Saturday, October 19, 2013

Le mot Yoga

Probablement un de mes mots favoris dans le vocabulaire spirituelle. Et une preuve que l'analyse linguistique des mots utilisées dans le domaine religieux peut apporter un nouveau sens à nos pratiques.

Je vous parle de ce mot car il en sera question lors de mon prochain billet sur l'histoire de l'hindouisme. Nul besoin de vous dire que c'est le mot hindou le plus connu. En fait, bien des gens pratiquent une forme de yoga sans même savoir qu'il s'agit d'un mot religieux!

Le mot yoga vient de la même racine indo-européenne que les mots anglais "yoke" et français "joug". Dans son sens premier, il s'agit de l'apparat qu'on mettait sur le boeuf pour l'attacher à un chariot ou une machinerie.


Dans son sens imagé, il s'agit de lier son être entier à une autorité supérieure, Dieu ou un maître spirituel, afin d'atteindre une réalisation spirituelle. La Bhagavad-Gita reconnait quatres voie permettant cette union:


  • Karma Yoga: la voie de l'action désintéressée. Agir pour le bien sans rien attendre en retour.
  • Bhakti Yoga: la voie de la dévotion. Aimer Dieu profondément, le chanter et le servir.
  • Jnana Yoga: la voie de la connaissance. Savoir faire la différence entre le Réel et les illusions.
  • Raja Yoga: la voie de la méditation. Avoir un contrôle absolu sur son esprit.


Une pratique spirituelle complète inclut un peu de ces quatres voies, tout en reconnaissant qu'il y en a une qui nous convient toujours un peu plus que les autres!

L'hindouisme n'est pas la seule religion à utiliser l'image du joug

Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du repos pour vos âmes.  Car mon joug est doux, et mon fardeau léger. 
- Jésus dans l'évangile de Matthieu.

D'ailleurs en fouillant sur le mot grec pour joug, "zugos", j'ai constaté qu'il y a un autre mot en français ayant la même origine linguistique que yoga, soit le mot zygote. Qu'est-ce que le zygote? C'est la cellule unique qui est produite par la fusion d'un spermatozoide et d'un ovule. Cellule unique qui se multiplie ensuite pour créer une nouvelle vie.

Jolie image hein?

Friday, October 11, 2013

Une brève histoire de l'hindouisme II - les Upanishads

Aux 6e et 5e siècles avant notre ère, la religion védique doit faire face au même défi que connait presque au même momentune autre religion située un peu plus à l'ouest, le judaïsme. En effet, elle devient l'appanage d'une élite de prêtres qui sont les seuls à pouvoir lire les samhitas, et d'une élite de seigneurs qui sont les seuls à pouvoir se payer des sacrifices. C'est dans cette atmosphère injuste et morose que vont prendre naissances les grandes religions indiennes. Pour Bouddha et Mahavira, fondateurs du bouddhisme et du jainisme, la solution passera nécessairement par une cassure avec l'héritage védique et ses écritures. Mais pour d'autres, il n'est pas nécessaire de se débarasser des écrits védiques, il faut simplement les interpréter d'une façon plus spirituelle. C'est véritablement à cette époque qu'appaîtra la 4e et dernière pièce des Vedas: les Upanishads.

Du côté des juifs, ce sont les prophètes du Premier Testament qui vont accomplir en premier le travail de réinterprétation des écriture. "Dieu a horreur de vos hypocrisies religieuses, aidez plutôt la veuve et l'orphelin" crient-ils dans les rues. À leurs yeux, le sens véritable et profond de la Torah est d'abord et avant tout un idéal d'éthique et de justice pour le peuple d'Israel. En Inde, ce sont les rishis qui s'attèleront à cette tâche, en relisant les samhitas et pratiques rituelles védique au regards des expériences directes qu'ils ont eu de la Réalité.  L'exemple parfait nous vient du plus ancien upanishad, la Brhadaranyaka, qui dès ses premières lignes réinterprète le sacrifice du cheval (qui était généralement réservé à l'aristocratie) comme étant une illustration de l'univers entier. Chaque partie du cheval devient associé à un élément de l'univers, et son sacrifice représente Brahman, c'est à dire l'Ultime Réalité, qui sacrifie son unicité pour devenir multiple. D'ailleurs, les upanishads comportent un nombre incroyable de mythes de création différents. Leur but n'est pas de se contredire, mais d'illustrer et d'explorer de façons différentes cet ultime mystère: comment l'état originel d'Unité a pu en devenir un de multiplicité?

