Saturday, February 26, 2011

Commencements: God's Debris

Alors que le mythe de la Genèse gardait un silence révérencieux sur l’avant création, alors que le Nasadiya nous étourdissait avec des questionnements, le mythe que je vous présente aujourd’hui tente une explication des plus provoquantes! Et alors que la Genèse et le Nasadiya ont été écrits il y a 3000 ans, celui que je vous présente aujourd’hui a été écrit… en 2001! En effet, ce n’est pas parce qu’on est au 21e siècle que le mythe en tant que genre littéraire n’a plus sa place! L’imaginaire humain et la spiritualité sont le plus heureux des mariages à mon avis! 

Le titre complet du livre est « God’s Debris : A Tought Experiment ». Hé oui, notez bien la mention d’expérience de pensée. Car je crois que même les mythes créés il y a des millénaires, tels ceux que je vous ai présentés précédemment, étaient à la base des expériences de pensée de la part de leur auteur, avant que d’autre finissent par les prendre trop au sérieux. L’auteur ici est Scott Adams, qui est très connu pour son comic trip Dilbert. Quand Adams a publié son livre en 2001, il a fallu qu’il se démène pour faire comprendre aux gens que ce n’était pas un livre de Dilbert ni un livre d’humour. Malgré que le ton du livre soit plutôt léger, dans un langage terre à terre, le sujet est très sérieux. Adams prend même la peine d’avertir les gens dans sa préface qu’il s’agit d’un livre provocateur et déconstructeur, et en déconseille la lecture aux gens qui se complaisent dans les idées reçues… autant religieuses que scientifiques!

La science et la religion ne font toujours bon ménage, spécialement depuis quelques décennies. Et nul besoin de vous dire que l’épineuse question de l’origine de l’univers est l’un des points d’achoppe les plus importants. Scott Adams, dans son livre, tente un rapprochement; son mythe de la création unit des éléments scientifiques et mathématiques à des éléments religieux et spirituels. En même temps, il critique fortement les failles de la pensée scientifiques et les failles de la pensée religieuse.

Scott Adams
Le livre en en fait un dialogue entre deux personnes : le narrateur, un livreur de colis, appelons-le Joblo Toulemonde, et un vieillard qui détient une indéniable sagesse, rencontré à tout hasard durant les heures de travail. Le dialogue commence quand le vieillard pose la simple question suivante à Joblo : « pourquoi, quand on lance une pièce de monnaie dans les airs, elle a 50% de chances de tomber sur le côté face? » De cette simple question naît une longue et fascinante discussion sur le libre arbitre vs. le déterminisme, la science, la nature réelle de Dieu, le destin, les idées préconçues, la réincarnation, les relations humaines, même les pouvoirs psychiques et les OVNIS! Loin de moi le désir de vouloir tout résumer ce qui se dit. On finit toutefois par comprendre que les divers thèmes abordés on comme but de faire ressortir à quels point la probabilité est une force mystérieuse et oh combien importante dans le fonctionnement de l’univers. Inutile de vous dire que moi, prof de maths, j’ai été captivée par cette idée.

Ce qui nous amène enfin à la grande question qui nous mène au mythe, posée par Joblo : « Pourquoi Dieu a-t-il créé l’univers? »

(note : hé oui l’extrait est en anglais, désolée pas de traduction disponible!)

“So what motivates God?” I asked. “Do you have the answer to that question, or are you just yanking my chain?”
 

“I can conceive of only one challenge for an omnipotent being—the challenge of destroying himself.”
 

“You think God would want to commit suicide?” I asked.
 

“I’m not saying he wants anything. I’m saying it’s the only challenge.”
 

“I think God would prefer to exist than to not exist.”
 

“That’s thinking like a human, not like a God. You have a fear of death so you assume God would share your preference. But God would have no fears. Existing would be a choice. And there would be no pain of death, nor feelings of guilt or remorse or loss. Those are human feelings, not God feelings. God could simply choose to discontinue existence. (...) But consider this. A God who knew the answer to that question [what happens if I cease to exist] would indeed know everything and have everything. For that reason he would be unmotivated to do anything or create anything. There would be no purpose to act in any way whatsoever. But a God who had one nagging question—what happens if I cease to exist?—might be motivated to find the answer in order to complete his knowledge. And having no fear and no reason to continue existing, he might try it.”
 

