut comprendre Krishnamurti sans connaître son parcours tout à fait unique. Pour faire une histoire rapide, il a été dès son très jeune âge "repéré" par deux occidentaux, Annie Besant et Charles Landbeater, qui ont vu en lui l'incarnation du prochain Maître Spirituel Mondial. Son aura était spéciale, apparament. Les deux étaient membres de la Société Théosophique, un mouvement ésotérique très fort à l'époque dans l'empire britannique et qui se voulait une tentative de rapprochement entre les philosophies orientales et occidentales. La théosophie avait de nobles visées et était en avance sur son temps, mais il faut dire que c'était une organisation très hiérarchisée, sensée refléter les hiérarchies existant parmi les entités célestes.

Krishnamurti enfant
Besant et Landbeater prennent donc en charge l'éducation religieuse et philosophique du jeune homme, avec la bénédiction de son père. Alors voilà, toute sa jeunesse on enfonce dans la tête de l'enfant qu'il sera un grand homme qui apportera son heure de gloire à la théosophie. On crée même un "Ordre de l'Étoile" afin de l'aider dans son éventuelle mission. Bien sûr, étant enfant, Krishnamurti absorbe tout ce qu'on lui dit et croit lui-même en sa destinée. Il devient même un membre très actif de la société théosophique, écrivant des articles et faisant des discours sur des sujet lui étant reliés.

Or, le décès de son frère, en 1925, remet tout en question. Ça lui ouvre les yeux, et lui fait réaliser à quel point les gens qui l'entourent ont un effet toxique sur lui, et que leur croyance en sa messianité a été tellement "organisée" qu'elle est désormais un frein à sa quête de vérité. Au cours des quatre années qui suivent, le ton des discours de Krishnamurti change graduellement et le vocabulaire théosophique s'y fait de plus en plus rare.

Mais en même temps, il commence à vivre des expériences mystiques très douloureuses et inexplicables. Il restera très discret toute sa vie sur la nature de ces expérience et leur effets sur lui. Mais les gens de l'Ordre de l'Étoile y voient le signe clair du début imminent de son ministère mondial. Mais des rumeurs courent aussi, disant que Krishnamurti va dissoudre l'Ordre de l'Étoile. C'est pourquoi le 3 août, lors du congrès annuel de l'Ordre, la nervosité est palpable. Voici le discours intégral que prononce Krishnamurti ce jour-là, discours qui allait changer sa vie et annoncer la mission que lui-même se donnerait. C'est une lecture un peu longue mais je vous encourage fortement à la faire, car elle aura sûrement pour effet de vous provoquer et être provoqué, c'est toujours bon!

Ce matin, nous allons débattre de la dissolution de l’Ordre de l’Étoile. Beaucoup en seront ravis, et d’autres en seront plutôt attristés. Cela ne doit pas être un sujet de joie ni de tristesse, puisque c’est inévitable et je vais vous l’expliquer . Vous vous souvenez peut-être de l’histoire du diable qui descendait une rue en compagnie d’un ami. Ils voient devant eux un homme se baisser, ramasser quelque chose, le regarder et le mettre dans sa poche. L’ami dit au diable : ‘Qu’a-t-il bien pu trouver ?’. ‘Un bout de vérité’ dit le diable. ‘Très mauvais pour vous, cela’ remarque l’ami. ‘Pas du tout’ réplique le diable, ‘je vais faire en sorte qu’il l’institutionalise’.
J’affirme que la Vérité est un pays sans chemin, et qu'aucune route, aucune religion, aucune secte ne permet de l'atteindre. Tel est mon point de vue, je le maintiens de façon absolue et inconditionnelle. La Vérité étant sans limites, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée; on ne devrait pas non plus créer d’organisation pour conduire, pousser les gens sur une certaine voie. Dès que vous avez saisi cela, vous réalisez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. La croyance est une affaire purement individuelle, on ne peut pas, on ne doit pas l'organiser. Si on le fait, elle meurt, fossilisée; elle n'est plus qu'une croyance, une secte, une religion que l’on impose à d’autres. 
C’est ce que chacun prétend faire à travers le monde. La Vérité est rapetissée, transformée en jouet pour ceux qui sont faibles, ceux dont le mécontentement n’est que momentané. La Vérité ne peut être mise à la portée de l’individu, c'est à l’individu de faire l'effort pour monter jusqu'à elle. On ne peut pas amener dans la vallée le sommet de la montagne. Si on veut l’atteindre, il faut entrer dans la vallée, puis grimper les raidillons, sans craindre les précipices dangereux. Il faut monter vers la Vérité, elle ne peut pas descendre à votre niveau ou être façonnée pour vous. Les institutions entretiennent l’intérêt pour les idées, mais elles suscitent cet intérêt de l’extérieur. L’intérêt qui ne naît pas de l’amour de la Vérité pour elle-même, l’intérêt inspiré par une institution, est sans valeur. L’institution devient un cadre auquel les membres s’adaptent confortablement. Ils ne tendent plus vers la Vérité, vers le sommet de la montagne, ils se taillent une niche commode dans laquelle ils s’installent ou se font installer par l’institution, pensant qu’elle les conduira de ce fait à la Vérité. 
Voilà la première raison pour laquelle, à mon point de vue, l’Ordre de l’Étoile doit être dissous. En dépit de cela vous allez probablement fonder quelque autre ordre, ou vous continuerez à appartenir à d’autres institutions qui cherchent la Vérité.