La période d'écriture des Upanishads s'étendra sur plusieurs siècles, mais seuls les plus anciens parmi ceux-ci occupent  une place importante. Et de ces anciennes Upanishads ont été tirés quatre versets, appelés les Mahavakyas, qui dit-on résume l'essence des Vedas. Je vous laisse les lire et y réfléchir par vous-même, mais j'y reviendrai assez vite:

Tu es Cela
Le Soi est Brahman
La conscience est Brahman
Je suis Brahman

Plusieurs upanishads montrent de claires influences bouddhistes, et certains sutras bouddhistes montrent des idées très proches également. En fait, on croit aujourd'hui que la séparation entre l'hindouisme et le bouddhisme ne s'est pas fait brusquement, mais plutôt à travers plusieurs siècles, les théologiens et philosophes débattant et empruntant les idées des uns et des autres.

Mon prochain billet parlera de toute l'effervescence philosophique qui a marqué cette période de l'Inde.



Tuesday, October 8, 2013

Une brève histoire de l'hindouisme I - La religion védique

Vous aurez peut-être deviné que j'ai une passion énorme pour la religion hindoue. Oh, je ne suis pas hindoue moi-même (en fait je ne me réclame pas d'une religion), mais l'hindouisme, en particulier le vedanta, est l'une des deux traditions religieuses qui guide ma vie avec le christianisme. Et puisque je vais beaucoup parler de l'hindouisme et du vedanta dans ce blog j'ai pensé qu'en faire une brève histoire (très simplifiée) aurait son utilité. Avertissement par contre: l'histoire que je vais raconter l'est du point de vue d'une personne extérieure à cette culture, avec tout le biais que ça peux impliquer.

Le début de l'histoire indienne est caractérisée par le contact entre deux civilization. En effet, des nomades venus de Russie et de Turquie, que nous appelerons les Aryens, s'installe progressivement dans la vallée du fleuve Indus, où se trouve déjà une civilisation urbaine et relativement avancée. On a longtemps cru qu'il y avait eu conquête de la part des Aryens, mais ce fut plutôt une longue période d'acclimatation des deux nations qui a eu lieu, la civilisation de l'Indus s'éteignant graduellement pour des raisons climatiques et la civilisation aryenne prenant le relais. C'est cette rencontre qui a donnée naissance à la nation indienne.

Côté religion, chacune des deux nations a aussi apporté sa contribution à ce qu'on appelle aujourd'hui la religion védique (ou le brahmanisme) qui est l'ancêtre de l'hindouisme. C'était une religion dominé par un panthéon de dieux reliés aux forces de la nature, tel Indra (orage), Agni (feu) et Varuna (eau). Le rituel de sacrifice occupait une grande place, et ces rituels étaient accompagnés de chants en sanskrit et de la consommation d'un breuvage psychotrope nommé soma. C'est un receuil de ces chants rituels, les samhitas, qui forme la première partie des Vedas, les écritures considérées comme révélées par tous les hindous.

Indra


La plupart des samhitas sont simplement des hymnes à la gloire des dieux, relatant leur puissance et leurs exploits, et demandant leur faveur. Au sommet de ce panthéon se trouve Indra, roi des dieux, qui a acquis ce titre en défaisant le terrible dragon Vritra, qui retenait prisonnière toute l'eau de la terre. Voici un exemple d'hymne de glorification trouvé dans le Rigveda:

