Une page des Védas |
Les Védas, au nombre de quatre, sont des receuils d’hymnes et de formules qui étaient récités lors des complexes rituels de sacrifice qui étaient pratiqués par le peuple indo-européen qui s’est installé en Inde durant cette époque. Le Védisme était une religion nettement polythéiste, et la plupart des chants des Védas sont adressés à tout un panthéon de dieux tels Indra, Agni, Varuna et Soma, tous devenus des divinités très mineures dans l’hindouisme d’aujourd’hui.
Il est donc clair qu’une large portion des Védas a perdu beaucoup d’importance dans la théologie hindoue. Toutefois à certains endroits dans les Védas on semble accepter que derrière tous les dieux, il y a une réalité Une, souvent nommée brahman. Ce sont ces parties, plus philosophiques et spéculatives et nommées Upanishads, qui ont formé tout le système de pensée de l’hindouisme moderne. C’est à partir de la pensée upanishadique que se sont développés les textes ultérieurs tels la Bhagavad Gita et les Puranas. Le Nasadiya, bien que ne faisant pas partie formellement des Upanishads, contient des idées sembables et a eu une influence presque aussi importante. Le voilà donc, dans toute sa déroutante beauté.
Ni le non-être l’existait alors, ni l’être.
Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà.
Qu’est-ce qui se mouvait puissamment. Où? Sous la garde de qui?
Était-ce de l’eau, insondablement profonde?
Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort;
il n’y avait pas de signe distinctif pour la nuit ou le jour.
L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il n’y ait de souffle.
En dehors de cela, il n’existait rien d’autre.
À l’origine, les ténèbres étaient cachées par les ténèbres.
Cet univers n’était qu’onde indistincte.
Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance,
principe vide et recouvert de vacuité.
Le Désir en fut le développement originel,
Désir qui a été la semence première de la conscience.
Enquêtant en eux-même, les poètes surent découvrir
par leur réflexion le lien de l’être dans le non-être.
Leur corde était tendue en transversale.
Qu’est-ce qui était au-dessous? Qu’est-ce qui était au-dessus?
Il y avait des donneurs de semence, il y avait des pouvoirs.
L’élan spontané était en bas, le don de soi était en haut.
Qui sait en vérité, qui pourrait ici proclamer
d’où est née, d’où vient cette création secondaire?
Les dieux (sont nés) après par la création secondaire de notre monde.
Mais qui sait d’où celle-ci même est issue?
Cette création secondaire, d’où elle est issue,
si elle a fait l’objet ou non d’une institution,
celui qui surveille ce monde au plus haut firmament le sait seul,
à moins qu’il ne le sache pas?
- Nasadiya Sukta, traduction de Louis Renou
Quels étranges parallèles entre le Nasadiya et la Genèse! La présence d’une eau primordiale, d’un chaos où n’existent pas de distinctions. Et surtout, le souffle de Dieu qui traverse tout cela. Toutefois, au-delà de ces rapprochements, la tonalité et la visée des deux textes est totalement différente. Là où la Génèse laisse un silence prudent sur ce qui était avant le début de la création, le Nasadiya nous bombarde de questions et d’affirmations paradoxales étourdissantes.
Les paradoxes et les questions ont pour seul but de faire comprendre au lecteur que l’univers était à l’origine de nature non-duelle. Ni terre ni air, ni existence ni non-existence, ni mort ni non-mort. N’existait que la respiration de Dieu, et encore là, on précise qu’il respirait sans souffle, voulant jusqu’à éviter la dualité inspiration-expiration. Puis, dit-on, deux chose sont survenues qui ont semé les germe de la création : le kama (désir) ainsi que le tapas, ici traduit par ardeur, mais qui représente une ardeur telle qu’elle dégage une énergie et une chaleur immenses. La mention de désir comme source de toute activité mentale est très centrale dans la philosophie orientale, l’esprit « créant » et s’attachant le monde pour satisfaire ses cravings! Autant le bouddhisme que l’hindouisme associent souvent le désir à la douleur et l’absence de désir à la libération, mais ici le désir n’est associé à aucune image négative. Mais le texte reste tout de même très discret sur la nature de ce désir, ni de qui il provient. Quand au tapas, il fait penser à l’énergie primodiale qui était là au moment du Big Bang… mais une énergie qui est le résultat d’une volonté extrêmement puissante!
Dans ce bref moment où ces deux éléments sont entrés en contact, une corde a été placée dans l’univers, symbole de l’apparition de la dualité. Mais les Poètes, les Rishis, ces sages qui pour les hindous furent les premiers humain à recevoir la révélation divine, en regardant en eux ont vu qu’il ne s’agit que d’une corde, un mince filament et que la réalité derrière est bien au-delà de nos notions d’existence ou de non-existence.
Les derniers vers du Nasadiya sont époustouflants, ils sont une abîme sans fond et une provocation envers toutes nos idées sur la Création. Et si, comme se demande l’hymne, Dieu lui-même ne savait ni comment ni pourquoi la Création était venue? La notion d'un Dieu Créateur et en contrôle est très fortement ancrée dans nos dogmes religieux, elle a rarement été remise en question dans nos spiritualités occidentales... Et si la Création avait été un accident?
Cette simple idée provoquante a produit des livres et des livres de commentaires. Et pourtant, c'est dans un petit roman publié en 2001 que j'ai trouvé certaines des hypothèses les plus intéressantes sur le sujet!
Dans mon prochain post, un mythe contemporain de la Création.
Vous vous demandez ce que Dilbert fait ici? |
Scott Adams a écrit un livre philosophique appelé God's Debris, qui a sa propre explication sur la création de l'Univers (pour répondre à la question de "Ce que Dilbert fait sur le post".
ReplyDeleteTsk, tu brise mon punch!
ReplyDeleteMais ouais mon prochain post va porter sur God's Debris. Tu as lu?
J'adore les récits de la Création !
ReplyDeleteEn effet, la fin de la Nasadiya peut déstabiliser certaines personnes attachées aux idées reçues, mais ça fait toujours du bien de se faire secouer les idées de temps à autre. Ça évite d'avoir des convictions trop sécurisantes, et dans le cas des idées religieuses, de mettre la main sur Dieu en pensant avoir "compris" !
C'est qui ça, Dilbert ? Suis-je censé le connaître ?
ReplyDeleteDilbert est un comic strip assez populaire. Mais si tu n'as pas l'habitude d'aller regarder les comics à la fin de ton journal, c'est normal que ça ne te dise rien!
ReplyDeleteJ'ai lu God's debris au début de mon secondaire. Fantastique livre.
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