Pour ce qui me concerne, je ne veux appartenir à aucune entreprise d'ordre spirituel, comprenez bien cela. J’utilise une entreprise qui me conduit à Londres, par exemple : c’est une toute autre sorte d’entreprise, purement mécanique, comme la poste ou le télégraphe. J’utiliserai une voiture ou un bateau pour voyager, ce sont des machines qui n’ont rien à voir avec la spiritualité. Je répète qu'aucune institution ne peut mener l'homme à la spiritualité. Si on en crée une dans cette intention, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage qui mutile l'individu et l'empêche de grandir, de fonder son caractère unique, lequel consiste en sa propre découverte de la Vérité absolue et inconditionnée. C'est la seconde raison qui m’amène, puisque je me trouve être le chef de l'Ordre, à le dissoudre. Personne n’a pesé sur ma décision. 
Ce n'est pas une action d’éclat; simplement je ne veux pas de disciples, j’insiste là-dessus. Dès que l’on suit quelqu'un, on cesse de suivre la Vérité. Peu m'importe que vous teniez compte de ce que je dis ou non. J'ai une chose à faire dans le monde, et je vais m'y consacrer avec une détermination inébranlable. Je ne me préoccupe que d'une seule chose, essentielle : libérer l'homme. Je veux qu’il soit libre de toutes les cages, de toutes les peurs, et non pas libre de retrouver une nouvelle religion, une nouvelle secte, de nouvelles théories ou de nouvelles philosophies.
Vous allez naturellement me demander pourquoi je parcours le monde, à parler sans cesse. Je vais vous dire pourquoi : ce n'est pas parce que je désire un auditoire, ou attirer à moi un groupe choisi de disciples élus. (Les hommes adorent se distinguer de leurs semblables, même par les différences les plus ridicules, absurdes et futiles ! Je ne veux pas encourager cette absurdité...) Je n'ai pas de disciples et pas d’apôtres, ni dans ce monde ni dans le monde de la spiritualité. 
Ce n’est pas non plus le désir d’argent, ni d’une vie confortable qui me mène. Si je voulais une vie confortable, je ne participerais pas à des camps et ne vivrais pas dans un pays humide ! Je parle franchement car je veux que les choses soient établies une bonne fois pour toutes, je ne veux pas poursuivre d’année en année ces discussions puériles.
Un journaliste qui m'interviewait trouvait que dissoudre une institution composée de milliers et de milliers de membres était un geste grandiose, car, disait-il, "Que ferez-vous maintenant, comment vivrez-vous ? Vous n'aurez plus d'auditoire, on ne vous écoutera plus". S'il n’y a que cinq personnes qui veulent écouter, qui veulent vivre le visage tourné vers l'éternité, ce sera assez. 
A quoi sert d’avoir des milliers d’auditeurs qui ne comprennent pas, confits dans leurs préjugés, qui refusent le neuf, ou plutôt voudraient bien convertir le neuf en quelque chose qui convienne à leur petit ‘moi’ stérile et stagnant ? Si mes paroles sont fermes, comprenez bien que ce n’est pas par manque de compassion. Si vous allez consulter un chirurgien, n’est-ce pas de la bonté de sa part de vous opérer même s’il vous fait mal ? De même, si je parle sans détour, ce n’est pas par manque d’une réelle affection, tout au contraire. 
Krishnamurti durant son discours
Je vous l'ai dit, je n'ai qu'un but : libérer l'homme, le presser vers la liberté, l'aider à se dégager de toutes les limitations, car cela seul lui fera atteindre la béatitude éternelle, la réalisation du soi inconditionné.
Parce que je suis libre, inconditionné, intégral - pas une vérité partielle, pas une vérité relative, mais Vérité absolue, qui est éternelle - je désire que ceux qui cherchent à me comprendre soient libres. Pas libres de me suivre, de faire de moi une cage qui se change en religion, en secte. Mais qu'ils soient libres de toute peur : peur de la religion, peur du salut, peur de la spiritualité, peur de l'amour, peur de la mort, peur de la vie même. Un artiste peint un tableau parce qu'il trouve sa joie en peignant, parce que c’est sa façon de s’exprimer, son honneur, son bien-être : c’est ainsi que j’agis, et non parce que j’attends quoi que ce soit de qui que ce soit. 
Vous êtes habitués à l’autorité, ou à l'atmosphère d'autorité qui, pensez-vous, vous conduira à la vie spirituelle. Vous croyez, vous espérez qu'un autre, par ses pouvoirs extraordinaires - par un miracle - va vous transporter dans cet univers de liberté éternelle qui est la béatitude. Toute votre conception de la vie est fondée sur cette autorité.