 “How would we know either way?”
 

“We have the answer. It is our existence. The fact that we exist is proof that God is motivated to act in some way. And since only the challenge of self-destruction could interest an omnipotent God, it stands to reason that we are God’s debris.”
 

(...)
 

“Are you saying that God blew himself to bits and we’re what’s left?” I asked.
 

“Not exactly,” he replied.
 

“Then what?”
 

“The debris consists of two things. First, there are the smallest elements of matter, many levels below the smallest things scientists have identified.”
 

(...)
 

 “What’s the second part of the debris?” I asked.
 

“Probability.”
 

“So you’re saying that God—an all-powerful being with a consciousness that extends to all things, across all time—consists of nothing but dust and probability?”
 

“Don’t underestimate it. Probability is an infinitely powerful force. Remember my first question to you, about the coin toss?”
 

“Yes. You asked why a coin comes up heads half the time.”
 

“Probability is omnipotent and omnipresent. It influences every coin at any time in any place, instantly. It cannot be shielded or altered. We might see randomness in the outcome of an individual coin toss, but as the number of tosses increases, probability has firm control of the outcome. And probability is not limited to coins and dice and slot machines. Probability is the guiding force of everything in the universe, living or nonliving, near or far, big or small, now or anytime.”
- Scott Adams, God's Debris, Andrew McMeel Publishing, 2001

En bref, dans ce mythe de la création, un Dieu omniprésent et omnipotent n’avait qu’une seule question à répondre, qu’arriverait-il s’il cessait d’exister. Alors il s’est « tué », acte qui l’a séparé en deux éléments : premièrement, toutes les particules physiques élémentaires, et deuxièmement, la probabilité, force motrice première de l’Univers.

Bon, direz-vous, voilà bien une vision froide et peu inspirante de Dieu. Et pourtant, dans les pages qui suivent l’auteur Scott Adams explique comment cette force qu’on appelle « probabilité » a un but bien précis, qui est de recoller les morceaux et de faire renaître Dieu. Comme le vieillard l’explique par la suite, c’est cette force qui a amené les atomes à se former, puis les molécules, puis la matière organique, puis la vie, puis la conscience, puis la société, etc. Plus l’univers s’organisait en des formes de plus en plus complexes, plus la force appelée probabilité a pris des formes plus raffinées, de telle sorte que Dieu est en train de se « recontruire ». Plus les liens se resserent entre les éléments disparates de l’Univers, plus Dieu émerge.

C’est pourquoi il faut, en tant qu’individus et société, travailler également à cette reconstruction en favorisant les relations harmonieuses et durables! Car si nous ne le faisons pas, les « probabilités » sont que nous allons nous éteindre et faire reculer l’avancement de la Conscience. Ce livre n'est qu'une expérience de pensée, mais j'en retiens deux éléments importants. Un, Dieu n'est pas un être immobile et inchangé... il grandit avec nous. Deux, il y a une force dans l'univers, qui agit physiquement, mentalement, collectivement et spirituellement, afin de guérir un univers brisé et le guider vers l'Unité.

Et vous savez ce qui fascinant de ce livre? C'est que malgré qu'il consiste en un brassage d'idée sans égal, le dernier message qu'il nous laisse est de prendre son temps pour s'intéresser aux gens plutôt qu'aux idées. Wow!

Ce livre est disponible gratuitement en format PDF (ici). Je vous le recommande très chaleureusement. C'est un petit livre très court, qui se lit en une soirée, et qui vous fera sérieusement réfléchir et qui sait, changer! Quand je l’ai lu pour la première fois, j’étais en début exploration du monde religieux. Étant mathématicienne et très intéressée aux sciences physique, j’avais toujours un fond de réticence en moi face à l’appel spirituel que je ressentais. God’s Debris a mis mes méninges en ébullion et a contribué a installer la paix entre ces deux côtés de moi!

