Paroles de Qohèlèt, le fils de David, roi de Ieroushalaîm.
Fumée de fumées, dit Qohèlèt; fumée de fumées, tout est fumée.
Quel avantage pour l’humain en tout son labeur,
dont il a labeur sous le soleil ?
Un cycle va, un cycle vient; en pérennité la terre se dresse.
Le soleil brille, le soleil décline; à son lieu il aspire et brille là.
Il va au midi, il tourne au septentrion, il tourne,
tourne et va, le souffle, et retourne sur ses tours, le souffle.
Tous les torrents vont à la mer et la mer n’est pas pleine.
Au lieu où les torrents vont, là, ils retournent pour aller.
Toutes les paroles lassent, l’homme ne peut pas en parler.
L’oeil ne se rassasie pas de voir, l’oreille ne se remplit pas d’entendre.
Ce qui a été sera, ce qui s’est fait se fera:
il n’est rien de tout neuf sous le soleil.
Il est une parole qui dit: « Vois cela, c’est neuf ! »
C’était déjà dans les pérennités, c’était avant nous.
Pas de souvenirs des premiers, ni même des derniers qui seront,
pas de souvenir d’eux, ni de ceux qui seront en dernier.
Qohélet 1:1-11, traduction de l’auteur juif André Chouraqui
Ah, mon livre préféré de la Bible juive! Le Qohélèt, connu aussi comme l'Écclésiaste.Ce livre est placé dans la section des Écrits (Ketuvim), cet ensembles de textes poétiques et historique situé après la Loi (Torah) et les Prophètes (Neviim). Il fait également partie des cinq petits rouleaux (avec le Cantiques des Cantiques, Ruth, Esther et les Lamentations) qui sont lus lors de moment spéciaux durant l'année.
Le ton est donné dès les premières lignes : il ne s’agit pas ici d’un livre « feel good » dont le but est de remonter le moral spirituel d’une personne avec des belles phrases toutes cajolantes. Non, ici on a affaire à une présentation sèche et réaliste de la condition humaine, dans toute son ambiguité. Ce qui fait dire à certains que le Qohélèt est un livre « downer », et que son auteur ne devait pas bien bien aimer la vie. Je ne suis pas d’accord, je trouve qu’au contraire ce livre, aussi sec qu’il soit, est un guide précieux pour trouver la joie et le bonheur dans cette vie; mais une joie durable et sereine, située ailleurs que dans la quête du « devenir ».
La première chose que j’admire dans ce livre, c’est l’attitude d’expérimentateur de l’auteur (que la tradition associe au roi Salomon). Non content d’accepter les vérités reçues des Écritures ou de la tradition, celui-ci s’est placé dans diverses situations, a tenté différentes façons de vivre sa vie, a confronté plusieurs conceptions de la vie. Successivement, il a tenté la sagesse et l’austérité, la folie, il s’est lancé dans tous les plaisirs sensuels, s’est abandonné à son travail, etc…
La constatation de l’auteur suite à ses observations est déconcertante : la vie, de bien des façons, est une fumée, éphémère, fragile, une course après le vent dont l’être humain ne semble jamais se fatiguer. L’existence est présentée comme un phénomène cyclique, un perpétuel recommencement des mêmes futilités, parce que l’œil a toujours besoin de voir plus que ce qu’il voit, et l’oreille d’entendre plus que ce qu’elle entend. On n’est pas loin ici du concept oriental de samsara, la roue des naissances et des morts que notre attachement au matériel et aux plaisirs des sens fait tourner sans cesse. Mais le concept ici au-delà de l’individu, jusqu’à l’Histoire même qui n’est qu’un éternel recommencement. Et on oublie, immanquablement.
Un moment pour tout, un temps pour tout désir sous les ciels.
Un temps pour enfanter, un temps pour mourir.
Un temps pour planter, un temps pour extirper le plant.
Un temps pour tuer, un temps pour guérir.
Un temps pour faire brèche, un temps pour bâtir.
Un temps pour pleurer, un temps pour rire.
Un temps se lamenter, un temps danser.
Un temps pour jeter des pierres, un temps pour ramasser des pierres.
Un temps pour étreindre, un temps pour s’éloigner d’étreindre.
Un temps pour chercher, un temps pour perdre.
Un temps pour garder, un temps pour jeter.
Un temps pour déchirer, un temps pour coudre.
Un temps pour chuchoter, un temps pour parler.
Un temps pour aimer, un temps pour haïr.
Un temps, la guerre, un temps, la paix.
Qohélèt 3:1-8
Au fil de son texte, le Qohélet passe en revue divers aspects de la vie humaine, comme s’il recherchait déspérément une chose qui y ferait du sens. Il regarde là où les gens ont toujours eu le réflexe de regarder : à l’extérieur de soi. Ainsi, il porte son regard critique sur la justice, la politique, le travail et l’argent, l’amitié, la religion, le rituel, la famille, le mariage, la parole… presque rien n’y échappe, et le constat est clair : en fondant son identité sur ces choses, l’être humain s’oublie lui-même et se lance dans la fumée. Est-ce bien différent aujourd’hui qu’il y a 2500 ans? Pas du tout, en fait, notre société démontre exactement le point que soulève le Qohélèt, qu’il n’est rien de neuf sous le soleil. «Votez pour le changement», «propulsez votre carrière aux sommets», «achetez le dernier modèle de frigo», «une nouvelle façon de communiquer en ligne», «Hey les jeunes, investissez dans votre retraite»…
Cette exposition brutale de la vie humaine trouve son point culminant dans la description qu’elle fait de la mort.
Moi aussi, je sais qu’une même aventure advient à tous.
Moi, j’ai dit en mon coeur: L’aventure du fou m’adviendra à moi aussi.
Alors, moi, pourquoi m’assagir davantage ?
Et j’ai parlé en mon coeur: Cela aussi, fumée !
Car il n’est pas de souvenir pour le sage avec le fou, en pérennité,
parce que déjà aux jours qui viennent tout est oublié.
Eh quoi ! Le sage meurt avec le fou !
Qohélet 2:15-16
Ainsi, peu importe la vie qu’on vit, qu’elle soit bonne ou mauvaise, sage ou sotte… on meurt tous de la même façon. Il ira même dire plus loin que le sort de l’humain est le même que la bête. Parce que la mémoire humaine est si courte, parce que ceux après nous disposeront mal de ce qu’on aura si chèrement bâti, parce que nos corps retourneront à la même poussière, inutile de fonder son espoir en une postérité ou une justice après la mort. Et puisqu’on ignore ce qui se produit après, voire même s’il y a quelque chose après, inutile également de fonder son espoir en un au-delà.
Je hais la vie: oui, un mal pour moi,
le fait qui s’est fait sous le soleil.
Oui, le tout est fumée, paissance de souffle.
Qohélèt 2:17
À travers tout ça, difficile de comprendre pourquoi ce livre s’est retrouvé dans la Bible, et difficile aussi de voir comment il peut nous donner de l’espoir dans cette vie. Et pourtant, il le fait merveilleusement bien. Autant ce livre déconstruit, autant il construit. Mais ça, je vous en parlerai dans mon prochain post!
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