INDRA, great in his power and might, and like Parjanya rich in rain,Is magnified by Vatsa's lauds.When the priests, strengthening the Son of Holy Law, present their gifts,Singers with Order's hymn of praiser.Since Kaṇvas with their lauds have made Indra complete the sacrifice.Words are their own appropriate arms.Before his hot displeasure all the peoples, all the men, bow down,As rivers bow them to the sea.This power of his shone brightly forth when Indra brought together, likeA skin, the worlds of heaven and earth.The fiercely-moving Vṛtra's head he severed with his thunderbolt,His mighty hundred-knotted bolt.Here are-we sing them loudly forth-our thoughts among-the best of songs.Even lightnings like the blaze of fire.When bidden thoughts, spontaneously advancing, glow, and with the streamOf sacrifice the Kaṇvas shine.Indra, may we obtain that wealth in horses and in herds of cows,And prayer that may be noticed first. 

- Rig Veda, traduction  de Griffiths

Toutefois, parmi tout ces hymnes certains abordent des sujets beaucoup plus mystiques et cosmogonique. Un des plus célèbre est le Purusha Sukta, où la création de l'univers est associée au sacrifice de l'Homme Primordial, dont les parties du corps deviennent les éléments de l'univers. Mon hymne védique favori reste toutefois le très mystérieux Nasadiya Sukta, où on voit apparaître l'idée d'un Dieu unique qui précède et surpasse Indra et les autres dieux.

Ni le non-être l’existait alors, ni l’être. Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà. Qu’est-ce qui se mouvait puissamment. Où? Sous la garde de qui? Était-ce de l’eau, insondablement profonde? 
Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort; il n’y avait pas de signe distinctif pour la nuit ou le jour. L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il n’y ait de souffle. En dehors de cela, il n’existait rien d’autre. 
À l’origine, les ténèbres étaient cachées par les ténèbres. Cet univers n’était qu’onde indistincte. Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance, principe vide et recouvert de vacuité. 
Le Désir en fut le développement originel, Désir qui a été la semence première de la conscience. Enquêtant en eux-même, les poètes surent découvrir par leur réflexion le lien de l’être dans le non-être. 
Leur corde était tendue en transversale. Qu’est-ce qui était au-dessous? Qu’est-ce qui était au-dessus? Il y avait des donneurs de semence, il y avait des pouvoirs. L’élan spontané était en bas, le don de soi était en haut. 
Qui sait en vérité, qui pourrait ici proclamer d’où est née, d’où vient cette création secondaire? Les dieux (sont nés) après par la création secondaire de notre monde. Mais qui sait d’où celle-ci même est issue? 
Cette création secondaire, d’où elle est issue, si elle a fait l’objet ou non d’une institution, celui qui surveille ce monde au plus haut firmament le sait seul, à moins qu’il ne le sache pas? 
Nasadiya Sukta, traduction de Louis Renou

La seconde partie des Vedas, les brahamanas, consiste en une série d'instructions adressées aux prêtres pour le bon déroulement des sacrifices. C'est dans la troisième partie des Veda, les Aranyakas qu'on commencé à apparaître les premières traces de ce qu'allait devenir l'hindouisme, car ils sont des instructions pour la vie monastique. Toutefois, c'est véritablement la révélation de la 4e partie des Veda, les Upanishads, qui allait marquer le véritable début de la religion à proprement dire "hindoue".

À suivre!




Monday, October 7, 2013

Le sanskrit, c'est dur...

Je disais que le sanskrit était une langue bien difficile. Voici pourquoi.

1. Le sanskrit accorde ses mots d'une multitude de façons

Nous sommes habitués, en français, à accorder nos noms selon deux facteurs: le genre (masculin ou féminin) et le nombre (singulier ou pluriel). On a ainsi 4 possibilités pour un mot, exemple: ami, amie, amis, amies. Ce qui est un véritable casse-tête pour nos amis anglophones qui sont habitués à seulement à accorder selon le nombre: friends, friend.

En sanskrit, il y a tout d'abord trois genres: masculin, féminin et neutre. Il y a aussi trois nombres: singulier, dual et pluriel. Oui oui, quand on parle de deux choses, ça prend un terminaison particulière!