Tuesday, February 15, 2011

Commencements : le Nasadiya Sukta

Nous nous étions laissés la semaine passé sur la Genèse, et le silence qu'il laisse sur ce qu'il y avait avant la création. Aujourd'hui, nous tenterons d'éclairer un petit peu ce mystère. Le second texte que je vous présente est l’un des nombreux, mais alors là très nombreux mythes de création de l’hindouisme. Car le mythe hindou se soucie peu de produire une vérité homogène, préférant plutôt poser des questions et des hypothèses. On s'intéressera ici à un des plus plus importants, et sûrement l’un des premiers : le Nasadiya Sukta. Il s’agit d’un chant tiré du Rig-Véda, le plus ancien recueil de textes de la religion védique (nom de la forme la plus primitive de l’hindouisme). On estime qu’il aurait été mis en forme environ 1000 à 1500 avant notre ère, soit probablement un peu avant la Genèse.

Une page des Védas

Les Védas, au nombre de quatre, sont des receuils d’hymnes et de formules qui étaient récités lors des complexes rituels de sacrifice qui étaient pratiqués par le peuple indo-européen qui s’est installé en Inde durant cette époque. Le Védisme était une religion nettement polythéiste, et la plupart des chants des Védas sont adressés à tout un panthéon de dieux tels Indra, Agni, Varuna et Soma, tous devenus des divinités très mineures dans l’hindouisme d’aujourd’hui.

Il est donc clair qu’une large portion des Védas a perdu beaucoup d’importance dans la théologie hindoue. Toutefois à certains endroits dans les Védas on semble accepter que derrière tous les dieux, il y a une réalité Une, souvent nommée brahman. Ce sont ces parties, plus philosophiques et spéculatives et nommées Upanishads, qui ont formé tout le système de pensée de l’hindouisme moderne. C’est à partir de la pensée upanishadique que se sont développés les textes ultérieurs tels la Bhagavad Gita et les Puranas. Le Nasadiya, bien que ne faisant pas partie formellement des Upanishads, contient des idées sembables et a eu une influence presque aussi importante. Le voilà donc, dans toute sa déroutante beauté.

Ni le non-être l’existait alors, ni l’être.
Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà.
Qu’est-ce qui se mouvait puissamment. Où? Sous la garde de qui?
Était-ce de l’eau, insondablement profonde?


Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort;
il n’y avait pas de signe distinctif pour la nuit ou le jour.
L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il n’y ait de souffle.
En dehors de cela, il n’existait rien d’autre.


À l’origine, les ténèbres étaient cachées par les ténèbres.
Cet univers n’était qu’onde indistincte.
Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance,
principe vide et recouvert de vacuité.


Le Désir en fut le développement originel,
Désir qui a été la semence première de la conscience.
Enquêtant en eux-même, les poètes surent découvrir
par leur réflexion le lien de l’être dans le non-être.


Leur corde était tendue en transversale.
Qu’est-ce qui était au-dessous? Qu’est-ce qui était au-dessus?
Il y avait des donneurs de semence, il y avait des pouvoirs.
L’élan spontané était en bas, le don de soi était en haut.


Qui sait en vérité, qui pourrait ici proclamer
d’où est née, d’où vient cette création secondaire?
Les dieux (sont nés) après par la création secondaire de notre monde.
Mais qui sait d’où celle-ci même est issue?


Cette création secondaire, d’où elle est issue,
si elle a fait l’objet ou non d’une institution,
celui qui surveille ce monde au plus haut firmament le sait seul,
à moins qu’il ne le sache pas?

- Nasadiya Sukta, traduction de Louis Renou

Quels étranges parallèles entre le Nasadiya et la Genèse! La présence d’une eau primordiale, d’un chaos où n’existent pas de distinctions. Et surtout, le souffle de Dieu qui traverse tout cela. Toutefois, au-delà de ces rapprochements, la tonalité et la visée des deux textes est totalement différente. Là où la Génèse laisse un silence prudent sur ce qui était avant le début de la création, le Nasadiya nous bombarde de questions et d’affirmations paradoxales étourdissantes.