Voici trois ans maintenant que vous m'écoutez, sans qu'aucun changement ne se produise, sauf chez quelques-uns. Analysez maintenant ce que je dis, exercez votre sens critique, afin de pouvoir comprendre totalement, en profondeur. Lorsque vous demandez à une autorité de vous guider vers la vie spirituelle, vous êtes obligatoirement conduits à construire une organisation autour de cette autorité. Du fait même de créer cette organisation afin d’aider cette autorité à vous guider vers la spiritualité, vous vous êtes mis en cage. 
Si je parle franchement, souvenez-vous que je le fais sans dureté, ni cruauté, ni par exaltation pour mon sujet, mais parce que je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire. Vous êtes venus pour cela et ce serait une perte de temps de ne pas exposer clairement et définitivement mon point de vue.
Pendant dix-huit ans, vous avez préparé cet événement, la venue de l’Instructeur du Monde. Pendant dix-huit ans, vous vous êtes organisés, vous avez attendu quelqu’un qui apporte une joie nouvelle dans vos cœurs et vos esprits, qui transforme complètement votre vie, qui vous donne un nouvel entendement; attendu quelqu’un qui élève votre vie à un plan supérieur, qui vous redonne courage, qui vous rende libre… Et voyez maintenant ce qui se passe ! 
Réfléchissez, raisonnez avec vous-mêmes et voyez en quoi cette croyance vous a rendu différents – pas la différence superficielle de porter un badge, ce qui est futile, absurde. En quoi cette croyance a-t-elle balayé toutes les choses superflues de la vie ? C’est la seule façon d’en juger : en quoi êtes-vous plus libres, plus grands, plus dangereux pour toute société fondée sur le fallacieux et l’accessoire ? En quoi les membres de cette organisation de l’Étoile sont-ils devenus différents ? 
Comme je l’ai dit, vous avez tout préparé pour moi pendant dix-huit ans. Cela m’est égal que vous croyiez ou non que je suis l’Instructeur du Monde, cela importe peu. Comme membres de l’institution de l’Ordre de l’Étoile, vous avez apporté votre sympathie, mis votre énergie à reconnaître Krishnamurti comme l’Instructeur du Monde, certains pleinement - ceux qui cherchent vraiment - certains partiellement - ceux qui sont satisfaits de leurs propres demi-vérités. 
Vous avez préparé pendant dix-huit ans, et regardez combien d’obstacles à votre compréhension, combien de complications, combien de futilités. Vos préjugés, vos peurs, vos autorités, vos églises anciennes et nouvelles, tout ceci, je le soutiens, fait barrage à la compréhension. Je ne peux pas être plus clair. Je ne veux pas que vous acquiesciez, je ne veux pas que vous me suiviez, je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire. 
Il vous faut comprendre, car, loin de vous transformer, votre croyance n’a fait que vous rendre compliqués, parce que vous ne voulez pas affronter les choses telles qu’elles sont. Vous voulez vos dieux – des nouveaux dieux au lieu des anciens, de nouvelles religions au lieu des anciennes, de nouvelles structures au lieu des anciennes – toutes choses sans valeur, des obstacles, des limitations, des béquilles. À la place d’anciennes distinctions spirituelles, vous en avez de nouvelles, au lieu de vos vieilles dévotions, vous en avez des neuves. Pour votre vie spirituelle, vous dépendez de quelqu’un, pour votre bonheur, vous dépendez de quelqu’un, pour votre illumination, vous dépendez de quelqu'un. Et, bien que vous prépariez depuis dix-huit ans ma venue, quand je vous dis que toutes ces choses sont inutiles, quand je vous dis de les rejeter en bloc et de chercher en vous-même l'illumination, la splendeur, la purification et l'incorruptibilité du soi, pas un d'entre vous n'est prêt à le faire. Peut-être quelques-uns, mais peu, très peu...
Alors, à quoi bon une telle institution? 
Pourquoi avoir avec moi des gens insincères et hypocrites, moi l’incarnation de la Vérité ? Je vous en prie, rappelez-vous que je ne veux être ni dur, ni méchant, mais nous sommes arrivés à un stade où il faut voir les choses en face. J’ai dit l'an dernier que je ne me prêterai pas à un compromis. Très peu alors ont écouté. Cette année, j’ai mis les choses tout à fait au clair. J'ignore combien de milliers de membres de l'Ordre à travers le monde ont préparé depuis dix-huit ans ma venue, et pourtant, aujourd’hui, ils ne veulent toujours pas écouter totalement, sans réserve, ce que je dis, alors, à quoi bon une telle institution? 