Mais ce n'est pas tout! Chaque nom s'accorde aussi selon le rôle qu'il joue dans la phrase. C'est à dire que si le mot "ami" est le complément d'objet direct, le complément d'object indirect, le sujet du verbe, un complément circonstanciel, un complément du nom, etc... Il prendra un terminaison différente. En fait, il y a 8 fonctions différentes que peut prendre un nom avec 3 nombres, pour un total de 24 terminaisons différentes. Et pour un adjectif, qui peux aussi changer de genre, on passe à 72 terminaisons différentes. Sans compter que les terminaisons changent selon que le mot finit par a, i, u ou une consonne. Ouf....

2. Le sanskrit s'écrit au son

Puisque le but premier du sanskrit était la précision sonore pour les rituels, sa grammaire comporte tout un tas de complications pour faire en sorte que ce qui est écrit est exactement ce qui est dit. Tout d'abord, son alphabet compte près de 50 lettres, chacune représentant un son très précis. par exemple, il y a 4 "t" différents, selon la position de la langue et la force de l'air expiré. Le sens d'un mot peut changer si on ne met pas le bon t.



Mais surtout, les liaisons entre les mots doivent être systématiquement présentes à l'écrit. Par exemple, en français, quand on dit "des beaux amis", on ne dit pas "des beauXamis" mais "des beauZamis". Si le français était comme le sanskrit, il faudrait alors écrire "des beauz amis". Ces changements sont appelés "sandhi" et il y en a un tas à mémoriser si on veux pouvoir reconnaître les mots dans une phrase.

3. Le sanskrit contient des mots composés absolument effrayants!

On a plusieurs mots composés en français. Par exemple, on sait qu'un tire-bouchon, c'est une bébelle qui tire les bouchons. En collant ces deux mots on en crée un nouveau. Le sanskrit abuse parfois de ce genre de composés, au point où il n'est pas rare de voir bien plus que deux mots être apposés, et ce sans trait-d'union pour aider la lecture. Ça fait des mots très longs, démontrant que le sanskrit est vraiment une "pleindaccordsécriteausonaveclongmotslangue".



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Le sanskrit reste une foutue belle langue et sa complexité fait de son apprentissage le genre d'exercice intellectuel qui m'allume!

Sunday, October 6, 2013

Le sanskrit

Alors ouais, j'essaie d'apprendre le sanskrit...

Bien sûr je le fais car je veux avoir une compréhension plus approfondie des textes hindou, mais aussi parce que j'aime apprendre les langues anciennes. J'ai quelques bases de grec, et l'hébreu biblique y passera probablement un jour.

Le Sanskrit est une langue de la famille Indo-Européenne, comme le sont le grec, le latin, le français, l'anglais, le perse et presque la totalité des langues parlées en Europe et dans le nord de l'Inde. Toutes ces langues descendent d'une langue très ancienne dont nous n'avons aucune trace mais dont l'existence a été reconstruite par les linguistes. Cette langue était parlée par un peuple de nomades provenant de la Russie et qui s'est étendu par migration autant vers l'ouest que l'est, laissant des traces profondes dans la langue, la culture et la religion de deux continents.

La migration des Indo-Européens

Ce peuple nomade est appelé aryen par les indien. Quand les Aryens sont arrivés en Inde, le pays était déjà occupé par un peuple très avancé qui avait déjà établi des villes avec des systèmes avancés d'aqueduc et une religion qu'on croit être l'ancêtre du shivaisme. La rencontre de ces deux peuples (probablement pacifique) a donné naissance à la civilization indienne et à sa religion unique.

Le sanskrit est donc la langue de la plus grande part littérature religieuse hindoue, du très anciens Rigveda


jusqu'aux puranas médiévales. Sanskrit signifie "bien formé", et était la langue réservée à la classe religieuse et aux rituels. Il n'a jamais été parlé à proprement dit par le peuple, qui parlait en "prakrit", c'est à dire en language vernaculaire. C'est une langue très technique qui se voulait très précise au niveau de la prononciation, car une parfaite maîtrise était nécessaire lors des rituels. Une seule fausse intonation pouvait rendre caduque un long et coûteux sacrifice! C'était aussi au départ une langue uniquement orale. C'est plus tard, surtout grâce aux travaux de Panini au 4e avant notre ère, que le sanskrit est devenu une langue formelle avec un alphabet et des règles strictes de grammaire. Mais malgré tout, cette langue a gardé des caractéristiques de son héritage "oral" qui en font une langue bien compliquée à apprendre!