Les paradoxes et les questions ont pour seul but de faire comprendre au lecteur que l’univers était à l’origine de nature non-duelle. Ni terre ni air, ni existence ni non-existence, ni mort ni non-mort. N’existait que la respiration de Dieu, et encore là, on précise qu’il respirait sans souffle, voulant jusqu’à éviter la dualité inspiration-expiration. Puis, dit-on, deux chose sont survenues qui ont semé les germe de la création : le kama (désir) ainsi que le tapas, ici traduit par ardeur, mais qui représente une ardeur telle qu’elle dégage une énergie et une chaleur immenses. La mention de désir comme source de toute activité mentale est très centrale dans la philosophie orientale, l’esprit « créant » et s’attachant le monde pour satisfaire ses cravings! Autant le bouddhisme que l’hindouisme associent souvent le désir à la douleur et l’absence de désir à la libération, mais ici le désir n’est associé à aucune image négative. Mais le texte reste tout de même très discret sur la nature de ce désir, ni de qui il provient. Quand au tapas, il fait penser à l’énergie primodiale qui était là au moment du Big Bang… mais une énergie qui est le résultat d’une volonté extrêmement puissante!

Dans ce bref moment où ces deux éléments sont entrés en contact, une corde a été placée dans l’univers, symbole de l’apparition de la dualité. Mais les Poètes, les Rishis, ces sages qui pour les hindous furent les premiers humain à recevoir la révélation divine, en regardant en eux ont vu qu’il ne s’agit que d’une corde, un mince filament et que la réalité derrière est bien au-delà de nos notions d’existence ou de non-existence.

Les derniers vers du Nasadiya sont époustouflants, ils sont une abîme sans fond et une provocation envers toutes nos idées sur la Création. Et si, comme se demande l’hymne, Dieu lui-même ne savait ni comment ni pourquoi la Création était venue? La notion d'un Dieu Créateur et en contrôle est très fortement ancrée dans nos dogmes religieux, elle a rarement été remise en question dans nos spiritualités occidentales... Et si la Création avait été un accident?

Cette simple idée provoquante a produit des livres et des livres de commentaires. Et pourtant, c'est dans un petit roman publié en 2001 que j'ai trouvé certaines des hypothèses les plus intéressantes sur le sujet!

Dans mon prochain post, un mythe contemporain de la Création.

Vous vous demandez ce que Dilbert fait ici?

Friday, February 11, 2011

Commencements: la Génèse

Les mythes de création sont un des plus puissants moteurs du discours théologique, eux qui proposent une réponse sous forme symbolique à des questions fondamentales. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Pourquoi sommes-nous là? Qui est derrière tout ça? Dans mes prochains posts, je vous propose d’en lire (ou relire)quelques-uns parmi les plus marquants du patrimoine religieux humain.

Le premier texte que je vais présenter est le premier récit de création du livre de la Genèse, celui du chapitre 1. Premier, me direz-vous? Eh oui, car si vous prenez la peine de lire attentivement, vous remarquerez qu’à partir de 2 :4, il y a une cassure du récit, et on repart avec la création du ciel et de la terre. Mais dans cette deuxième reprise du récit, les événements sont différents et ne surviennent pas dans le même ordre.

Ainsi, le début de la Genèse est en fait l’adjonction de deux récits qui étaient à l’origine distinct : le récit des « sept jours » et le récit du « Jardin d’Eden ».  En fait, la Torah entière est un amalgame de récits provenant de quatre sources différentes, avec chacune leur particularité littéraire et théologique, qui ont été réunis un peu après le retour d’exil de Babylone. Le premier récit que je vous présente provient de la source sacerdotale, datée d’environ 500 ans avant J-C, qui insistait énormément sur le caractère sacré des institutions de la prêtrise et du Temple. La notion de sainteté est très importante dans cette source, et cette notion sainteté se répercute dans le narratif de la création où chaque élément créé est qualifié de bon.