Mon dessein, je le répète, est de libérer les hommes sans condition, car je soutiens que la seule spiritualité est l'incorruptibilité du soi qui est éternel, c’est l'harmonie entre la raison et l'amour. C'est la Vérité absolue, inconditionnée, qui est la Vie elle-même. Je veux donc libérer l'homme; qu'il exulte comme l'oiseau dans le ciel clair, sans poids, sans attache, extatique de cette liberté. Et moi, pour qui vous avez tout préparé pendant dix-huit ans, je vous dis maintenant de vous libérer de toutes vos complications, de vos pesanteurs. Vous n'avez pas besoin pour cela d'une organisation fondée sur une croyance spirituelle. Pourquoi former une structure pour la dizaine de personnes dans le monde qui comprennent, qui s’appliquent, qui ont mis de côté tout ce qui est insignifiant? Quant aux faibles, aucune organisation ne peut les aider à trouver la Vérité, parce que la Vérité est en chacun; elle n'est ni loin, ni près, elle est là, éternellement. 
Les organisations ne peuvent pas vous rendre libres. Aucun être venu d’ailleurs ne peut le faire; fonder un culte, vous immoler à une cause ne vous libèreront pas non plus; vous regrouper en organisation, vous lancer dans les œuvres non plus. Vous utilisez une machine à écrire pour votre correspondance, mais vous ne la posez pas sur un autel pour l'adorer. Pourtant c'est bien que vous faites quand une institution devient votre premier souci. "Combien de membres ?" Voilà la première question que me posent les journalistes. "Combien de disciples ? C'est à leur nombre que nous jugerons si ce que vous dites est vrai ou faux." J'ignore leur nombre, cela ne m'intéresse pas. Comme je l’ai dit, s'il n'y avait qu'une seule personne libérée, ce serait assez.
Vous croyez que seules certaines personnes détiennent la clé du Royaume de la Béatitude. Personne ne la détient, personne n'en a l'autorité. Cette clé, c'est le soi, et c’est seulement dans le développement, la purification, et l’incorruptibilité du soi que réside le Royaume de l'Éternité. 
Vous verrez alors à quel point est absurde toute la structure que vous avez édifiée, cherchant une aide extérieure, dépendant des autres pour votre réconfort, votre bonheur, votre force. Tout cela, vous ne le trouverez qu'en vous-même.?Vous n’avez donc pas besoin d’une institution. 
Vous avez pris l'habitude que l'on vous dise où vous en êtes sur le plan spirituel. Comme c'est puéril ! Qui d'autre que vous peut dire si vous êtes beau ou laid intérieurement, qui d’autre peut dire si vous êtes incorruptible? Vous n’êtes pas sérieux. 
Alors, quelle est la valeur d’une institution? 
Mais ceux qui cherchent réellement à comprendre, à découvrir ce qui est éternel, ce qui n’a ni commencement ni fin, feront route ensemble avec une plus grande intensité, et deviendront un danger pour tout ce qui n'est pas essentiel, les chimères, les ombres. Ils se concentreront, ils deviendront la flamme, parce qu'ils auront compris. Voilà le groupe que nous devons créer, et tel est mon but. L’existence d’une vraie compréhension entraînera une vraie amitié. A cause de cette véritable amitié - sentiment que vous ne semblez pas connaître - chacun apportera sincèrement sa coopération, non pas sous la pression de l'autorité, ni pour rechercher son salut, ni en immolation à une cause, mais parce que vous comprendrez véritablement, donc vous serez capables de vivre dans l'éternel. Ceci est bien plus fort que tout plaisir, que tout sacrifice. 
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles, après y avoir réfléchi sérieusement pendant deux ans, j'ai pris cette décision. Je ne cède pas à une impulsion momentanée, personne ne m’y a poussé; dans ce domaine, je ne suis pas sensible aux influences. Pendant deux ans, j'ai pensé à cela, calmement, patiemment, avec grand soin, et j'ai finalement décidé de démanteler l'Ordre, puisque je me trouve être son président. Libre à vous de fonder une autre institution et d'attendre quelqu'un d'autre, cela ne me concerne pas, pas plus que de créer de nouvelles cages, de nouvelles décorations pour ces cages. Mon seul souci est de rendre les hommes libres, absolument, inconditionnellement libres. »
 - Jiddu Krishnamurti, 3 août 1929

