Krishna ayant disparu de leur vue, les bergères se mettent désespérément à le chercher dans la forêt. Elles courent ça et là, interrogeant les arbres, les fleurs et les animaux s’ils auraient vu leur Bien-Aimé. Mais il est nulle part. Alors, pour tenter d’ammenuiser la douleur de l’absence de Krishna, elle se mettent à jouer au jeu de l’imiter. Chacune à leur tour, elles recréent les hauts faits-d’armes de Krishna dans Vrindavan. Ici, une l’imite en train de terrasser un démon envoyé par Kamsa. Une autre fait mine de soulever le mont Govardhana dans le ciel pour protéger les villageois.
Le bras appuyé sur une bergère, une autre disait, tout en marchant : « Krishna, c’est moi, voyez ma démarche gracieuse.», tant son cœur était plein de lui.
Et ainsi de suite... ainsi peuvent-elles sentir sa présence au milieu d'elles. Puis, elles se mettent à lui chanter des louanges, remplies d’amour, de douleur, d’ivresse et de poésie.
Non tu n’es pas le fils de la bergère, tu es Celui qui voit au fond du cœur de tous les êtres. O héros, ô toi qui dissipe les souffrances des habitants du Vraj, montre nous ton visage brillant comme le lis des eaux (...)
La douceur de ta voix, la grâce de tes discours qui ravissent les êtres intelligents ont jeté le trouble dans l’âme de tes servantes; rends-nous la vie et la force, ô héros aux yeux de lotus, avec le nectar de tes lèvres.
Ton sourire, ô bien-aimé, ton regard affectueux, tes joyeux ébats, objets bénis de la méditation, tes secrets entretiens qui remuent l’âme dans ses profondeurs, ô perfide, bouleversent toutes nos pensées. (...)
Rien qu’à te montrer, Seigneur, aux habitants du Vraj et des bois, tu dissipes leurs maux et leur prodigues tous les biens; oh! à nous aussi, dont l’âme soupire après toi, donne nous un peu du remède qui tue chez les tiens le mal qui ronge le cœur. (...)
Et alors Krishna réapparaît soudain devant elles, tout souriant. D’un bond, elles se relèvent toutes et se lancent vers lui, remplies du plus grand des bonheurs. Elles l’étreignent, l’embrassent, mouillent ses cheveux de leurs larmes de joie. Alors lui les guide vers une magnifique île au milieu de la Yamuna. Il s’assoit au centre et elles forment une cercle autour de lui, avides de l'entendre.
Les bergères dirent : « Quelques-uns aiment qui les aime; d’autres, qui ne les aime pas; d’autres encore n’aiment ni dans un cas ni dans l’autre. Oh, daigne nous expliquer cela. »
Le Bienheureux dit : « Là où l’amour n’attend pas de retour, comme chez les êtres compatissants et ceux qui sont parents, là est le devoir parfait, là est l’affection vraie, Ô toutes belles. (…) De même, ô femmes, qui pour moi avez renoncé au monde, au Véda et à tous les vôtres, c’est pour que vous vous tourniez vers moi que, vous aimant à votre insu, je me suis dérobé à vos yeux. Ne blâmez donc pas votre Bien-Aimé, ô bien-aimées! Je ne saurais, même en vous donnant de vivre autant que les Dieux, reconnaître le mérite de votre amour irréprochable…
Et alors les femmes se lèvent et se mettent à faire une danse d’amour en ronde autour de lui. Cet instant de pur félicité, appelé le Rasa-Lila, est le passage le plus exalté et sacré du Bhagavata-Purana, et peut-être même de tout l'hindouisme entier.
La fête du rasa, dont les bergères rangées en cercle faisaient l’ornement, était menée par Krishna : usant de la puissance mystérieuse dont il dispose et se plaçant entre chaque couple de femmes, il passait ses bras autour de leur cou; et chacune d’elle croyait l’avoir auprès de soi. (…)
Et là, au milieu d’elles, le bienheureux fils de Devaki resplendissait comme un gros saphir enchâssé dans des pierreries aux reflets d’or.
Tandis que, à frapper la terre du pied, à agiter les bras, à mouvoir les sourcils avec grâce en souriant, à se briser la taille, à faire flotter les voiles de leurs seins, à secouer sur leurs joues leurs boucles d’oreilles, la sueur inondait leur visage. Et tandis que se dénouaient leurs cheveux et leurs ceinture, les femmes de Krishna brillaient en chantant ses louanges, comme les lueurs de l’éclair sur le cercle du nuage.
Tout en dansant, elles chantaient à haute voix, variant leurs accords, s’enivrant de plaisir et transportés de joie aux caresses de Krishna, dont le Chant remplit l’univers. (…)
Ainsi, parmi les embrassements, les attouchements, les amoureux regards, les jeux et les rires éffrénés, Krishna goûtait le bonheur avec les belles du Vraj, comme l’enfant qui sourit à la vue de son image réfléchie. (…)
Le Bienheureux, se multipliant autant de fois qu’il y avait de bergères, goûta le bonheur avec elles en se jouant, lui qui trouve son bonheur en lui-même. (…)
Et ainsi se termine cette belle histoire que nous raconte l'hindouisme. Histoire de Dieu qui enflamme nos coeur et qui, même s'il nous semble parfois loin et invisible, revient chaque fois nous étreindre dans le plus intime de nous-mêmes, qui sommes son propre reflet.
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