Bien entendu, et malheureusement, plusieurs groupes religieux prennent ce texte à la lettre, ce qui a créé une contre-réaction assez forte de certains scientifiques qui y voient une nuisance dans le chemin de la théorie de l’évolution. Personnellement, tout en acceptant qu’il ne s’agit que d’un mythe, je reconnais que ce texte, écrit il y a 2500 ans, contient d’étonnantes intuitions scientifiques. On y voit des indices du Big Bang et de l’évolution de la matière et des espèces. Mais jugez-en par vous-mêmes.

Puisqu’il s’agit d’un texte que vous avez probablement lu et relu, je vous offre ici la décapante et très rude traduction d’André Chouraqui, question de le redécouvrir. Elohims est bien entendu un des noms de Dieu… au pluriel de surcroit. Dieux? On suppose la plupart du temps qu’il s’agit d’un pluriel de noblesse…

ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre,
la terre était tohu-et-bohu,
une ténèbre sur les faces de l’abîme,
mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
Elohîms dit: « Une lumière sera. »
Et c’est une lumière.
Elohîms voit la lumière: quel bien !
Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
Elohîms crie à la lumière: « Jour. »
À la ténèbre il avait crié: « Nuit. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour un.

Elohîms dit: « Un plafond sera au milieu des eaux:
il est pour séparer entre les eaux et entre les eaux. »
Elohîms fait le plafond.
Il sépare les eaux sous le plafond des eaux sur le plafond.
Et c’est ainsi.
Elohîms crie au plafond: « Ciels. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour deuxième.

Elohîms dit: « Les eaux s’aligneront sous les ciels
vers un lieu unique, le sec sera vu. »
Et c’est ainsi.
Elohîms crie au sec: « Terre. »
À l’alignement des eaux, il avait crié: « Mers. »
Elohîms voit: quel bien !
Elohîms dit: « La terre gazonnera du gazon,
herbe semant semence,
arbre-fruit faisant fruit pour son espèce,
dont la semence est en lui sur la terre. »
Et c’est ainsi.
La terre fait sortir le gazon,
herbe semant semence, pour son espèce
et arbre faisant fruit, dont la semence est en lui, pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien !
Et c’est un soir et c’est un matin: jour troisième.

Elohîms dit: « Des lustres seront au plafond des ciels,
pour séparer le jour de la nuit.
Ils sont pour les signes, les rendez-vous, les jours et les ans.
Ce sont des lustres au plafond des ciels pour illuminer sur la terre. »
Et c’est ainsi.
Elohîms fait les deux grands lustres,
le grand lustre pour le gouvernement du jour,
le petit lustre pour le gouvernement de la nuit et les étoiles.
Elohîms les donne au plafond des ciels pour illuminer sur la terre,
pour gouverner le jour et la nuit,
et pour séparer la lumière de la ténèbre.
Elohîms voit: quel bien !
Et c’est un soir et c’est un matin: jour quatrième.

Elohîms dit: « Les eaux foisonneront d’une foison d’êtres vivants,
le volatile volera sur la terre, sur les faces du plafond des ciels. »
Elohîms crée les grands crocodiles, tous les êtres vivants, rampants,
dont ont foisonné les eaux pour leurs espèces,
et tout volatile ailé pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien !
Elohîms les bénit pour dire:
« Fructifiez, multipliez, emplissez les eaux dans les mers,
le volatile se multipliera sur terre. »
Et c’est un soir et c’est un matin: jour cinquième.

Elohîms dit: « La terre fera sortir l’être vivant pour son espèce,
bête, reptile, le vivant de la terre pour son espèce. »
Et c’est ainsi.
Elohîms fait le vivant de la terre pour son espèce,
la bête pour son espèce et tout reptile de la glèbe pour son espèce.
Elohîms voit: quel bien ! 
Elohîms dit: « Nous ferons Adâm - le Glébeux -
à notre réplique, selon notre ressemblance.
Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels,
la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre. »
Elohîms crée le glébeux à sa réplique,
à la réplique d’Elohîms, il le crée,
mâle et femelle, il les crée.
Elohîms les bénit. Elohîms leur dit:
« Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la.
Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels,
tout vivant qui rampe sur la terre. »
Elohîms dit: « Voici, je vous ai donné
toute l’herbe semant semence, sur les faces de toute la terre,
et tout l’arbre avec en lui fruit d’arbre, semant semence:
pour vous il sera à manger.
Pour tout vivant de la terre, pour tout volatile des ciels,
pour tout reptile sur la terre, avec en lui être vivant,
toute verdure d’herbe sera à manger. »
Et c’est ainsi.
Elohîms voit tout ce qu’il avait fait, et voici: un bien intense.
Et c’est un soir et c’est un matin: jour sixième.

Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice.
Elohîms achève au jour septième son ouvrage qu’il avait fait.
Il chôme, le jour septième, de tout son ouvrage qu’il avait fait.
Elohîms bénit le jour septième, il le consacre:
oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Elohîms crée pour faire.

Tout d’abord, il faut savoir que le texte hébreux, contrairement aux traductions classiques en langues occidentales, ne laisse pas entendre qu’il y a eu un commencement comme tel. Notez l’imparfait utilisé par Chouraqui, comme si la création était un mouvement qui n’avait pas un début temporel fixe. Le caractère qui débute le récit est l’équivalent hébreux du B (beth). Le choix de se caractère est délibéré, car le B n’est pas le début de l’alphabet… Qu’y avait-il avant la création, quel est le A? Le texte hébreux rappelle ainsi au lecteur qu’il est inutile, voir même téméraire, de spéculer sur ce qu’il y avait avant le début de la création.

Tout ce qu’on en sait, c’est qu’il y avait une sorte de chaos primitif. Mais pas un chaos dans le sens bordel, mais plutôt dans le sens où, dans cet état, il était impossible de distinguer quoi que ce soit.  Et ainsi, le récit de la création est en fait le récit de l’apparition de divers dualismes, issus du non-dualisme originel : lumière-ténèbres, ciel-terre, ainsi que les distinctions entre divers ordre d’existence (minéral, végétal, animal, humain). Et cette apparition de dualismes est à chaque fois qualifiée de bonne! Dans les dents, ceux qui voudraient nous faire croire que le monde est une désert de souffrance qu'il faut détester! Oui, la création est bonne, et si la Bible commence avec cette affirmation, il faut en comprendre qu’il s’agit d’un commandement primodial que Dieu envoie : aimez ma création.

Et puis, il y a cette fameuse affirmation, peut-être la plus importante et provoquante de la Bible en entier : «Nous ferons Adâm - le Glébeux -  à notre réplique, selon notre ressemblance. » Nous sommes répliques de Dieu, nous somme son image, sa projection, son incarnation dans cette création. Il ne nous a pas seulement donné la vie, il ne nous a pas seulement façonnés; il s’est déversés en nous, son Regard est devenu notre regard, son Souffle est devenu sont souffle. Dieu n’a pas créé le monde pour l’observer de haut. Il a créé le monde pour y bouger, pour y respirer, pour y être Dieu non pas pour nous mais par nous.

Le premier chapitre de la Génèse est un résumé de l’histoire entière de l’univers, une texte qui a sa fin en lui-même. En effet, comme l’œuvre de Dieu dans ce monde est très loin d’être terminée, je vois ce fameux septième jour comme un moment à la fois à venir et à la fois hors de tout temps. Un repos qui existe à la fois dans ce futur où la création retournera, indivisée, en Dieu. Mais aussi un repos qui est accessible à tout moment, comme un saut vers une tranquillité intemporelle qui est en fait notre état naturel et originel.

Nous sommes au sixième jour, ils reste encore tant à créer, à construire. Et, comme le dit la traduction Chouraqui, c’est intensément bon!

Prochain post: le Nasadiya Sukta, hymne hindou de la création

Tuesday, February 1, 2011

Jonas après la baleine

Lorsque nous nous étions quittés, Jonas avait été avalé par la baleine et avait son grand moment d’illumination et sa belle prière. Pour bien des gens, l’histoire se termine ici et le reste n’est qu’appendice. Pour moi, la deuxième partie du livre est la plus intéressante! Mais avant, j’aimerais revenir sur le verset 2 : 9. La traduction que j’ai donnée l’autre jour, celle de la Français Courant, disait ceci :

Ceux qui rendent un culte aux faux dieux perdent toute chance de salut.