Après ce discours et jusqu'à sa mort, Krishnamurti passera le reste de sa vie à voyager partout dans le monde pour faire des conférences et répondre au questions des gens qu'il rencontre. 25 ans après son décès, ses propos restent d'une actualité criante, dans un monde post-moderne où ses idées on trouvé un terrain très fertile. Pas surprenant qu'il connaisse actuellement un gain important en popularité et que se livres se vendent partout!

Êtes-vous provoqués par l'idée que se fait Krishnamurti des insitutions religieuses? La vérité serait-elle vraiment un pays sans chemins?

Saturday, June 18, 2011

Le philosophe et le rabbin

Ma meilleure amie ayant récemment commencé à fréquenter une synagogue orthodoxe de dénomination Chabad, j'ai commencé à lire un livre du Rebbe Menachem Mendel Shneerson, qui a été leur 7e dirigeant. Que voulez-vous, je suis incapable d'entendre le nom d'une religion ou dénomination sans par après aller me tapper un bouquin sur le sujet!

Je commence à peine à lire, mais je vous partage une petite histoire qu'il racontait et que je trouve tout à fait éclairante sur la nature de la foi et en quoi elle doit nous questionner!

Le Rebbe
Un philosophe argumentait avec un rabbin réputé à propos de l'existence de Dieu. Le philosophe croyait que malgré qu'il y avait plusieurs arguments persuasifs pour prouver l'existence de Dieu, il y en avait autant pour dénier Son existence. Après quelques temps, le philosophe s'exaspéra. "Tu es un homme sage, dit-il au rabbin. Alors pourquoi n'es-tu pas ébranlé par tous ces arguments disputant l'existence de Dieu?"
Le rabbin sourit. "Je t'envie, dit-il au philosophe. Parce que tu es si engagé à réfléchir sur l'existence de Dieu, tu es toujours en train de penser à Lui, alors que moi, je passe la majeure partie de mon temps à penser à moi-même" Sur ce, le deux allèrent chacun de leur côté.
Le philosophe était flatté par la remarque du rabbin, mais il fut dérangé que sa question fut restée sans réponse. Et alors que le temps passait et qu'il vieillissait, la véritable implication des paroles du rabbin devint finalement claire à ses yeux. "En fait, le rabbin m'a insulté, pensa-t-il. La raison pourquoi je passe tout mon temps à réfléchir sur l'existence de Dieu, c'est que je suis certain que j'existe, alors la seule question est si oui ou non Dieu existe. Pour le rabbin, l'existence de Dieu est une évidence, alors la question éternelle est à savoir si oui ou non lui-même existe, et si oui, pourquoi.
Quelle fin surprenante! J'adore!