À suivre...


Twameva mata

Voici une de mes prières favorites, que j'aime bien fredonner en marchant en revenant du travail. C'est en sanskrit.

त्वमेव माता  पिता त्वमेव ।
त्वमेव बन्धुश्च सखा त्वमेव ।
त्वमेव विद्या द्रविणम् त्वमेव ।
त्वमेव सर्वम् मम देव देव ॥


tvameva mata ca pita tvameva 
tvameva bandhush ca sakha tvameva 
tvameva vidya dravinam tvameva 
tvameva sarvam mama deva deva 


En gros ça se traduit ainsi:

Tu es mon seul père et ma seule mère
Tu es mon seul frère et mon seul ami
Tu es ma seul sagesse et ma seule richesse
Tu es tout pour moi, mon Dieu

C'est la dernière prière que nous chantons à la fin de chaque satsang au centre que je fréquente, tous ensemble debouts. C'est pour moi le moment fort de chaque célébration!


Friday, October 4, 2013

Gargi


Vous avez peut-être remarqué que mon pseudonyme a changé pour Gargi. Gargi est une philosophe et théologienne importante que est mentionnée dans un des plus anciens Upanishads, la Brhadaranyaka. Elle joue un rôle prépondérant dans un des épisodes les plus marquants de cette Upanishad, rôle suprenant quand on sait qu'il date d'une époque où les femmes avaient rarement le privilège de se dire philosophes.

Alors voilà l'histoire racontée dans la Brhadaranyaka...

Janaka, roi de Videha, est dans les écrits védique l'idéal du "roi-philosophe" qui règne avec comme priorité l'avancement spirituel des ses concitoyens. C'est pourquoi il organise un jour une sorte de "congrès" où sont invités les plus grands philosophes du monde. Il fait rassembler devant eux un millier de vaches et leur dit: "Maintenant je veux savoir qui est le plus sage d'entre vous. À celui-là ira ces vaches". Personne n'ose se déclarer le plus sage, sauf un, Yajnavalkya, qui s'avance et demande à son disciple d'amener les vaches chez lui. Cela enrage l'assemblée des sages. Quelle arrogance!

"Te prétendrais-tu le plus sage au monde noble Yajnavalkya?" demande le roi.

"Oh sûrement pas, majesté, mais je veux ces vaches tout de même!", répond le sage.

Alors les autres philosophes se proposent de le tester, chacun leur tour, avec un question. Si Yajnavalkya répond correctement à toutes les questions, il aura le troupeau.

Tour à tour, les éminents Aswala, Arthabagha, Ushasta, Kahola et Uddalaka posent leur question, et tous doivent s'avouer vaincus. Alors s'avance devant Yajnavalkya Gargi, seule femme de l'assemblée, et elle lui pose cette question.

"Yajnavalkya, si comme le disent les écritures tout ce monde est tissé sur l'eau, l'eau elle-même est tissée sur quoi?"

"L'eau est tissée sur l'air, Gargi!"

"Ha? Et l'air sur quoi?"

"Sur le ciel, Gargi"

"Et le ciel est tissé sur quoi, Yagnavalkya?"

Et Yagnavalkya continue de se jouer de Gargi en donnant toujours une autre réponse. Le ciel tissé sur le monde céleste, le monde céleste sur le Soleil, le soleil sur la Lune, la Lune sur les étoiles et ainsi de suite jusqu'à en conclure que tout cela est tissé sur Brahman.

"Et Brahman est tissé sur quoi?" demande Gargi, exaspérée.

Plutôt que de répondre, Yajnavalkya se moque un peu de sa collègue.