Or, en lisant une autre traduction hier, la Nouvelle Segond, quelle fut ma surprise de voir ceci

Ceux qui s'attachent à des futilités illusoires  éloignent d'eux la fidélité.

Que c’est beau, et comme cette façon de voir le verset garde toute son actualité aujourd’hui! Encore une fois cette traduction me renverse. Par curiosité, voici d’autres traductions. On peut voir que c’est un passage qui est loin de faire l’unanimité! Que j’aimerais pouvoir comprendre l’original hébreux!

Les fanatiques des vaines idoles, qu'ils renoncent à leur dévotion ! (TOB, qui en fait une injonction)

Ceux qui s'attachent à de vaines idoles éloignent d'eux la bienveillance. (Colombe)

Les conservateurs de fumées vaines abandonnent leur chérissement. (Chouraqui, quelle étrange beauté rappelant le Qohélet)

 Ceux qui révèrent des idoles menteuses, ceux-là font bon marché de leur salut. (Rabbinat)

La palme de la traduction la plus étrange revient, comme à l’habitude, à la Bayard :

Ceux qui s’attachent aux souffles des vanités peuvent-ils abandonner leurs liens incestueux?

Mais bon, assez de chichi, retournons à notre pauvre Jonas! Alors voilà, Dieu force le poisson à recracher son repas et relance son ordre à Jonas « Va dire aux gens de Ninive qu’ils en ont pour 40 jours à vivre ». Cette fois, Jonas est déterminé : « bwahah, j’y vais cette fois leur dire à ces connards qu’il vont y passer » se dit-il sûrement. Alors voilà donc notre Jonas en train de parcourir la ville en criant la sentence de Dieu. Il s’attend probablement à ne pas être écouté, ou bien à se faire rire de lui ou même tapper dessus. Mais voilà, l’histoire prend une tournure toute autre.

Ninive
Les habitants de la ville prirent au sérieux la parole de Dieu. Ils décidèrent de jeûner et chacun, du plus riche au plus pauvre, revêtit des étoffes de deuil. Quand le roi de Ninive fut informé de ce qui se passait, il descendit de son trône, ôta son habit royal, se couvrit d'une étoffe de deuil et s'assit sur de la cendre. Puis il fit proclamer dans la ville ce décret : « Par ordre du roi et de ses ministres, il est interdit aux hommes et au gros et petit bétail de manger quoi que ce soit et de boire. Hommes et bêtes doivent être couverts d'étoffes de deuil. Que chacun appelle Dieu au secours de toutes ses forces, que chacun renonce à ses mauvaises actions et à la violence qui colle à ses mains. Peut-être qu'ainsi Dieu reviendra sur sa décision, renoncera à sa grande colère et ne nous fera pas mourir. »  Dieu vit comment les Ninivites réagissaient : il constata qu'ils renonçaient à leurs mauvaises actions. Il revint alors sur sa décision et n'accomplit pas le malheur dont il les avait menacés.

Suite à cette décision de Dieu, Jonas est pris d’une colère énorme. Il quitte la ville en trombe et va se construire une cabane afin d’observer ce qui s’y passera maintenant. Sa colère et sa honte sont si grandes qu’il demande même à Dieu de lui donner la mort, sur le champ.

« Ah, Seigneur, voilà bien ce que je craignais lorsque j'étais encore dans mon pays et c'est pourquoi je me suis dépêché de fuir vers Tarsis. Je savais que tu es un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d'une immense bonté, toujours prêt à revenir sur tes menaces. Eh bien, Seigneur, laisse-moi mourir, car je préfère la mort à la vie.