Wednesday, June 15, 2011

Katha Upanishad: l'Impérissable

Nachiketas et Yama
Dans mon dernier post, Nachiketas avait réussi à forcer Yama, le Dieu de la Mort, lui dire ce qu'il advenait de l'individu après la mort. Continue-t-il d'exister ou non?

Bien heureusement, le texte évite de donner une réponse facile et toute cuite dans le bec. La réponse, dont je présenterai quelques extraits, est très typique de la pensée hindoue, et peut sembler fort étrange aux oreilles occidentales...

Yama: Le Soi tout-connaissant est non-né, et impérissable. Il n'a pas d'origine, et n'a rien engendré. Il est non-né, sans âge, Il est très ancien et vivra jusqu'à la fin du temps, et Il n'est pas tué quand le corps est tué.

Si le tueur pense qu'il tue effectivement, et si la victime pense que son Soi est effectivement tué, l'un et l'autre témoignent d'une conception erronée. Le Soi ne donne pas la mort, le Soi ne meurt pas.

Le Soi, qui est plus subtil que toute subtilité et plus grand que toute grandeur, siège dans le cœur de toute créature. Celui qui a maîtrisé tous ses désirs peut contempler la gloire majestueuse du Soi à travers ses sens apaisés et son esprit pacifié, et il se libère dès lors de toute souffrance.

Demeurant assis, Il voyage au loin; demeurant immobile, Il se déplace partout. Qui donc, si ce n'est moi, peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?

L'homme sage, qui a réalisé la présence de l'incorporel Atman à l'intérieur de tout corps, et qu'Il est fermement établi en toute chose périssable, qu'Il est grand et tout-pénétrant, ne connaît plus le chagrin.

On n'atteint pas à l'Atman par l'étude des Védas, ni au moyen de l'intellect, ni à force d'écouter des enseignements. Seul l'aspirant sincère qui désire ardemment L'atteindre, peut Le trouver. À celui-là, l'Atman révélera de lui-même Sa nature authentique.

Nul ne peut atteindre à l'Atman, qui ne s'est pas abstenu de toute conduite négative, dont les sens ne sont pas maîtrisés, dont le mental n'est pas concentré et dont l'esprit n'est pas établi dans la paix. Car celui-ci ne peut se réaliser qu'au moyen de la connaissance par expérience directe de la Réalité.

Ce Soi – cet Atman pour lequel les Brahmanes et les Kshatriyas ne sont pour ainsi dire que des aliments, et la Mort un simple condiment – qui donc peut savoir où Il se trouve ?
- Katha Upanishad

La mort, un simple condiment? Cette phrase peut faire sursauter. Mais la Vie aurait-elle de la saveur  sans renouvellement, sans évolution, sans recherche constante de mieux... sans la mort elle-même? Oui, parfois la mort semble à l'encontre de tout progrès, quand elle est gratuite et causée par la haine, et il faut travailler pour que cessent ces choses. Mais on ne peut nier que la mort est le moteur qui nourrit notre urgence de vivre.


L'Atman, le Soi, c'est en fait l'unique réalité derrière les apparences de multiplicité. C'est la conscience unique de l'Univers qui fait l'expérience de tout. C'est ce qui perçoit tout les phénomènes. Le mot atman a la même origine étymologique que le mot d'origine grec atmos, qui signifie l'air qui nous entoure. L'Atman, c'est le Souffle de Dieu qui pénètre chaque particule et qui donne vie. Dans la mythologie occidentale, c'est la ruah hébraique, l'Esprit de Dieu qui courrait sur les eaux primordiale aux début des temps et qui fut insufflé dans les narines d'Adam pour lui donner vie.

Et ce Soi, qui est notre réelle identité, ne meurt jamais. Quand un corps meurt, le Souffle qui s'y trouvait ne disparaît pas mais va plutôt rendre vie à une multitude de créatures naissantes. L'individu qui réalise qu'il n'est pas un petit moi, mais qu'il est en fait le Soi qui pénètre tout l'univers, est affranchi de la crainte de la mort. Et on y arrive en ayant un esprit apaisé, serein, libre de la souffrance causée par les désirs et les attachements.

Est-ce à dire que pour le Katha Upanishad Dieu n'a rien à faire de nos douleurs et de nos peurs par rapport à la mort? Et nos joies, les vit-il? Sommes-nous des poussières pour lui, trop éphémères pour qu'il nous remarque? Lui qui est l'Univers entier, se soucie-t-il de nos expériences individuelles? Le Katha utilise une phrase paradoxale pour exprimer ce mystère: "Qui donc peut connaître ce lumineux Atman qui tout à la fois se réjouit et demeure indifférent ?"