"Arrête de poser trop de questions, Gargi, ta tête va finir par exploser! Tu poses trop de questions sur une réalité qu'on ne devrait pas questionner."

Et sur ce, Gargi se retire en silence. Mais elle n'a pas retraité, non. Au contraire, elle bouille intérieurement et n'accepte pas que Yajnavalkya ait évadé sa question. Pendant qu'un autre philosophe vient se planter avec sa propre question, elle prépare une riposte.

Yajnavalkya et Gargi débattant

Et la voilà qui s'avance de nouveau, la seule parmi l'assemblée qui ose se frotter sérieusement à Yajnavalkya et à mettre en doute sa sagesse. J'imagine les chuchotement de stupeur des hommes de voir cette femme avoir plus de guts qu'eux!

"Chers collègues, laissez-moi poser à cet homme deux dernières questions. S'il y répond, toute cette masquarade pourra cesser car il aura prouvé qu'il est le plus sage et personne ne pourra le battre dans un débat."

L'assemblée accepte de donner à Yajnavalkya ce dernier défi.

"Yagnavalkya, telle une archère d'élite ayant en main deux flèches je m'élève pour te défier de deux questions. N'essaie pas de les éviter cette fois! La première question est celle-ci: tout ce qui est sur la terre, au-dessus et en-dessous, tout ce qui était dans le passé, est dans le présent et sera dans le futur, quelle est la chose qui pénètre tout celà?"

"Ce qui pénètre tout cela, c'est l'espace éthéré, Gargi."

On dirait que Yajnavalkya tente encore d'éviter la question! Gargi passe donc à sa deuxième question.

"Et cet espace éthéré, qu'est-ce qui le pénètre?"

Enfin, Yajnavalkya se décide de donner la véritable réponse qui est attendue.

"Tout celà est pénétré par l'Impérissable. Il n'est matériel ni subtil, ni petit ni gros, sans saveur, texture ou couleur. Il est sans oeil, sans oreille, sans voix et sans mental. Il est sans attaches, il ne consomme rien et rien ne peut le consommer. Sous la loi puissance de cet Impérissable, la terre et l'espace gardent leur distance, les jours, mois, les saisons et années conservent leur durée. Sous la loi de cet Impérissable, les fleuves coulent vers l'Est depuis l'Himalaya, d'autres vont vers l'ouest mais tous tiennent leur course. Sous la loi puissante de cet Impérissable, les gens font l'éloge de ceux qui donnent avec générosité et les dieux peuvent profiter des sacrifices. Quelqu'un qui dans ce monde pratique un acte religieux tout en ignorant cet Impérissable n'en tirera aucun fruit durable. Mais celui qui quitte ce monde après avoir connu cet Impérissable est un connaisseur de Brahman. Jamais on ne le voit, mais il est le voyant. Jamais on ne l'entend, mais il est l'auditeur. Jamais on ne peux y penser, mais il est le penseur. Jamais on ne le connait, mais lui est le connaisseur. En fait personne ne voit sauf lui, personne n'entend sauf lui, personne ne pense sauf lui, personne ne connait sauf lui. C'est par lui que l'espace ethéré est pénétré, Ô Gargi."

Alors Gargi se retourne vers l'assemblée et averti tous les sages présents: "Chers collègues, estimez vous chanceux d'avoir pu vous incliner devant cette homme, car nul ne pourra jamais le battre dans la science de Brahman." Et Gargi se retire dans le silence. Un sage, Shakalya, s'avance toutefois malgré l'avertissement de Gargi, afin de questionner Yajnavalkya... Les réponse qui lui sont données sont si puissantes qu'elles font littéralement exploser sa tête. Il aura payé de son impudence d'avoir ignoré le conseil de Gargi!

Et Yajnavalkya repart avec ses vaches!

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Alors voici qui est cette Gargi à qui je m'identifie. Tout d'abord par sa curiosité sans limite, par sa passion pour la quête de vérité, pour son intégrité, pour son obstination et son courage, mais surtout pour son humilité: elle a su admette qu'il y avait plus sage qu'elle.

J'espère que ce blog sera inspiré de son esprit.