Combien souvent restons-nous perplexe devant la justice de Dieu? Nous savons que Dieu est Amour, et nous l’aimons pour cela… et pourtant combien de fois souhaiterions nous qu’il agisse selon nos attentes et nos standards? N'y a-t-il pas une petite voix qui nous dis, lorsqu'on lit ce passage, que Dieu est bien bonasse de laisser Ninive s'en sortir si facilement? Le patron de Norbourg s'excuse publiquement à ceux qu'il a fraudés, il plaide coupable, et nous on garde notre coeur de pierre et on lui crache presque dessus. C'est de l'hypocrisie ces excuses, qu'on se dit. Il veut se sauver la face, un tel type ne peut pas vraiment se repentir. Qu'il croupisse en prison... longtemps!

Il est si difficile parfois d'accepter que Dieu est pur Amour. Amour si fort que sa grâce s'obtient en un instant.

Mais plutôt que de lui expliquer le pourquoi de sa décision, ce qui serait une perte de temps parce Jonas n’est pas en humeur pour écouter, Dieu y va d’une parabole vivante. Il fait pousser, dans l’espace d’une nuit, un beau grand arbre (un ricin) au-dessus de la cabane de Jonas; celui-ci lui procure de l’ombre, chose bien précieuse dans le Moyen-orient. Jonas en est bien heureux, et il passe la journée bien étendu sous lui. Ce simple petit arbre, ce simple petit confort, lui fait oublier sa colère et ses soucis… Pour lui, l’arbre devient son seul réconfort. Mais s'il le protège de la chaleur brûlante, symbole de l'inconfort spirituel, il lui cache aussi la lumière, symbole du Divin.

Et puis paf, la nuit suivante, Dieu fait venir un ver qui ronge et tue l’arbre presque instantanément. Plutôt que de se réveiller dans le confort, Jonas se réveille sous la lumière brûlante du Soleil; il est de nouveau face à face avec Dieu Lumière. L’amertume de Jonas est encore plus puissante qu’avant l’arrivée de l’arbre. En effet, il aimait cet arbre, et sa perte le déchire énormément. Alors, encore, Jonas demande à mourir. Et Dieu lui répond cette phrase choc:

Le SEIGNEUR dit : Toi, tu as pitié du ricin qui ne t'a coûté aucune peine et que tu n'as pas fait grandir, qui est né en une nuit et qui a disparu en une nuit. Et moi, je n'aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille humains qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes en grand nombre !

Le livre se termine sur cette dernière réplique. Qui somme nous, en effet? Qui somme nous pour vouloir nous substituer à Dieu, pour qui chaque être humain est un enfant précieux qu'il a créé, à son image. Il est attaché profondément à chacun d'entre nous. Alors imaginez des milliers, des millions, des milliards! Et il nous connait, il sait que nous ne savons pas ce que nous faisons, que de dinstinguer le bien du mal est souvent au-delà de nos capacités. C'est pourquoi il est si généreux de sa compassion.

On ne saura jamais ce qu'il arrive à Jonas par la suite. Cette histoire n'est que le début de sa relation avec Dieu. Cette relation est en fait un peu le chemin que peut emprunter un individu qui développe et approfondi sa relation avec Dieu. Voyez les étapes que Jonas a traversées:

1. Absence de Dieu dans le quotidien.
2. Appel de Dieu, qui demande un changement de vie et demande qu'on applique sa justice.
3. Fuite de cet appel à cause de son exigence
4. Isolation, sommeil. Vivre en se bouchant les oreilles même si dans le fond, on connait la vérité (contrairement au #1 où on ne la connaissait pas!).
5. Événement qui provoque l’éveil.
6. Honte mais également gratitude face à Dieu.
7. Accomplir la volonté de Dieu.
8. Accomplir la volonté de Dieu, mais avec tant de zèle qu’on commence à y mêler notre propre volonté.
9. Incompréhension, colère face à la réponse divine. Incompatibilité entre les standards humains et les standards divins.
10. Retourner mettre sa joie dans le confort matériel
11. Nouvel appel de Dieu, nouvel événement d’éveil, etc..

Et ainsi de suite et ainsi de suite. L’être humain, comme Jonas, a la tête bien dure! Il aura la chance de vivre d'innombrable éveils et d'innombrable colère dans sa Grande Danse avec Lui!


Pfff, Jonas... c'est moi la vedette!