Mais moi je me dit, si Dieu se foutait vraiment de notre douleur face à la mort, pourquoi autait-il inspiré ce texte et des milliers d'autres, qui nous réconfortent et nous aident à la voir telle qu'elle est vraiment? Qu'on l'appelle Dieu, Atman ou Brahman, il nous appelle à se lever, à partir sa recherche et à le rejoindre dans l'Impérissable. Mais le Katha est clair, ce n'est pas seulement par l'étude des textes sacrés ou en faisant aller son intellect qu'on y arrivera, mais en le laissant se révéler en nous-même. Il nous tend la main, il faut l'aggriper, sincèrement!
Aspirant, lève-toi ! Éveille-toi ! Va trouver les plus grands maîtres et apprends auprès d'eux. Car ce sentier est aussi affûté que le fil du rasoir, périlleux, et difficile à traverser. C'est ce qu'affirment les sages.

Par la réalisation de l'Atman, dénué de sons, intangible, sans forme, sans changement ni décrépitude, sans saveur, éternel, inodore... par la réalisation de cet Atman qui est sans commencement ni fin, au-delà du monde matériel et parfaitement constant, l'homme se libère des mâchoires de la mort.
(...)
Et Nachiketas, ayant bénéficié de cet enseignement que lui communiqua Yama, le dieu de la Mort, mais aussi des instructions relatives au Yoga dans leur intégralité, parvint à Brahman, après avoir développé le parfait détachement et l'immortalité. Et il en fut et en sera ainsi de quiconque acquiert, de façon aussi accomplie, la connaissance du Soi intérieur.

Om ! Puisse-t-Il nous protéger tous deux, et nous dévoiler la nature de la Connaissance;
Puisse-t-Il nous nourrir tous deux des fruits de la Connaissance;
Puissions-nous conjointement atteindre à la force que confère la Connaissance,
Que notre étude nous apporte l'illumination;
Qu'il n'y ait aucune trace de haine en nous, ni entre nous !
Om ! Shanti ! Shanti ! Shanti !
Om ! Paix ! Paix ! Paix !
 - Katha Upanishad

Monday, June 13, 2011

Katha Upanishad: la Mort qui enseigne


Le mot Upanishads signifie “s'assoir aux pieds de...”. Ce nom évoque le position de l'élève qui venait aux pieds du maître pour recevoir son enseignement. Mais pas n'importe quel enseignement... Les Upanishads sont la fine pointe des Védas, le résultat de siècles de réflexion philosophique et d'exploration profonde de la conscience elle-même.  Les 11 upanishads majeurs sont le fondement même de l'hindouisme. Et bien qu'ils présentent des mythes, des cosmogonies et des positions philosophiques parfois très différentes, les Upanishads ont en commun l'affirmation suivante: ayam ātmā brahma , c'est à dire, Dieu et le Soi ne font qu'un.

Le Katha Upanishad est peut-être le plus apprécié en Inde et partout ailleurs dans le monde. Il est relativement court et straightforward, riche en concepts, mais surtout il a comme trame de fond l'histoire irrésistible d'un jeune garçon espiègle mais très sage qui arrive à embarasser la Mort elle-même!

Le Katha commence avec un homme riche, Vajasravasa, qui décide de se donner du mérite en accomplissant le sacrifice du don de tous ses biens (principalement des vaches). Mais son jeune fils, Nachiketas, déjà empli de sagesse malgré son jeune âge, voit bien l'hypocrisie de cet acte. Tout d'abord, les vaches sont vieille et ne servaient plus à rien de toute façon, le sacrifice n'est donc pas très grand. Mais surtout, le sacrifice de Vajasrava a pour but d'accumuler du mérite et des faveurs. Alors, futé, l'enfant demande à son père: "À qui vas-tu me sacrifier, moi?" Le père ne répond pas, ne comprend pas. Nachiketas pose la même question trois fois, et le père finit par se mettre en colère et dit: "C'est à Yama, le dieu de la Mort, que je vais te donner!"

Or, ce qui était une boutade due à l'exaspération, Nachiketas la prend au sérieux. Il laisse tout derrière lui se rend donc dans le Royaume des morts. Or, aux portes du palais, personne pour l'acceuillir, pendant trois jour! Mais Nachiketas attend patiemment, sans rien à manger. Le troisième jour, Yama arrive et voit le jeune homme à l'entrée de son Royaume. Il est très embarassé de n'avoir pu accomplir les rites d'hospitalité. Pour se faire pardonner, il offre à Nachiketas de réaliser trois de ses voeux.

Son premier souhait est que son son père ne soit plus en colère contre lui lorsqu'il reviendra chez lui. Yama l'exauce.

Son deuxième souhait est de connaître le secret du sacrifice du Feu. Yama l'exauce et lui enseigne, et décide même que ce sacrifice portera désormais le nom de Nachiketas.

Et voici que est le troisième souhait de Nachiketas.

Nachiketas aux pieds de Yama
Nachiketas : « Un doute subsiste sur le sort de l'homme après sa mort : selon les uns, il existe toujours, selon les autres, il n'existe plus. Quant à moi, je ne le saurai qu'après que tu me l'aies enseigné. Voilà, sur les trois vœux, le troisième de mon choix. »

Yama répliqua : « Sur ce point, le doute a subsisté même chez les dieux, et cela depuis les temps jadis. La nature de l'Atman (le Soi) est d'une telle subtilité, que cela n'est pas facile à comprendre. Demande donc un autre vœu, ô Nachiketas ! N'insiste pas, et épargne-moi d'avoir à tenir un tel engagement ! »

Nachiketas : « Ô Yama, si même les dieux entretiennent toujours des doutes à ce sujet et que Toi, la Mort, tu confirmes qu'il est malaisé à comprendre, je conçois qu'il n'est pas d'enseignant qui puisse t'être supérieur sur un tel sujet ! Et assurément, nul autre vœu ne peut valoir celui-ci. »

Yama : « Demande-moi des fils et petits-fils qui deviendront centenaires. Demande-moi des troupeaux entiers de bétail, des éléphants, des chevaux et de l'or. Demande-moi un vaste domaine sur la terre des humains, où tu vivras autant d'automnes que tu le désireras. S'il est un autre vœu que tu puisses juger égal à celui-ci, demande-le moi : ainsi la richesse et la longévité. Puisses-tu devenir roi, ô Nachiketas, et régner sur un vaste royaume. Je t'accorderai de pouvoir jouir de tout ce que tu pourras désirer! Tous ces désirs qui sont si difficiles à obtenir dans ce monde des mortels, quels qu'ils puissent être, choisis donc parmi eux. Vois ces belles et jeunes nymphes dans leurs chariots, qui jouent du luth – aucun mortel n'a jamais pu en obtenir une. Je te les offre, et elles seront tes douces esclaves. Mais, ô Nachiketas, ne me demande pas de t'éclairer le mystère de la mort ! »

Nachiketas lui répondit : « Tous ces biens, ô Mort, sont éphémères et ne durent que jusqu'au petit matin ! De plus, les plaisirs épuisent la vigueur de tous les sens dans l'homme. Et la vie, même la plus longue, est en vérité bien courte ! Garde donc ces chevaux, ces danses et ces chants, pour Ton propre plaisir.

Les richesses ne procureront jamais le bonheur à l'homme. Qui plus est, puisque je T'ai vu face à face, j'obtiendrai forcément la richesse ; et la durée de ma vie sera de toute façon fixée par Toi. Aussi le seul vœu qui me satisfasse est bel et bien celui que je t'ai demandé. Après avoir eu le privilège d'un séjour chez les impérissables et les immortels, et y avoir appris que ses souhaits les plus ardents pouvaient être satisfaits par eux, quel mortel résidant ici-bas se réjouirait d'une grande longévité, lui qui est devenu conscient du caractère éphémère de la beauté, des plaisirs et des joies ici-bas ? Ô Yama, dévoile-moi ce grand Au-delà, qui est d'une telle obscurité pour les mortels. Moi, Nachiketas, je ne te supplie d'aucune autre faveur que de me faire pénétrer dans le grand mystère de l'Au-delà ! »
Face à une telle sagesse, Yama s'incline. Car Nachiketas a choisi de suivre la Vérité plutôt que la satisfaction éphémère. Il exauce donc le souhait de Nachiketas, en lui enseignant la nature réelle du Soi.

(suite bientôt!)